DAVID HOCKNEY LE PRINTEMPS ÉTERNEL

Portrait of an Artist
(Pool with Two Figures), 1972
Acrylique sur toile, 213,36 x 304,8 cm
© David Hockney
Yageo Foundation Collection, Taiwan
© Photo : Art Gallery of New South Wales /
Jenni Carter
Portrait of an Artist (Pool with Two Figures), 1972 Acrylique sur toile, 213,36 x 304,8 cm © David Hockney Yageo Foundation Collection, Taiwan © Photo : Art Gallery of New South Wales / Jenni Carter
Do remember they can’t cancel the spring » – « Souviens-toi qu’ils ne peuvent pas annuler le printemps ». La phrase scintille, en lettres roses, sur la façade en verre courbé de la Fondation Louis Vuitton, où se tient jusqu’à la fin de l’été la plus grande rétrospective jamais consacrée à David Hockney – on allait écrire «Sir» David Hockney, persuadé qu’il était depuis longtemps anobli. Vérification faite, la star des peintres british a toujours refusé qu’on accole à son nom les trois petites lettres honorifiques, tout comme il a refusé de portraiturer Sa Majesté la reine, faisant valoir pour sa défense qu’il était « trop occupé» (et parce que les émissaires envoyés par Buckingham trouvaient la justification un peu légère, il ajouta qu’il ne peignait, en général, que les gens qu’il connaissait). May Blossom on the Roman Road[Floraison de mai surla route romaine], 2009Huile sur huit toiles182,9 x 487,7 cm ensemble© David Hockney© Photo : Richard Schmidt Reine ou pas reine, Hockney ne prend pas de commandes. Hockney choisit ses modèles. Il vous fait appeler par son assistant qui vous propose de venir vous asseoir trois demi-journées d’affilée dans l’atelier du maître, et quelques mois plus tard, voilà votre portrait accroché au milieu d’une cinquantaine d’autres – celui du chanteur des One Direction Harry Styles, celui de l’architecte Franck Gehry (à qui l’on doit la Fondation Louis Vuitton), mais aussi ceux d’anonymes, parmi lesquels une certaine Sophie Gaugain (rien à voir avec son homonyme enterré aux Marquises, et d’ailleurs,...

Do remember they can’t cancel the spring » – « Souviens-toi qu’ils ne peuvent pas annuler le printemps ». La phrase scintille, en lettres roses, sur la façade en verre courbé de la Fondation Louis Vuitton, où se tient jusqu’à la fin de l’été la plus grande rétrospective jamais consacrée à David Hockney – on allait écrire «Sir» David Hockney, persuadé qu’il était depuis longtemps anobli. Vérification faite, la star des peintres british a toujours refusé qu’on accole à son nom les trois petites lettres honorifiques, tout comme il a refusé de portraiturer Sa Majesté la reine, faisant valoir pour sa défense qu’il était « trop occupé» (et parce que les émissaires envoyés par Buckingham trouvaient la justification un peu légère, il ajouta qu’il ne peignait, en général, que les gens qu’il connaissait).

May Blossom on the Roman Road
[Floraison de mai sur
la route romaine], 2009
Huile sur huit toiles
182,9 x 487,7 cm ensemble
© David Hockney
© Photo : Richard Schmidt

Reine ou pas reine, Hockney ne prend pas de commandes. Hockney choisit ses modèles. Il vous fait appeler par son assistant qui vous propose de venir vous asseoir trois demi-journées d’affilée dans l’atelier du maître, et quelques mois plus tard, voilà votre portrait accroché au milieu d’une cinquantaine d’autres – celui du chanteur des One Direction Harry Styles, celui de l’architecte Franck Gehry (à qui l’on doit la Fondation Louis Vuitton), mais aussi ceux d’anonymes, parmi lesquels une certaine Sophie Gaugain (rien à voir avec son homonyme enterré aux Marquises, et d’ailleurs, il ne vous aura nullement échappé que ça s’écrit différemment). Si la maire (LR) de Dozulé, petite commune du Calvados, a eu les honneurs du pinceau de Hockney, c’est pour l’avoir assisté dans ses dé- marches administratives quand lui est venue l’idée saugrenue de s’installer dans la région de France où la pluie est une compagne si fidèle que ses habitants ironisent en disant qu’il y fait beau plusieurs fois par jour: la Normandie.

