Pour conclure mon regard sur l’édition 2015 de Paris Photo, j’aimerais partager avec vous l’un des rares dessins d’un photographe célèbre, Guy Bourdin, réputé avant tout pour ses travaux dans le domaine de la mode et de la publicité. Une œuvre cependant, rare, pour ainsi dire inconnue, exposée par la galerie londonienne Michael Hoppen, prouve que l’homme a aussi crayonné, peut-être à ses heures perdues, mais avec un vif talent.
The Bee, croquis à l’encre de couleur réalisé dans les années 1960, représente une large tête de chat obnubilé par l’abeille qui volette entre ses yeux. L’insecte a des ailes mauves, le chat des lèvres violettes et une truffe composée, semble-t-il, de diamants. De fait, toutes les zones de l’image paraissent affublées d’une texture différente, et la délicatesse de l’ouvrage – qui rappelle les créations de l’Américain Maurice Sendak (Max et les Maximonstres) – force l’admiration. Le « blanc » de l’œil du chat, en réalité jaune poussin, mais ponctué de milliers d’éclaboussures noires englobant une pupille constituée exclusivement de rayons verts, est une œuvre d’art à lui seul. Il réside dans cette représentation une grande maîtrise, et l’on peut se demander quel destin aurait connu Guy Bourdin s’il avait choisi de peindre plutôt que de photographier.
Il est presque ironique, à ce titre, que sa plus célèbre image soit une paire d’yeux rendus aveugles par une collection d’ongles peints. Nous pouvons d’ailleurs renverser la question, et nous interroger sur la vie imaginaire d’un Van Gogh ou d’un Monet photographes. Auraient-ils volontairement saccagé, du moins altéré l’objectif de leurs appareils, afin qu’ils ne répercutassent point les vraies couleurs et les vraies formes du monde réel ? Guy Bourdin, pinceau à la main, du haut de son nuage, doit avoir son idée à ce sujet.