BACH EST NON-BINAIRE

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Un peu de bon sens. Ne mettons pas tous les « wokes » dans le même panier. Théoriser les structures de domination inscrites dans nos sociétés, afin que tous les hommes naissent libres et égaux en droits – y compris les femmes – n’est pas mauvais en soi. Depuis quelques siècles, malgré d’effroyables vents contraires, le sacrosaint progrès s’est substitué à la simple progression : les minorités y ont gagné en droits mais aussi en « visibilité », qui est la première étape du droit. Il n’est plus tolérable aujourd’hui d’être ouvertement homophobe, raciste, misogyne, et l’on peut s’en réjouir. Cependant, suffit-il de ne plus pouvoir dire les choses pour s’assurer qu’elles disparaissent du champ social ? Rien n’est oins sûr : c’est là le double tranchant de la « bien-pensance ». Car s’indigner d’un propos insultant à l’égard d’un individu du fait de ses origines ou de sa sexualité est légitime. Mais vouer aux gémonies tout auteur d’un mot inacceptable selon ces mêmes règles, et le condamner sans procès au silence, c’est faire enfler une rage souterraine qui se repaît de rancoeur, de haine, d’invisibilité. Et qui finit par prendre la parole de manière outrancière. Cas d’école ultime : l’élection de Trump dans le pays le plus politiquement correct du monde. L’exemple américain n’est pas anodin : du manspreading au manterrupting, en passant par le male gaze, on aura remarqué que les termes de cette nouvelle ligne de conduite sont anglo-saxons, comme si les concepts qu’ils désignent devaient s’importer...

Un peu de bon sens. Ne mettons pas tous les « wokes » dans le même panier. Théoriser les structures de domination inscrites dans nos sociétés, afin que tous les hommes naissent libres et égaux en droits – y compris les femmes – n’est pas mauvais en soi. Depuis quelques siècles, malgré d’effroyables vents contraires, le sacrosaint progrès s’est substitué à la simple progression : les minorités y ont gagné en droits mais aussi en « visibilité », qui est la première étape du droit. Il n’est plus tolérable aujourd’hui d’être ouvertement homophobe, raciste, misogyne, et l’on peut s’en réjouir. Cependant, suffit-il de ne plus pouvoir dire les choses pour s’assurer qu’elles disparaissent du champ social ? Rien n’est oins sûr : c’est là le double tranchant de la « bien-pensance ». Car s’indigner d’un propos insultant à l’égard d’un individu du fait de ses origines ou de sa sexualité est légitime. Mais vouer aux gémonies tout auteur d’un mot inacceptable selon ces mêmes règles, et le condamner sans procès au silence, c’est faire enfler une rage souterraine qui se repaît de rancoeur, de haine, d’invisibilité. Et qui finit par prendre la parole de manière outrancière. Cas d’école ultime : l’élection de Trump dans le pays le plus politiquement
correct du monde.

L’exemple américain n’est pas anodin : du manspreading au manterrupting, en passant par le male gaze, on aura remarqué que les termes de cette nouvelle ligne de conduite sont anglo-saxons, comme si les concepts qu’ils désignent devaient s’importer ex abrupto dans nos esprits. Avec en tête du palmarès la fameuse cancel culture, qui vient une énième fois de s’illustrer de la plus sotte, de la plus indigne manière, à propos d’Andrew Cuomo, gouverneur célébré de New York – jusqu’au mois dernier. L’homme politique s’est en effet constitué une notoriété nationale durant la première phase du Covid, apparaissant quotidiennement à la télévision pour informer ses compatriotes sur l’évolution sanitaire, avec une précision et une simplicité de bon aloi. Un « Emmy Award » spécial lui a été remis en 2020 pour ses chroniques. Or patatras : depuis peu, notre beau gouverneur est accusé de harcèlement sexuel par onze collaboratrices. Dans un pays normal, c’est-à-dire un pays faisant confiance à l’intelligence de ses citoyens, on dirait : c’est mal, voilà la preuve qu’on peut être un brillant orateur et un sale type. Dans un pays arriéré, l’académie Emmy retire son trophée à Cuomo avant tout jugement, et déclare : L’identité du lauréat et toute mention de son prix seront rayées de nos archives. Un internaute éclairé commente : « Je kiffe cette vibe stalinienne ! » Voyons-y pour notre part ce réflexe d’enfance consistant à se cacher les yeux pour chasser l’objet de la peur.

La peur pourtant est retorse, et vient se loger à des endroits inconfortables. Ce serait trop simple, sans ça. Je veux dire : si l’on pouvait mettre d’un côté tout le bien, de l’autre tout le mal. Une revue d’art comme la nôtre ne le sait que trop : Caravage fut assassin, Dalí trouvait que Franco était un homme merveilleux, Leni Riefenstahl admirait Hitler, Gauguin s’est marié à une fille de 13 ans lorsqu’il en avait lui-même 43. Faut-il jeter pour cela leurs oeuvres à la poubelle et effacer leurs traces de l’histoire – sans oublier les films réalisés par Woody Allen, et ceux dans lesquels Arletty, collabo notoire, figure en vedette ? Poser cette seule question est indigne. Et c’est trop souvent le piège qu’on nous tend : apporter des réponses à des questions qui n’en méritent pas. Mais quittons un instant les États-Unis pour balayer devant la porte de notre vieux continent : en France, la militante féministe Alice Coffin déclarait récemment : « Les hommes, je n’écoute plus leur musique. » On prétendra ce qu’on voudra, que la phrase est sortie de son contexte, c’est ce qu’on prétend toujours. Mais même sortie de son contexte, cette phrase est consternante d’imbécillité. Car les grands artistes – surtout dans le domaine musical – ne sont ni hommes ni femmes. Ils atteignent à un universel humain, mystique, intemporel. Bref, pour le dire en des termes d’époque : Bach est non-binaire.

Arthur Dreyfus, écrivain

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