Dans la foule et l’urgence des soirées de vernissage, il a été calculé qu’un visiteur passe en moyenne moins de deux secondes devant une œuvre. Et beaucoup oublient, entre les conversations et les petits fours, de faire le tour complet des pièces exposées sur un stand. C’est pourtant dans les recoins que se trouvent parfois les œuvres les plus intéressantes, celles qui n’en n’imposent pas par leur taille ou le nom de leur auteur. Ainsi, chez François Léage, derrière une belle commode Boule clinquante et reluisante de tous ses ors, un surtout de bronze argenté d’époque Régence attire le regard par l’élégance et la pureté de la ligne. Les bras sont traités comme des fleurs offertes aux convives. Ce style floréal surprend, privé qu’il est de la surcharge ornementale et artificielle habituellement prêtée à la rocaille. Mais le style Régence est un style de transition, il n’a plus la solennité pompeuse de Louis XIV, pas encore la surabondance mignarde du rococo’ : c’est un art d’entre-deux et c’est dans cet interstice, entre un reliquat de dépouillement classique et charme de la forme épanouie mais non encore hypertrophiée que se trouve la beauté de ce style et de cette pièce.
N’oublions surtout pas les arts d’Afrique : ils figurent toujours en bonne place à la Brafa. Plusieurs stands sont dignes d’admiration, celui de Didier Claes par exemple, spécialiste de l’art du Congo et de ses mille et complexes diversités. Les reflets d’ébènes, les formes essentielles et les mimiques sombres des statuettes et des masques font des stands des experts d’art africain les plus élégants du salon face au dégoulinement d’ors et de formes chantournées parfois peu digeste proposé par les galeries d’arts décoratifs européens.
Faisons un bond de deux siècles en avant, puisque c’est ce que permet notre salon : chez AB, un petit Soulages présente son habituelle bichromie noire et blanche sur un modèle grillagé, les barres de noir qui se croisent les unes les autres se dégradant dans un joli jus brun et grumeleux sur leurs bords. On pense à du plomb, on pense à du vitrail, et l’on a raison. Ce tableau date de la période où l’artiste conçut, à la fin des années 1980, les vitraux de l’abbatiale de Conques, dans le Rouergue, l’un des rares cycles contemporains de vitraux qui ne dénaturent pas la grandeur des églises romanes ou gothiques qu’ils habillent.
Nous n’avons pas traité des livres anciens, des cartes géographiques et de la quasi monographie consacrée à Jan Fabre chez Guy Pieters, mais une visite sur place vaut mieux qu’un catalogue exhaustif et sommaire qui ne laisserait à l’œil aucune surprise.