JEU INTELLECTUEL OU TRAGÉDIE ?
Si l’expression « âme russe » a un sens, appliquons-la à la peinture d’Edik Steinberg, qui au premier abord semble relever de l’art abstrait, alors qu’elle reflète la tragédie de son pays.
Taroussa est une de ces villes de la province russe, vétustes, cabossées, au charme fou des maisons de bois décrépites et des palissades disjointes, arrosée par l’Oka, rivière qui se jette à Nijni-Novgorod dans la Volga. Ce décor d’immense plaine d’où jaillissent des clochers blancs surmontés d’un bulbe d’or aurait déjà de quoi nous faire rêver ; ajoutez-y l’afflux d’écrivains et d’artistes qui essayèrent après la mort de Staline de relever la culture russe de ses ruines, tels le pianiste Sviatoslav Richter ou le romancier Constantin Paoustovski, et vous comprendrez qu’un jeune garçon grandi dans ce paysage d’eau et de ciel et dans ce climat intellectuel et spirituel en ait gardé une exigence qui gouvernerait son œuvre future. Edik Steinberg, né en 1937, avait seize ans à la mort de Staline. Les années qui suivirent ne furent pas moins oppressives. La censure interdisait toute forme d’art moderne. Le jeune peintre vécut longtemps dans la misère. Condamné à la clandestinité, il travaillait dans des mansardes comme celle où Raskolnikov avait mûri son crime. Lui, nourri à la philosophie religieuse des grands penseurs russes, Vladimir Soloviev, Serge Boulgakov...