DIANE ARBUS LA NAÏVETÉ DU DIABLE

Diane Arbus a photographié d’une manière très particulière, tragiquement, comme si sa vie en dépendait et de fait, elle en dépendait probablement. De là vient, avant tout, le frisson qui nous saisit devant cette œuvre au noir, dans laquelle la lumière ne parvient jamais à percer complètement les ténèbres. Diane Arbus a photographié avec amour, empathie et voracité. Diane Nemerov est née en 1923, dans un milieu extrêmement privilégié; elle a grandi entourée de domestiques et de gouvernantes, dans un immense appartement donnant sur Central Park. Ses écrits, comme ceux de son frère, le poète Howard Nemerov, laissent pourtant percevoir la profonde solitude dont ont souffert les enfants dans un milieu corseté par les conventions et obsédé par la réussite sociale. En 1941, son mariage avec Allan Arbus, qui travaille chez Russek’s, le grand magasin de la Cinquième Avenue à l’origine de la fortune familiale, est l’occasion d’une première rupture dans la vie de Diane. Le couple, qui aura deux enfants, doit prendre son indépendance et fonde, en 1946, une agence de photographie de mode, qui publie dans Glamour ou Vogue. C’est surtout Allan qui photographie; Diane, ayant le titre de directrice artistique, s’occupe essentiellement du stylisme. Petit à petit, la jeune femme ressent le besoin de s’exprimer photographiquement; elle s’intéresse au travail de Walker Evans, d’August Sander, découvre Eugène Atget et décide de prendre des cours de photographie. Parallèlement, son mariage, image parfaite de l’american way of life, se dissout progressivement; Allan et elle finissent par se séparer en 1959....

Diane Arbus a photographié d’une manière très particulière, tragiquement, comme si sa vie en dépendait et de fait, elle en dépendait probablement. De là vient, avant tout, le frisson qui nous saisit devant cette œuvre au noir, dans laquelle la lumière ne parvient jamais à percer complètement les ténèbres. Diane Arbus a photographié avec amour, empathie et voracité.

Diane Nemerov est née en 1923, dans un milieu extrêmement privilégié; elle a grandi entourée de domestiques et de gouvernantes, dans un immense appartement donnant sur Central Park. Ses écrits, comme ceux de son frère, le poète Howard Nemerov, laissent pourtant percevoir la profonde solitude dont ont souffert les enfants dans un milieu corseté par les conventions et obsédé par la réussite sociale.

En 1941, son mariage avec Allan Arbus, qui travaille chez Russek’s, le grand magasin de la Cinquième Avenue à l’origine de la fortune familiale, est l’occasion d’une première rupture dans la vie de Diane. Le couple, qui aura deux enfants, doit prendre son indépendance et fonde, en 1946, une agence de photographie de mode, qui publie dans Glamour ou Vogue. C’est surtout Allan qui photographie; Diane, ayant le titre de directrice artistique, s’occupe essentiellement du stylisme.

Petit à petit, la jeune femme ressent le besoin de s’exprimer photographiquement; elle s’intéresse au travail de Walker Evans, d’August Sander, découvre Eugène Atget et décide de prendre des cours de photographie. Parallèlement, son mariage, image parfaite de l’american way of life, se dissout progressivement; Allan et elle finissent par se séparer en 1959. La troisième vie de Diane Arbus peut commencer.

À la New School of New York, entre 1956 et 1957, Diane Arbus avait suivi les cours de Lisette Model. On a beaucoup écrit sur l’influence que le travail de Model, où le monde marginal des freaks occupe une place importante, a pu avoir sur la photographie de Diane Arbus. Déjà connue à l’époque pour sa photographie sans concessions, celle qui conseillait à ses élèves de photographier «avec leurs tripes» a sans aucun doute poussé la jeune photographe à ce contact direct, sans peur ni compromis avec ses sujets. Il y a chez Arbus comme une faim jamais assouvie d’humanité, et il est possible par ailleurs que certaines photos de Lisette Model aient permis à Diane Arbus d’entre voir un monde nouveau, susceptible d’apporter à la jeune femme de quoi combler ce vide.

On raconte souvent que les peuples primitifs craignaient que la photographie ne dérobe leur âme. On dit parfois que les vampires ne peuvent voir leur reflet dans les miroirs. Il y a du vampire dans la manière dont Diane Arbus photographie les gens. Walker Evans l’appelait Diane la chasseresse, décrivant, au-delà de la référence mythologique, la manière dont la photographe arpentait la ville de New York en quête de ceux dont elle allait faire le portrait. L’appareil de photo est pour Arbus un passeport, un moyen d’aller à la rencontre des gens. C’est cela l’important, la rencontre, l’expérience vécue.

Tous les témoins s’accordent à reconnaître l’intérêt passionné que Diane Arbus manifeste pour ses sujets, son approche d’une sincérité totale. Là où d’autres photographes prennent de la distance, elle cherche à fusionner, à se noyer dans son modèle. Dans le New York des années 60, cette quête éperdue d’intimité la conduit parfois à coucher avec ses modèles. Il existe une célèbre planche-contact, révélée en 2003 par la fille de Diane, Doon, où l’on voit un couple s’embrassant sur un canapé. Sur la sixième image la photographe, nue, a remplacé la jeune femme sur les genoux de l’homme.

Diane Arbus photographie comme si elle cherchait son âme, ou le reflet de celle-ci dans l’humanité fissurée qui contemple l’objectif. Mais derrière chaque succès, derrière chaque sujet enjôlé et conquis, il y a comme un échec. L’image n’est qu’un trophée, une trace, que la photographe, su jette à la dépression, évoquait parfois comme une collection de papillons.

Vers 1962, Diane Arbus troque son Nikon au format classique 24 × 36 contre un Rolleiflex, un appareil moyen format produisant des négatifs carrés 6 × 6, beaucoup plus nets et piqués. Le Rolleiflex est un appareil imposant, bi-objectif, et très lent; son fonctionnement accentue la dimension solennelle et magique de la prise de vues, à des années-lumière de l’instant décisif de Cartier-Bresson. Arbus utilise le flash de manière quasi-systématique, même en extérieur. Cette lumière crue, qui accuse les contrastes et ne voile aucun défaut, contribue à une précision quasi-clinique de la prise de vues.

Diane Arbus pensait sincèrement que sa photographie révélait des choses cachées. Ce sont ces choses cachées qu’elle recherche, qu’elle traque dans chacun de ses sujets. Les êtres changent, heureusement, et ceux qu’Arbus a figés peuvent sembler prisonniers, dans ces clichés carrés, de ce qu’ils ont été un jour, de ce que la photographe a vu en eux. Certains, comme la féministe Germaine Greer, ou son amie Pati Hill, ont raconté leur rébellion contre ce que Greer avait même évoqué comme une sorte de viol.

Les cabossés, les étranges, les pas-comme-les-autres sont la proie privilégiée de cet amour dévorant, parce que leur intimité, leur vérité humaine toute nue, est accessible. Pas de murailles, pas de rites sociaux si parfaitement intégrés qu’ils constituent un rempart derrière lequel seul le diable – le vrai – sait si survit une âme. Diane Arbus n’est pas le diable, elle est une tragédie, celle d’une faille que rien ne peut combler et qui s’achève inéluctablement par un suicide.

S’il subsiste dans ses clichés magnifiques un peu de chacun de ceux qui y sont représentés, alors il est juste et nécessaire de considérer sans ciller le parcours terrifiant et le désespoir de Diane Arbus. Son œuvre: voilà son âme.

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