ELLIOTT ERWITT • La galerie d’Artpassions

Avant d’être oubliés, nous serons changés en kitsch. Le kitsch, c’est la station de correspon-dance entre l’être et l’oubli». Par cette prophétie, faite en 1984 avec la publi cation de L’Insoutenable légèreté de l’être, Milan Kundera nous offrait un aperçu du devenir des objets culturels dans notre modernité tardive : avant de disparaître, ils atteindraient leur point d’incandescence par le kitsch – soit une forme consommable, aisément reproductible, et por-teuse de valeurs ou d’idées simples. Le portrait du Che (révolte), la Joconde (mystère), Van Gogh (folie)… Faire vivre une œuvre, comme le musée Maillol à Paris le propose avec celle du photo-graphe Elliott Erwitt, c’est justement remonter le courant de ce flux « simplificateur », et refuser de figer un artiste dans quelques images devenues trop tôt clichés. Car des photos célébrissimes, Erwitt en a quelques-unes en magasin. Ce photographe américain, né à Paris en 1928, de parents émigrés russes, a déjà accompli – et plus d’une fois – ce miracle consis-tant à fixer, sur une surface rectangulaire enduite de sels d’argent, un agencement de formes qui plaît à l’œil humain, et non seulement à l’œil d’un peuple, d’une sensibilité, mais à celui du monde entier. Pensons seulement à Dog legs, cette pho-tographie (de commande – on ne remerciera jamais assez les commanditaires, véritables cata-lyseurs d’art, comme Joost Vijdt, le marguillier de Gand qui commanda aux frères Van Eyck un certain Agneau mystique), cette photographie donc où l’on voit, dans l’ordre occidental qui lit de gauche à droite, les pattes...

Avant d’être oubliés, nous serons changés en kitsch. Le kitsch, c’est la station de correspon-dance entre l’être et l’oubli». Par cette prophétie, faite en 1984 avec la publi

cation de L’Insoutenable légèreté de l’être, Milan Kundera nous offrait un aperçu du devenir des objets culturels dans notre modernité tardive : avant de disparaître, ils atteindraient leur point d’incandescence par le kitsch – soit une forme consommable, aisément reproductible, et por-teuse de valeurs ou d’idées simples. Le portrait du Che (révolte), la Joconde (mystère), Van Gogh (folie)… Faire vivre une œuvre, comme le musée Maillol à Paris le propose avec celle du photo-graphe Elliott Erwitt, c’est justement remonter le courant de ce flux « simplificateur », et refuser de figer un artiste dans quelques images devenues trop tôt clichés.


Car des photos célébrissimes, Erwitt en a quelques-unes en magasin. Ce photographe américain, né à Paris en 1928, de parents émigrés russes, a déjà accompli – et plus d’une fois – ce miracle consis-tant à fixer, sur une surface rectangulaire enduite de sels d’argent, un agencement de formes qui plaît à l’œil humain, et non seulement à l’œil d’un peuple, d’une sensibilité, mais à celui du monde entier. Pensons seulement à Dog legs, cette pho-tographie (de commande – on ne remerciera jamais assez les commanditaires, véritables cata-lyseurs d’art, comme Joost Vijdt, le marguillier de Gand qui commanda aux frères Van Eyck un certain Agneau mystique), cette photographie donc où l’on voit, dans l’ordre occidental qui lit de gauche à droite, les pattes d’un chien plutôt haut du garrot, les bottes au cuir plissé près de la malléole d’une femme dont le haut est caché par la fin d’un manteau en laine, et – troisième tiers à droite – une sorte de chihuahua ou de chien russe minuscule, vêtu d’un bonnet et d’un petit pardes-sus à pompons.

Dans le chapitre « Vous connaissez forcément… », notons aussi California kiss, ces deux amants heu-reux qui s’embrassent dans le rétroviseur rond d’une voiture au bord de la mer (rond comme le miroir à l’arrière-plan des Époux Arnolfini, pour rester dans les Van Eyck) ; Wilmington, North Carolina, segre-gation…, cette photo célèbre où un homme noir se penche sur un lavabo « Colored » (de couleur), à côté d’un plus grand lavabo « White » (blanc), et qui en dit plus long que tant de discours ; mais aussi cette photo d’un petit garçon sur le porte-bagages du vélo de son grand-père, portant comme lui un béret noir, deux baguettes de pain attachées derrière, sur une route bordée d’arbres : Provence. Comme si la ville de naissance d’Erwitt avait laissé sur lui l’em-preinte humaniste de Doisneau, de Ronis, d’Izis – où l’on voit que la photographie parisienne a moins à voir avec une ascendance réelle qu’avec une assimilation imaginaire.


Mais Erwitt, ce n’est pas que le contraste du noir et blanc. L’exposition nous donne aussi à voir du plus pigmenté, avec notamment cette photo de tournage de Misfits où l’on observe une Marilyn Monroe en Schtroumpfette entourée d’hommes, parmi lesquels son mari Arthur Miller mais aussi Clark Gable, ou cet autre cliché de showgirls dans un spectacle du Nevada : fard, lumières et ennui mortel. C’est un luxe, pour un artiste, d’être pluriel. Mais comment eût-il pu en être autrement, venant d’un homme qui fut de nulle part et de partout ? Intégrant l’agence Magnum à vingt-cinq ans grâce à Robert Capa, Erwitt en devint le président quinze ans plus tard, en 1968. Et quand il ne réalisait pas des films do-cumentaires ainsi que des comédies (dix-sept à son actif comme producteur !) dans les années soixante-dix, il réalisait des travaux pour des magazines, des industriels et des agences publicitaires. Pourtant ce touche-à-tout ne devint jamais cynique, comme son amour des chiens aurait pu le laisser penser à un féru d’étymologie : de chacune de ses images émane une qualité infalsifiable – la tendresse.

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