L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE
Bond qu’elle pullule de fausses fns. Le daguerréotype devait tuer la peinture, Duchamp ranger la sculpture au placard; on dit même que Breton croyait sincèrement, en publiant Les Champs magnétiques, porter un coup fatal au genre du roman. Mais l’art ne meurt pas, il «réagit», en léger diféré – comme une peau atopique. Or voilà que nous recevons un nouveau faire-part de décès de l’art de nos pères, sous forme d’un tableau qui a fait sensation à la dernière Colorado State Fair. Car ce Téâtre d’opéra spatial est une oeuvre numérique, créée par une intelligence artifcielle («AI»), elle-même pilotée – ou seulement stimulée, c’est là qu’est l’os – par un concepteur de jeux vidéo, Jason Allen. Le principe est le suivant: vous donnez en pâture à cette AI quelques mots clés, et c’est alors que la fameuse Midjourney crée une nouvelle image, en recombinant des éléments épars d’oeuvres qu’elle connaît déjà. Et elle en connaît un paquet… Le résultat est incroyable: ce Téâtre d’opéra spatial s’adresse à toutes les couches de notre oeil, des plus primitives (avec ses robes et ses postures préraphaélites, sa construction complexe) aux plus juvéniles (avec son imaginaire entre le cyberpunk et George Lucas). Cet aspect séduisant, tout le monde ou presque le reconnaîtra. Mais voilà, le sacre de l’oeuvre a fait grincer quelques dents: artiste ou escroc, le signataire? C’est que chez l’homme, l’esthétique et l’éthique sont si entrelacées qu’il est presque impossible d’échaufer l’une sans échaufer l’autre – et de proclamer «c’est beau» sans demander aussitôt: «mais est-ce bien?» Des artistes recalés se sont sentis lésés; le jury a été plongé dans l’embarras. Pourtant la défense de Jason Allen fait mouche: il revendique son implication totale dans l’oeuvre, ayant choisi trois images qu’il a fondues et retouchées parmi les neuf cents proposées par le logiciel. Certes, la part de l’homme est réduite; mais n’a-t-on pas fait le même reproche à la photographie, à ses débuts – cet engin bête qui transformerait un âne en artiste, par simple pression sur un bouton? Une fois popularisée, la pratique de l’AI fera émerger ses génies, ses vrais créateurs. Après une période de fottement, notre oeil critique s’aiguisera; nous saurons reconnaître les poncifs visuels de l’AI comme nous reconnaissons aujourd’hui ceux de la photographie; gageons alors qu’on regardera cet épisode comme une date clé de l’histoire de l’art, et non comme son chant du cygne. CB
LE REGARD DES PEINTRES SUR LES SOMMETS
Cette nouvelle exposition du musée d’art et d’histoire de Genève met en valeur le regard de certains artistes sur les montagnes qu’ils ont pour la plupart gravies. Alexandre Calame, Auguste Baud-Bovy, Barthélémy Menn, Ferdinand Hodler sont les principaux peintres présentés dans cette salle. Le parcours s’articule autour d’une cinquantaine d’oeuvres à découvrir selon cinq points de vue diférents: de loin, de près, de dessus, de dessous et de tous les côtés. Selon la position du peintre, le rendu est évidemment varié. OEuvres iconiques ou inattendues qui interrogent l’aspect sauvage ou domestiqué de la nature. Depuis le XVIIIe siècle, naturalistes, biologistes, géologues se lancent dans des expéditions risquées et ouvrent de nouvelles voies se faisant accompagner d’illustrateurs célèbres et d’artistes peintres. Ces derniers, pour réussir l’ascension des sommets, chargés de leur matériel, étaient d’habiles alpinistes! On peint, on dessine en plein air, on s’intéresse aux paysans, aux bergers. On se soucie du respect de ces paysages. L’exposition se fait aussi l’écho des préoccupations contemporaines remettant en cause la nature indestructible… La montagne en perspective, MAH, Genève jusqu’au 12 février 2023.
