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À Yverdon-les-Bains, l’artiste français expose une nouvelle variation de sa performance ornithologico-musicale.
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Entré en art après une carrière dans l’ingénierie du son, Céleste Boursier-Mougenot, né à Nice en 1961 (ville dans laquelle Ben Vautier a vécu bien longtemps et a tenu boutique), est avant tout musicien. Le son est au cœur de son travail, en effet. Comme de nombreux artistes contemporains, il croise les médiums et les savoir-faire. Représentant la France à la Biennale de Venise il y a deux ans, l’artiste a plus d’une corde à son arc : le végétal (il expose ainsi des arbres déracinés en pleine lumière) et l’animal – notamment et surtout dans cette exposition du Centre d’Art Contemporain d’Yverdon-les-Bains, où Céleste Boursier-Mougenot montre une vingt-deuxième version de son œuvre From here to ear. Le dispositif est simple : une quinzaine de guitares électriques branchées à des amplificateurs sont entreposées, dans une grande salle, sur des socles ; cordes tournées vers le ciel, elles attendent le Jimi Hendrix qui saura les faire chanter. Or, ici, il n’est pas question d’humain mais d’oiseaux. Très exactement quatre-vingt-huit diamants mandarins, qui comme leur nom ne l’indique pas sont de petits passériformes originaires d’Australie, aux joues rouges comme une sébile de pressoir et au bec écarlate. Reclus dans la grande salle d’exposition, ils vivent leur vie, construisent des nids, se nourrissent, et occasionnellement viennent poser leurs minuscules pattes sur les cordes en acier des instruments, ce qui produit immanquablement un son étrange et métallique.
L’idée est amusante. Les passants, d’ailleurs, ne manquent pas de s’émerveiller. Certains semblent n’avoir jamais vu d’oiseaux, et des actes simples comme le vol, la nutrition, la reproduction ou la confection de nids réveillent chez eux des ressources enfouies de gratitude envers le miracle de la nature. Le prisme de l’art fait cela ; c’est ce que l’on pourrait appeler sa fonction déictique : voyez ceci. Comme les baguettes japonaises au pays que Roland Barthes appelle Japon, et qui ont pour but de désigner la chose bientôt engloutie, l’art contemporain use, et abuse de la fonction de monstration – dans la lignée d’un Duchamp qui avait, lui, l’excuse de la primauté ; la Fontaine, exposée dans le champ du musée, impliquant un œil esthétique chez le spectateur, tenait à montrer qu’il pouvait y avoir de la beauté dans les objets du quotidien et inviter à revoir ceux-ci avec plus de curiosité. C’était il y a cent ans. Depuis la présentation, plus que la représentation, occupe les salles des musées sans que le message ait tellement gagné en profondeur. Et parfois l’artiste touche juste, quand il donne à voir ce que l’habitude ou la lassitude nous met sous les yeux sans que nous y pensions.
Chez Céleste Boursier-Mougenot, qui fut naguère en lice pour le prix Marcel-Duchamp, il ne s’agit pas ici de faire l’éloge de la banalité du quotidien, ni même de montrer une chose méritant d’être revue : il se propose de créer un nouvel événement par une rencontre improbable entre deux univers. La rencontre cocasse a une longue histoire : on sait que la recherche la plus pressante d’André Breton avait été définie plus tôt par Lautréamont comme la « rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie ». De ces collisions sublimes naissent en effet parfois de grandes émotions esthétiques, et il est louable de les rechercher. Systématisées, en revanche, et recherchées pour elles-mêmes, par une sorte de facteur d’éloignement, plutôt que pour leur pertinence, elles perdent de leur force. Ces dernières années nous ont donné d’excellents exemples de cet emploi judicieux de la collision ; on pense par exemple à cette fameuse robe en miel confectionnée par Marie dans la tétralogie de Jean-Philippe Toussaint. Le grand écrivain belge fait se rencontrer les domaines de la haute couture et de l’apiculture ; champs d’expérimentation qui jusqu’à lui n’avaient pas vraiment eu l’occasion de frayer ensemble ; mais cette rencontre crée une scène mémorable à l’orée de Nue, le quatrième tome de la série. Ici, à voir des oiseaux picorer sur des guitares, on ne peut s’empêcher de penser que l’idée est épuisée dès son énonciation, qu’elle aurait gagné finalement à rester irréalisée, comme les élucubrations de Raymond Roussel dans Locus Solus – qui semblent tirer leur force de ce qu’elles sont irréalisables – ou celles d’Édouard Levé dans ses œuvres.
