À la fin de l’année 2024, un film a conquis les critiques et les spectateurs. Par la grâce de sa mise en scène et de ses fantastiques acteurs – plus que par celle de Dieu.
our les laïcs, un conclave est une « assem- blée de hauts dignitaires ». Dans la litur- gie catholique, il désigne le lieu sacré où s’enferment les cardinaux pour procéder
Pà l’élection du nouveau pape – soit, depuis 1878, au Vatican sous le plafond de la mythique chapelle Sixtine. Du côté de l’étymologie, enfin, le conclave est la compression des mots latins cum et clavis, littéralement un endroit fermé à clé. Dans tous les cas, on n’est pas loin de Gaston Leroux et de son célèbre Mystère de la chambre jaune. Sans contes- te, le conclave s’avère un décor rêvé pour déployer un thriller digne de ce nom, chargé d’angoisse, truffé de rebondissements. Dans la lignée d’Eco et son culte Nom de la rose, l’auteur britannique Robert Harris y implanta une fiction en 2016 : le film dont nous parlons est l’adaptation de son best-seller.
L’efficacité sera le maître-mot du scénario : dès la première scène autour de la dépouille de l’ancien pape, les murmures bruissent, les intrigues s’esquis- sent. L’enjeu est d’autant plus lourd qu’il est rare : la durée d’un pontificat, dix ans en moyenne, au- rait de quoi rendre jaloux nombre d’autocrates, et la parole du souverain pontife est écoutée dans le monde entier. Mais pour décrocher ce colossal pou- voir, l’heureux élu devra d’abord être choisi par le Collège des Cardinaux, auquel il appartient – cons- titué d’une centaine de prélats venus des quatre coins de la planète, qui se claquemurent donc au sein de la résidence Sainte-Marthe, et n’en sortiront pas avant qu’une fumée blanche coiffe le toit de la chapelle Sixtine. À vos marques, prêts, partez ! Une fois ce dispositif planté, en dépit de l’austérité des règles, le naturel humain peut revenir au galop : coups bas et manigances seront légion, entrecoupés de Te Deum et de Pater Noster. Les bombes à retar- dement explosent peu à peu… Mais ne dévoilons pas ces surprises, disons simplement que la politi- que ne s’est pas arrêtée aux portes de l’Église.
Sous ses atours de divertissement de luxe, Conclave soulève tout de même une éternelle question, aussi antique que la philosophie grecque: l’exercice du pouvoir saurait-il être moral quand de cyniques qualités de stratège sont exigées pour l’acquérir ? Par extension, si comme le pensait Churchill, la démocratie se révèle le système « le moins mauvais de tous », faut-il pénaliser un candidat aux idées rétrogrades mais aux méthodes régulières, face à un intrigant progressiste ? Autant d’énigmes qui habitent le film, et ébranlent la foi du Cardinal Lawrence, le Doyen du Collège qu’incarne un Ralph Fiennes d’un intensité, d’une intériorité inouïes. Ses apartés avec Stanley Tucci, dans le rôle du Cardinal Bellini, restent de grands moments. Face aux manœuvres indignes de ses pairs, « com- ment Lawrence peut-il croire en l’avenir ? », interro- ge le réalisateur. « Trouver un sens à sa vie? Autant de questions que la plupart des gens, et pas seulement les hommes d’église, se posent très souvent ».
Entrer dans Conclave, par-delà ses soutanes et son polyglottisme semblant rappeler que les enfants de Dieu ne parleront jamais tous la même langue, c’est enfin pénétrer dans un décor claustrophobe et sublime – à l’image de la foi. Tourné à Rome, dans les studios de Cinecittà, l’œuvre plonge le spectateur dans un dédale de marbre, de rideaux et de couloirs sculpturaux, muant en objet kubric- kien ce Vatican intemporel. La décoratrice a laissé primer son intuition sur le réalisme : « Je voulais que le décor donne le sentiment d’être une prison de luxe. Les portes évoquent la prison. Les fenêtres sont obstruées par des volets rarement ouverts. » Pour oblitérer, sans doute, le plus incandescent secret de l’Église, bien plus ancien que ces bagarres de gladiateurs en robes rouges, plus ancien qu’Hol- lywood même: la place de la femme dans ce mon- de pensé par des hommes, régenté par des hom- mes. Mais nous en disons trop : laissons le script venir à bout de ses messes basses.