UNE INVITATION À REGARDER AUTREMENT
Le musée Unterlinden de Colmar consacre une importante exposition à l’artiste Fabienne Verdier en lien avec ses collections et son architecture. Cette mise en scène aborde l’oeuvre de l’artiste de manière inédite. Elle décrit sa rencontre en 2019 et 2022 avec les chefs-d’oeuvre du musée, notamment avec le «Retable d’Issenheim » et le dialogue qui s’établit entre elle et les tableaux. Fabienne Verdier incite à relever l’importance des vibrations de la lumière et l’énergie qui s’en dégage. Elle compare notre fn de vie à celle des étoiles, la mort devient pour elle une énergie transmise aux vivants. Le parcours se fait autour d’un ensemble monumental de soixante-seize tableaux posés comme une oeuvre cinématographique, comme de l’image en mouvement. Fabienne Verdier est née à Paris en 1962, elle a imaginé une manière de peindre à la verticale où la force de gravitation devient centrale. Elle fait corps avec ses pinceaux monumentaux pour réaliser ses créations. Elle collabore avec des scientifques, des musiciens et des écrivains pour saisir les forces qui engendrent les formes. Une exposition unique conçue pour le musée, un voyage inspiré par les traces de l’aura lumineuse du célèbre «Retable d’Issenheim». Fabienne Verdier – Le chant des étoiles, musée Unterlinden, Colmar jusqu’au 27 mars 2023.
ART, FÉMINISME ET HUMOUR
Le musée d’Art de Bâle présente une exposition consacrée au féminisme dans l’art avec un regard empreint d’humour. Une quarantaine d’oeuvres de la collection du musée ainsi que des prêts suisses et internationaux sont exposés dans ce contexte, elles datent des années soixante à quatre-vingt-dix. Parmi les artistes fgurent Sylvie Fleury, Pipilotti Rist, Cindy Sherman, Tracy Rose etc. Cette mise en scène ne prétend pas donner un aperçu des débats féministes passés ou actuels, elle veut montrer que l’humour, le comique et la satire constituent des moyens stylistiques pour aborder le thème féminisme. À partir d’une vision féministe, le côté joyeux, espiègle et irrévérencieux de ce parcours amuse le visiteur. Parodie ou provocation? Une promenade ludique, stimulante et hétéroclite…
Fun et Feminism, Kunstmuseum Bâle jusqu’au 19 mars 2023.
ART BRUT ET BANDE DESSINÉE À LAUSANNE
Deux domaines que tout semble opposer… Pourtant une exposition explore pour la première fois les liens entre ces deux univers. De nombreux créateurs et créatrices de l’Art Brut se sont emparés de l’imagerie et des codes de la bande dessinée. Ils les ont remodelés pour les intégrer à leurs imaginaires et les ont fait dialoguer grâce à leurs traits communs. Certaines oeuvres d’Art Brut montrent que les images conservent toute leur capacité à produire des récits. Bande dessinée et Art Brut convoquent une hétérogénéité de signes et de codes-textes, images, cadres, bulles ou pictogrammes. Les deux brisent la frontière constituée entre le visible et le lisible. On reste fnalement dans l’univers de l’art des marges de ces créateurs. Un univers teinté de solitude avec des oeuvres poignantes, intimes, singulières et surprenantes. Une plongée dans cet « antre de la bande dessinée» grâce à la collection de l’Art Brut et de diverses institutions privées. À ne pas manquer! Art Brut et bande dessinée, collection de l’Art Brut, Lausanne jusqu’au 26 février 2023.
UNE ARTISTE HORS NORME
À l’occasion du bicentenaire de la naissance de Rosa Bonheur à Bordeaux, le musée de sa ville natale et le musée d’Orsay à Paris organisent une importante rétrospective de son oeuvre. Cette artiste novatrice et inspirante, icône de l’émancipation féminine est ici mise à l’honneur. Elle s’engagea pour la reconnaissance des animaux en restituant leur anatomie et leur psychologie. Deux cents oeuvres ont été choisies pour faire redécouvrir au public la puissance et la richesse de sa création, tels que peintures, arts graphiques, sculptures, photographies issus de collections privées et publiques d’Europe et des États-Unis. Née dans une famille d’artistes, elle réalise une création plus qu’abondante, fruit de sa cohabitation avec les animaux et de ses voyages. Elle est fascinée par la beauté sauvage des grands espaces et exerce une vision exceptionnelle sur la fore et la faune d’une manière expressive, réaliste, nourrie de découvertes scientifques et de son attention portée au monde animal. Première femme artiste à recevoir la Légion d’honneur en 1865 ! Elle a su s’associer à d’éminents galeristes et collectionneurs pour dominer le marché de l’art et conquérir une indépendance fnancière. Articles et revues témoignent de sa force inspiratrice fruit de son travail intense. Son oeuvre résonne encore aujourd’hui, sa personnalité permet de se poser de nombreuses questions sociétales plus que jamais d’actualité. Un catalogue, édité à cette occasion, incite le visiteur à comprendre et à dépasser les clichés qu’elle a construits en donnant une vision des multiples aspects de l’oeuvre de Rosa Bonheur. Rosa Bonheur (1822-1899), musée d’Orsay, Paris jusqu’au 15 janvier 2023.
