CHRONIQUES ÉGYPTIENNES II/IV

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Un ami cher m’envoie une carte postale que Jean Cocteau envoya jadis à André Fraigneau, depuis Le Caire, en 1936, au cours de ce voyage intercontinental dont il tirera la même année Tour du monde en 80 jours (mon premier voyage). Sous les mots «For correspondence», au-dessus de son prénom timbré de son étoile à cinq branches (celle à six branches viendra plus tard), Cocteau écrit: « Que tout cela est étrange et près de nous. » Comme c’est juste ! Au revers de cette carte envoyée 61, rue des Saints-Pères, chez Grasset (la partie se trouvant sous les mots « For address » se termine simplement par «Louvre – Paris ») figure l’un des pectorauxmonuments de l’adolescent Toutankhamon. On dirait volontiers que les scarabées et les cobras qu’on y voit s’approchent de nous et reculent, à l’instar de l’Égypte elle-même, dont on se sent en permanence et avec délice tantôt infiniment familier et tantôt infiniment éloigné. L’un des secrets de séduction de cette terre qui sait faire rayonner ses obélisques sur les places des capitales comme dans le cœur des enfants qui, à l’approche de Noël, compulsent les catalogues de jouets en rêvant à leur futur métier réside sans doute dans ce rythme systolique et diastolique, naturel et entêtant. Et cette étrange proximité ne me semble pas caractériser seulement l’Égypte pharaonique, mais encore l’Égypte copte. Me voici dans une voiture roulant vers la mer Rouge, sur de larges rubans d’asphalte neufs, au milieu d’un désert de roches un peu...

Un ami cher m’envoie une carte postale que Jean Cocteau envoya jadis à André Fraigneau, depuis Le Caire, en 1936, au cours de ce voyage intercontinental dont il tirera la même année Tour du monde en 80 jours (mon premier voyage). Sous les mots «For correspondence», au-dessus de son prénom timbré de son étoile à cinq branches (celle à six branches viendra plus tard), Cocteau écrit: « Que tout cela est étrange et près de nous. » Comme c’est juste ! Au revers de cette carte envoyée 61, rue des Saints-Pères, chez Grasset (la partie se trouvant sous les mots « For address » se termine simplement par «Louvre – Paris ») figure l’un des pectorauxmonuments de l’adolescent Toutankhamon. On dirait volontiers que les scarabées et les cobras qu’on y voit s’approchent de nous et reculent, à l’instar de l’Égypte elle-même, dont on se sent en permanence et avec délice tantôt infiniment familier et tantôt infiniment éloigné. L’un des secrets de séduction de cette terre qui sait faire rayonner ses obélisques sur les places des capitales comme dans le cœur des enfants qui, à l’approche de Noël, compulsent les catalogues de jouets en rêvant à leur futur métier réside sans doute dans ce rythme systolique et diastolique, naturel et entêtant. Et cette étrange proximité ne me semble pas caractériser seulement l’Égypte pharaonique, mais encore l’Égypte copte.

Me voici dans une voiture roulant vers la mer Rouge, sur de larges rubans d’asphalte neufs, au milieu d’un désert de roches un peu embrumé. Direction les monastères de Saint Antoine et de Saint Paul, les plus vieux du monde, qui continuent d’exister là où avaient lutté, au IIIe et au IVe siècles, ces deux ermites que tant de fidèles et d’artistes ont contemplés, depuis Athanase le Grand jusqu’à Paul Hindemith, en passant bien sûr par Grünewald, Véronèse, Velázquez, Flaubert… En grimpant vers la grotte où vécut le premier, le long d’un escalier de métal blanc et brun, voyant à droite et à gauche des croix  pavés posés à même le sol rocailleux ou petites planches penchées se détachant sur le ciel comme autrefois les trois du Golgotha , j’ai

cette même impression que j’ai eue il y a quelque temps en Turquie, en arrivant à Troie : celle d’arriver à l’une des sources de notre culture à tous. Le théâtre des tentations, le paysage des apparitions, c’était donc ici, et la chose ne m’étonne pas. Je double des religieuses coptes, épuisées mais tout sourire, les plus jeunes sont déjà en haut, dans la grotte, leur chant me parvient à travers l’entrée  la fissure  de cette dernière. Le contraste entre l’exiguïté de ce trou (je ne sais dire autrement, «antre» ferait déjà beaucoup trop solennel) et l’immensité du paysage extérieur, alentour, est grandiose. Même radicalité ici et là. À l’intérieur, au-dessus d’un petit autel carré fermé à clef (que contient-il?), est reproduit à même la paroi, comme dans une mandorle, le Christ Pantocrator conservé au monastère Sainte Catherine du Sinaï. La phrase avec laquelle Duane Michals commenta, dans son ouvrage Merveilles d’Égypte, sa photo de la chambre mortuaire de Chéops, me revient: «Ce fut comme être au centre même de l’univers.» Comme on entre et sort ici à tâtons, je remarque une chose qui m’émeut infiniment, preuve d’une fréquentation séculaire  dans un lieu pourtant si isolé : pas un morceau de roche où mes doigts passent qui ne soit lisse, lissé. Je ressors comme d’un tombeau, et redescends l’escalier, en croisant les dernières de ce groupe de religieuses venues en pèlerinage.

«Salam !

– Salam !»

Le plus pittoresque était encore à venir, soit la visite des deux monastères, conglomérats de bâtiments aux teintes douces, aux angles arrondis, où je croirais marcher dans les crèches de mon enfance; tours, palmiers, sources miraculeuses; épouvantails, chats, dômes; églises où flottent en permanence des effluves d’encens froid (aussi délicieux qu’est détestable le tabac froid), ornées de velours rouge, comme le sont celles de Venise les jours de fêtes; et guides au regard inoubliable surtout, deux moines  à l’anglais parfait  dont les yeux étaient l’accueil et la joie même.

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