BEATON, L’ANGLE SAXON

Cecil Beaton
The Bright Young
Things at Wilsford, 1927
© The Cecil Beaton Studio Archive
Cecil Beaton The Bright Young Things at Wilsford, 1927 © The Cecil Beaton Studio Archive
Une exposition au National Portrait Gallery veut remettre au goût du jour ce portraitiste de talent, qui fut l’homme fort de Vogue pendant des décennies. Soucieux des formes, esthète jusqu’au bout des ongles, le Londonien Cecil Beaton – dont on voudrait ajourner le plus possible le moment de le qualifier – n’aura jamais cessé de l’être. Ainsi, il est assez charmant de le voir dans une interview pour la BBC à la fin des années soixante, coiffé d’un élégant chapeau ; répondant au journaliste qui l’interroge au sujet de son couvre-chef, Beaton se montre tout à fait direct : « je porte ce chapeau parce que je deviens chauve et que je n’aime pas trop le montrer. »C’est peu de dire que l’homme aura été préoccupé par l’apparence physique. Il est plus juste d’affirmer qu’il en fut obsédé. C’est un visage de femme qui le prédestina à la photographie ; ce sont encore des visages de femmes qu’il scrute, à la fin de sa carrière, voyant cruellement sur eux le passage du temps, qu’il ne peut que remarquer sur le sien. Cecil Beaton at Sandwich, début des années 1920 © The Cecil Beaton Studio Archive Né dans les environs de Londres en 1904, Beaton est tôt sensible aux belles choses. Ses goûts sont d’abord ceux de sa classe, moyenne ; il brûlera de la quitter. C’est un matin, au petit déjeuner, entre deux toasts et une assiette de scrambled eggs, que Beaton tombe amoureux d’une photographie, comme il arrivait déjà aux gens de le faire avant...

Une exposition au National Portrait Gallery veut remettre au goût du jour ce portraitiste de talent, qui fut l’homme fort de Vogue pendant des décennies.

Soucieux des formes, esthète jusqu’au bout des ongles, le Londonien Cecil Beaton – dont on voudrait ajourner le plus possible le moment de le qualifier – n’aura jamais cessé de l’être. Ainsi, il est assez charmant de le voir dans une interview pour la BBC à la fin des années soixante, coiffé d’un élégant chapeau ; répondant au journaliste qui l’interroge au sujet de son couvre-chef, Beaton se montre tout à fait direct : « je porte ce chapeau parce que je deviens chauve et que je n’aime pas trop le montrer. »C’est peu de dire que l’homme aura été préoccupé par l’apparence physique. Il est plus juste d’affirmer qu’il en fut obsédé. C’est un visage de femme qui le prédestina à la photographie ; ce sont encore des visages de femmes qu’il scrute, à la fin de sa carrière, voyant cruellement sur eux le passage du temps, qu’il ne peut que remarquer sur le sien.

Cecil Beaton at Sandwich, début des années 1920 © The Cecil Beaton Studio Archive

Né dans les environs de Londres en 1904, Beaton est tôt sensible aux belles choses. Ses goûts sont d’abord ceux de sa classe, moyenne ; il brûlera de la quitter. C’est un matin, au petit déjeuner, entre deux toasts et une assiette de scrambled eggs, que Beaton tombe amoureux d’une photographie, comme il arrivait déjà aux gens de le faire avant les rencontres par Internet. Était-ce une comtesse, une actrice, une femme de salons ? Qu’importe, il conserve l’image comme une relique, et se jure de chercher à reproduire le plaisir qu’elle lui procure. Une vocation naît, tentant tant bien que mal de contenir un talent qui voudrait partir dans toutes les directions. Car le jeune Cecil a plus d’une corde à son arc. En dessin, il convainc : ses jeunes camarades d’école louaient encore des dizaines d’années plus tard sa merveilleuse voix de petit chanteur à l’église St Cyprian’s. Mais c’est avec la photographie qu’il fait ses premières armes. On dit que sa gouvernante – ou était-ce une simple nounou, en tout cas ce n’était pas la plus célèbre nounou photographe du XXème siècle, Vivian Maier – possédait un Kodak 3A, que l’on recommandait alors souvent aux débutants. Elle apprit au jeune garçon à capturer et développer des photographies.