UN DIALOGUE EN PARFAITE HARMONIE
Deux peintres exceptionnels appartenant à deux générations diférentes sont remis au devant de la scène. Deux artistes inspirés par la lumière, la nature et les paysages sont réunis dans cette exposition à travers une soixantaine d’oeuvres qui montrent leur regard artistique et poétique. L’oeil du spectateur est aspiré selon un procédé optique pour l’immerger dans un paysage sans limites. Joan Mitchell ( 1925-1992), comme beaucoup d’expressionnistes abstraits, a regardé de près l’oeuvre tardive de Claude Monet (1840-1926) et ses expérimentations visuelles à la limite du non-fguratif pour développer, elle aussi, une création faite de pures sensations. L’immense espace Louis Vuitton fait dialoguer les grands formats de ces deux artistes en créant des correspondances visuelles hypnotiques. Claude Monet crée un paysage avant de peindre, Joan Mitchell découvre le paysage en peignant le «feeling ». Un choc esthétique où l’émotion prime pour tous les deux … Une rétrospective sur l’ensemble de l’oeuvre de Joan Mitchell vient compléter ce parcours dans la partie basse de la Fondation. Claude Monet – Joan Mitchell, Dialogue et rétrospective, Fondation Louis Vuitton, Paris jusqu’au 27 février 2023.
UNIVERSALITÉ DE LA CULTURE CÉRAMIQUE
Pour les soixante-dix ans de l’Académie Internationale de la Céramique (AIC), le musée Ariana consacre trois expositions: Migration(s) / Connexions / Vocation. En septembre 2022, le 50e congrès de l’AIC s’est tenu à Genève sous le thème «Melting Pot». Par cette exposition, le musée Ariana s’est associé à cette thématique en mettant l’accent sur un concept qui s’applique à diférents domaines de la céramique. Il concerne les techniques liées au médium, les échanges entre professionnels. C’est une référence également aux migrations des peuples. L’exposition fait cheminer le visiteur au coeur de parcours insolites, de trajectoires de vie et d’échanges culturels. Trente trois artistes de vingt nationalités diférentes sont mis en scène en portant leur touche au coeur de ce circuit. Elle regroupe aussi cinquante ans de dons oferts au musée. Entre transfert de savoir-faire, transhumance, multiculturalisme, la terre peut rassembler et transgresser les frontières… Des découvertes intéressantes! MIGRATION(S), musée Ariana, Genève jusqu’au 19 mars 2023.
LES GRANDS ARTISTES DE LA RENAISSANCE ITALIENNE À PARIS
L’Hôtel de la Marine fait rêver avec sa nouvelle exposition qui nous invite à découvrir Venise, son
histoire, sa culture et ses trésors. Le célèbre musée vénitien Ca’ d’Oro ferme ses portes pour restauration et prête de nombreuses pièces inestimables à l’Hôtel de la Marine. Plus de soixante-dix œuvres des plus grands artistes de la Renaissance italienne: Pisanello, Tintoret, Titien, Bellano, Riccio et bien d’autres … Le tableau «Saint Sébastien» d’Andrea Mantegna quitte pour la première fois les murs de la Ca’ d’Oro depuis un siècle, l’un des plus majestueux palais construit au XVe siècle sur le Grand Canal à Venise. Deux fois par an , la collection Al Tani invite une collection étrangère. Une présentation exceptionnelle à ne pas manquer ! Un catalogue édité pour cette occasion donne un aperçu fascinant des chefs-d’œuvre de la galerie vénitienne Giorgio Franchetti alla Ca’ d’Oro. Une exploration de l’art et de l’histoire de la Sérénissime. CA’ D’ORO, chefs-d’œuvre de la Renaissance à Venise, Hôtel de la Marine, Paris jusqu’au 26 mars 2023.