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Cet été, l’exposition « Paul Cézanne – Le chant de la terre » à la fondation Pierre Gianadda retrace le parcours du maître d’Aix tandis que le musée d’Orsay montre les « Portraits de Cézanne ».
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Dans le tableau Hommage à Cézanne (1900, musée d’Orsay), Maurice Denis réunit dans la boutique du marchand de tableaux Ambroise Vollard toute une partie de la génération nabie pour célébrer Paul Cézanne, représenté par la nature morte Compotier, Verre et Pommes posée sur un chevalet, une œuvre qui avait appartenu à Gauguin. Cette toile, un sujet des plus classiques d’un traitement pictural des plus personnel et novateur, résume à elle seule l’art du maître. À travers natures mortes, paysages, portraits et nus qu’il décline, Cézanne, fils de banquier d’Aix-en-Provence, né en 1839, s’empare de la tradition pour mieux la relire, s’offrant une liberté d’expression plastique qui l’éloigne des salons. Le jeune étudiant à l’Académie Suisse à Paris puise d’abord dans l’art des maîtres, s’empare de l’iconographie violente de Goya, du travail au couteau à palette de Courbet, des noirs de Vélasquez et de Manet – sa peinture est « accaparée par le noir » écrira Rilke. Mais Cézanne, au-delà de leurs leçons, dépasse ce qu’ils avaient pu imaginer, non par provocation mais simplement parce qu’il voyait ainsi. À Aix, où il passe la fin de l’été et l’automne 1866, il multiplie les portraits de ses proches, notamment de son oncle maternel, l’huissier Dominique Aubert, de face, de profil, de trois quarts, en buste ou à mi-corps, portant l’usuel habit noir ou singulièrement travesti en moine, artisan ou encore avocat. À l’aide du couteau à palette, le peintre maçonne le visage en aplats épais, le structure en mêlant des tons noirs et plus clairs en différentes couches. Cette manière, qu’il qualifiera de « couillarde », sera déterminante dans sa démarche de construction du motif par la peinture elle-même.
Cézanne s’empare d’un autre modèle, la nature : « Le Louvre est le livre où nous apprenons à lire. Nous ne devons cependant pas nous contenter de retenir les belles formules de nos illustres devanciers. Sortons-en pour étudier la belle nature, tâchons d’en dégager l’esprit, cherchons à nous exprimer suivant notre tempérament personnel. » écrit-il à Emile Bernard. Plutôt que de restituer ses impressions sur la toile ou le papier, l’artiste cherche à exprimer la forme primaire de la nature, à atteindre une « harmonie parallèle à la nature ». Afin d’y parvenir, il repense la matière picturale, la couleur et la construction du tableau. La surface s’anime d’un réseau de touches de couleurs serrées, directionnelles, posées sur la toile. Le rythme ainsi créé apporte à la fois la lumière et l’espace, et offre un caractère architectural aux éléments naturels. Seules les maisons ne sont pas traitées ainsi : devenues des masses cubiques, ces modestes bâtisses acquièrent sous le pinceau de Cézanne une certaine monumentalité ; une monumentalité qui n’est jamais figée mais bien toujours mouvante, vibrante, grâce à des lignes de fuites qui évitent de converger vers le point central de la composition. Le peintre malmène l’espace sollicitant sans cesse le regardeur pour reconstituer les plans. Il combine plusieurs perspectives, un parti-pris qui rompt avec la tradition issue de la Renaissance et dont Picasso et les cubistes tireront toutes les conséquences.
Aux perspectives multiples répondent la pluralité des regards que développe Cézanne. Aussi bien la Sainte-Victoire qu’une poignée de pommes ou un groupe de baigneurs sont l’objet de cinq, dix voir une vingtaine d’œuvres. Le peintre procède par reprise et répétition. L’art est pour lui une quête permanente : « Cézanne ne se fixait pas un objectif prémédité qui, une fois atteint, lui aurait assuré la création aisée de chefs-d’œuvre. Son art est un modèle de recherche obstinée et de progression. Il luttait avec lui -même tout comme avec sa technique. » écrit l’éminent spécialiste du maître d’Aix, Meyer Schapiro. Chacune des onze Montagne Sainte-Victoire vue des Lauves peintes à l’huile met l’accent sur l’une ou l’autre des composantes spécifiques du premier, du second ou de l’arrière-plan, transmet la luminosité et l’atmosphère changeante du site. L’œil, constamment en mouvement, n’est jamais définitivement fixé. Chez Cézanne, rien n’est irrévocable, tout est à reconsidérer. Il en est de même dans ses séries de baigneurs ou de baigneuses, où l’artiste interroge sans cesse le rapport entre les figures et le paysage ou le rapport entre les figures entre-elles, multipliant les compositions jusqu’à ce qu’il atteigne une harmonie entre les corps et leur environnement.
Au même titre que ses paysages qui se transforment selon la saison, l’heure et le climat, ses visages, ni stables ni fixés, sont en constant changement en fonction des attitudes ou des émotions. Variantes et répétitions sont part entière du cheminement artistique de Cézanne dans le domaine du portrait. Il anime sans cesse différemment ses modèles afin d’éviter toute raideur et sollicite constamment l’œil du spectateur qui ne peut se stabiliser sur un détail de la surface du tableau. Ainsi, dans l’un des quatre portraits de Madame Cézanne au fauteuil jaune, peint vers 1893-1895 (New York, Metropolitan Museum), par des obliques fortement architecturées, un buste légèrement penché à droite, l’inclinaison d’une chaise ou de la ligne d’un lambris, l’artiste crée des structures déséquilibrées qu’il rééquilibre ingénieusement en introduisant d’autres éléments, comme une tenture en tissu épais tirée sur la droite.
Alors que la critique formaliste traditionnelle a estimé que pour Cézanne le sujet ne comptait pas, il convient de mesurer combien les moyens picturaux mettent en valeur la singularité des personnalités. Si Femme à la cafetière (vers 1895, Paris, musée d’Orsay) paraît le mieux illustrer son célèbre précepte selon lequel il faut « traiter la nature par le cylindre, la sphère, le cône », le peintre ne conçoit pas pour autant son modèle comme un simple objet. De nombreux détails, tels que les mains, le vêtement et la coiffure, le visage, fruste mais digne, attestent que rien n’est peint avec indifférence. L’artiste parvient à conférer de la grandeur à son modèle transcendé en icône de la vie simple, comme le jardinier Vallier dans des portraits peints en de larges et vives touches, d’ une matière presque coûteuse et trahissant à quel point les reprises et ajouts sont nombreux. Cézanne, à la fin de sa carrière, non seulement répète un même portrait sur plusieurs supports mais va jusqu’à peindre plusieurs tableaux sur une même toile. Comme Cézanne, Picasso reviendra sans cesse sur les mêmes personnes, Dora Maar, Olga, Marie-Thérèse. Comme le maître d’Aix, un demi-siècle plus tard, Giacometti s’obstinera à fixer les traits de ses modèles qui semblent lui échapper.
Camille Lévêque-Claudet
[/vc_column_text][vc_column_text]NOTA BENE
Cézanne – Le chant de la terre, Fondation Pierre Gianadda, Martigny jusqu’au 19 novembre 2017[/vc_column_text][vc_column_text]
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