L’incapacité contemporaine à formuler un jugement de valeur qui ne soit pas uniquement éthique fait que nous nous gardons de nous prononcer sur la musique produite par ces sympathiques bestioles. Tout occupés que nous sommes à admirer leur agilité et leur capacité à produire du son, nous passons légèrement à côté de ce dispositif et de ce qu’il essaie de nous faire entendre : car si l’artiste est musicien, il doit certainement trouver une musicalité à ce bruit hasardeux. Ou alors l’œuvre est ailleurs. Mais où ? Peut-être dans un discours sur l’art, dans ce que Jean-Philippe Domecq a pu appeler non plus l’art pour l’art mais « L’Art sur l’art », dont l’unique but est de remettre l’art en question. Soit. L’artiste génère ainsi des formes sonores qu’il qualifie de « vivantes » – mot élu par notre époque qui craint tant le mécanique parce qu’elle craint le ridicule. Comme si la régularité d’un alexandrin de Baudelaire ou d’un prélude de Bach en faisait des œuvres mortes.
La question du hasard et de son apport n’est pas non plus une nouveauté, et même au tout début de son exploitation artistique on ne s’interdisait pas de juger des résultats qu’il donnait ; les cadavres exquis des surréalistes n’étaient pas tous de la même qualité, Breton lui-même le savait et n’a retenu que les meilleurs. Car pour eux le hasard était un moyen et non une fin ; et on peut se demander si son élévation au rang de fin est une promotion véritable. Plus récemment, le hasard a pu présider dans une certaine mesure à l’œuvre de quelques artistes femmes comme Niki de Saint-Phalle – qui tirait au pistolet sur des ballons de baudruche remplis de peinture – mais aussi Marina Abramovic ou Sophie Calle ; toutes préoccupées plutôt par le résultat que par le moyen et la technique.
En vérité, Céleste Boursier-Mougenot est un personnage de roman. C’est Sven Langhens, le héros de Bande-son, de Bertrand de la Peine, publié en 2011 aux éditions de Minuit : cet artiste danois contemporain crée des installations autour de microsons inaudibles pour une oreille normalement constituée : une colonie de termites vrillant une poutre de chêne, un papillon aspirant le suc d’une giroflée, les dents de bébés mulots qui s’entrechoquent dans le ventre de leur mère… Voilà une œuvre géniale sur le papier, comme celle de Céleste Boursier-Mougenot. Son art du téléscopage se porte au mieux dans l’espace narratif, comme le fait par exemple le héros de Novecento : pianiste d’Alessandro Baricco. Ce pianiste n’a jamais quitté le bateau dans la grande salle duquel il joue pour les passagers depuis son enfance. On voit ici le motif : piano + mer, comme celui de Céleste Boursier-Mougenot est un motif : guitare électrique + oiseaux.
Les diamants mandarins barbotent dans des piscines à leur échelle, dessinées en forme de guitare. C’est dire combien Céleste Boursier-Mougenot aime la musique et croit à sa sacralité. Cependant on ne peut s’empêcher de penser que cette sacralité est due à ce qu’une guitare a pu produire de meilleur, grâce à Jimi Hendrix peut-être, et qu’elle est maintenant, cette sacralité, le facteur principal de l’attirance qu’exerce le motif de la guitare. Sans musique, cette ambroisie court le risque de fondre comme neige au soleil.
Parallèlement à cette performance exposée à Yverdon-les-Bains, l’artiste propose Temps suspendu à Vercorin. Fils de verrier, il ressent une grande attirance pour le verre comme matériau et quand il découvre les télécabines de ce village valaisan, son sang ne fait qu’un tour. Immédiatement il ressent le désir de monter dedans pour avoir un « point de vue ». Il a ressenti ces œufs comme des « belvédères en mouvement » et c’est ce qui lui a donné envie d’apposer sur leurs vitres des filtres de couleur, façon Instagram. Une sorte de retour dans le temps acidulé en Technicolor.
Clément Bénech
[/vc_column_text][vc_column_text]NOTA BENE
From here to ear – Céleste Boursier-Mougenot
Centre d’art contemporain Yverdon-les-Bains
Jusqu’au 5 novembre 2017
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