Lui-même, des années après, utiliserait un modèle Rolleiflex ; mais avant cela, il prit des centaines de photos de ses sœurs, de sa mère, dans les tenues les plus extravagantes qu’il pût trouver au fond des malles familiales. Ces clichés aujourd’hui rarissimes, dont certains ont été retrouvés pour être exposés à la National Portrait Gallery, étaient envoyés par le jeune Cecil lui-même aux magazines londoniens, assortis généralement d’un petit mot manuscrit signé d’un faux nom, qui recommandait chaudement le jeune homme. On n’est jamais mieux servi que par soi-même.

Cecil Beaton
Nancy and Baba Beaton, 1926
© The Cecil Beaton Studio Archive

Le reste vint de façon aussi naturelle que le feu suit la flamme, pour qui connaît le bouillonnement intime qui était celui du jeune Cecil, sa griserie de créer, pour ne rien dire de son ivresse de réussir. Il fut inscrit à la Harrow School, puis au St John’s College de Cambridge, dont il sortit sans un diplôme ; il travailla brièvement pour l’entreprise familiale, dans l’industrie du bois, puis dans le ciment ; la photo occupait ses week-ends. Après un petit échec lors d’une exposition confidentielle à la Cooling Gallery de Londres, il décide de s’embarquer pour les États-Unis, rêvant de Vogue. Et de fait, l’entreprise Condé Nast le rémunère à l’année pour qu’il leur reste exclusif. Une fois lancé, il ne s’arrête plus. Beaton devient le photographe officiel de la jeunesse new-yorkaise, les « Bright Young People ».

Cecil Beaton The Silver Soap Suds
(L to R: Baba Beaton, the Hon. Mrs Charles Baillie-Hamilton and Lady Bridget Poulett), 1930
© The Cecil Beaton Studio Archive

Peu assuré sur la technique, l’esthète compense par des mises en scène rococo, chatoyantes, le choix de ses modèles. Il crée aussi des costumes de scène, peint. Sa collaboration avec Vogue et Vanity Fair bat son plein, jusqu’en 1938 où – coup de folie ? auto-sabotage ? – Beaton cache dans le lettrage qui accompagne une de ses photos des insultes antisémites (kike, ou « youpin », notamment). La photo concernée est imprimée par Vogue ; le magazine réalise la bourde, mais il est trop tard, il faut envoyer au pilon cent trente mille exemplaires. Malgré ses protestations (« je n’ai aucune sympathie pour Hitler », notamment), Beaton est viré. Il traverse donc de nouveau l’Atlantique, en sens inverse, pour se faire oublier. Mais comme tout un chacun, il en pince pour ses premières amours, et photographie la famille royale anglaise ; on l’envoie au front comme photographe de guerre ; le naturel revenant au galop, il revient avec des photos très posées, peu martiales. Une photo sort du lot, celle d’une petite fille de trois ans avec son doudou à l’hôpital, qui, dit-on, fit beaucoup pour l’engagement des Américains dans cette nouvelle guerre.

Maurice Beck et Helen Macgregor Cecil Beaton and Stephen Tennant, 1927 National Portrait Gallery, Londres © National Portrait Gallery, London

Beaton photographie Churchill, puis il revient en grâce aux États-Unis après la guerre. Cecil renaît. Il se lie avec tout le monde, photographie tout le monde. Hockney, dont il admire l’aisance ; Marilyn ; Audrey Hepburn ; il eut même une aventure avec Greta Garbo, qui lui aurait cédé au motif que « le sexe est bon pour la peau ». Il enchaîne les costumes de films, obtient des prix. Cet homme qui fait tant penser à Basil Hallward, le peintre du Portrait de Dorian Gray de Wilde, obtient trois Oscars. Il revient finir sa vie dans son pays natal. L’exposition entend cartographier tous les territoires explorés par ce touche-à-tout, qui tenta de sauvegarder la beauté par la fixité de l’image, comme on conserve l’eau qui coule en la faisant geler.

Nota Bene :

Cecil Beaton’s Bright Young Things, National Portrait Gallery, Londres jusqu’au 7 juin 2020

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