« After Munch : Less is Known than People Think » [D’après Munch : On en sait moins qu’on le pense], 2023, Acrylique sur toile, 121,9 x 182,9 cm
© David Hockney. © Photo : Jonathan Wilkinson

Pendant quatre ans, Hockney y vécut dans une maison à colombages comme on en trouve de ce côté-ci de la Manche, à la pelouse impeccablement tondue comme on en trouve de l’autre côté. Toiture en ardoise, murs de torchis, charme rustique, vaste jardin peuplé d’arbres fruitiers. Pas de piscine? Pas de piscine. Soyons trivial : Hockney aurait eu les moyens d’en faire creuser une. Celle qu’il a peinte en 1972 (Pool with Two Figures) a battu le record de prix pour un artiste vivant. C’était en 2018, lors d’une enchère chez Christie’s, et le tableau fut vendu quatre-vingt-dix millions trois cent mille dollars, effaçant le record détenu par Jeff Koons (pour son horrible Rabbit). Il représente deux personnages, l’un en slip de bain blanc, l’autre en tenue de cocktail, l’un nageant sous l’eau ce qui semble être une brasse coulée, l’autre en bordure de piscine, avec en arrière-plan des collines verdoyantes. Le peintre, dit-on, s’est inspiré d’un paysage qu’il aurait vu dans le sud de la France, du côté de Saint-Tropez, dit-on encore. On, à mon humble avis, se trompe éhontément: ça ressemble à s’y méprendre à la Fondation des Treilles, à Tourtour, dans le Var, où, voici quelques années, j’ai coulé des jours si heureux qu’ils pourraient figurer dans un tableau de Hockney. Chez lui, la couleur n’est jamais décorative: elle est un cri de joie bien élevé. Ses paysages sont des bivouacs de lumière. C’est simple, on reconnaît un Hockney au fait qu’on a envie d’y poser un transat, et d’y rester pendant des heures, des jours, toute la vie si ça nous chante.

Winter Timber [Pièces de bois en hiver], 2009, huile sur quinze toiles, 274,3 x 609,6 cm ensemble © David Hockney. © Photo : Jonathan Wilkinson. LYC Collection

«Toute existence, écrivait Paul Morand, est une lettre postée anonymement ; la mienne porte trois cachets : Paris, Londres, Venise». Les lettres postées par Hockney sont des tableaux, ils ont pour cachets la Californie, le Yorkshire, la Normandie.

La Californie est celle des années soixante, les tableaux de Hockney à cette époque représentent des villas modernes, fonctionnelles – et surtout leurs piscines. Ceux du Yorkshire s’inscrivent dans la grande tradition paysagère anglaise (on songe à Turner ou Gainsborough), mais les paysages y sont passés au solarium: Hockney est le seul à faire pleuvoir du soleil sur le countryside anglais. Jamais de brume chez Hockney: on y voit jusqu’à cinquante kilomètres à la ronde. Voyez Garrowby Hill (de toutes les peintures de Hockney, ma préférée): la route est sinueuse, elle serpente joyeusement dans les valons pour former un S élégant, comme le Grand Canal à Venise. Elle est mauve ou lilas, les champs sont jaune citron, vert pomme ou lavande, les arbres rouges, roses, orangés. La palette chromatique n’a jamais été si intense: c’est du Matisse au carré, du Derain sous acide.

27th March 2020, No. 1
Peinture sur iPad imprimée sur
papier, montée sur cinq panneaux
en aluminium, 364,1 x 521,4 cm
ensemble
© David Hockney

Les paysages normands rappellent davantage Pissarro ou Van Gogh – le peintre préféré de Hockney. La Normandie, il s’y installe en 2019, quelques mois avant Wuhan, le pangolin, le confinement. Rappelez-vous : le Grand comité des libertés sanitaires nous assignait à résidence, nous ne pouvions sortir qu’une heure par jour, dans un rayon limité et pour des motifs strictement encadrés – encore fallait-il être dûment muni d’une attestation signée sur l’honneur. Dieu merci, on avait encore le droit de profiter du jardin; Hockney ne s’en est pas privé : il avait le printemps pour alibi. Il troque alors ses crayons et ses feuilles de papier pour sa tablette numérique et se lance dans une série de deux cent vingt vues (« 220 for 2020»), où il s’attache à capter les variations de lumière et le passage des saisons: Hockney est le premier peintre au monde à représenter le printemps avec 42% de batterie.

S’il faut, de temps en temps, le recharger, l’iPad a ceci d’avantageux qu’on ne rentre plus du boulot le pantalon maculé de taches de peinture, on n’a plus besoin d’attendre que la toile sèche et le rétroéclairage permet de peindre la nuit. «Souvent, disait Van Gogh, il me semble que la nuit est encore plus richement colorée que le jour, coloré des violets, des bleus et des verts les plus intenses». Depuis sa terrasse en Normandie, Hockney pouvait passer toute une nuit à suivre les variations des lueurs de la lune ou le scintillement des étoiles. Puis le jour se levait, et que ce fût l’été, l’automne ou l’hiver, sur ses tableaux, rien à faire, c’était toujours le printemps. Le printemps éternel. «Do remember they can’t cancel the spring», nous susurre un vieux monsieur que la peinture a depuis longtemps anobli.

NOTA BENE


Exposition David Hockney 25 Fondation Louis Vuitton, Paris Jusqu’au 31 août 2025
Dernier livre paru : François-Henri Désérable, Chagrin d’un chant inachevé. Sur la route de Che Guevara (Gallimard)

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