Fantin-Latour

Longtemps, Henri Fantin-Latour fut connu du public pour un unique motif, sans rapport avec son talentd’artiste: aucun peintre, à part lui, n’a jamais fait le portrait du plus fulgurant poète de tous les temps, Arthur Rimbaud. Encore le fit-il dans le cadre d’un tableau collectif, fort sage et fort académique, où le génie est du côté du modèle plutôt que de l’artiste. Mais Fantin-Latour mérite mieux que cette gloire anecdotique. L’importante exposition que lui consacre la Fondation de l’Hermitage à Lausanne dévoile un créateur plus complexe et plus audacieux qu’on ne croyait. D’abord, si les portraits collectifs sont la part la plus académique de sa création, ses nombreux autoportraits, placés sous l’inspiration de Rembrandt, témoignent d’une liberté de touche et d’une perspicacité qui ne sont pas indignes du maître. Ensuite, les très nombreuses natures mortes de Fantin-Latour révèlent cette fois un authentique disciple de Chardin et des Hollandais: ses casseroles de cuivre, ses bouquets de fleurs ou ses tranches de melon nous entraînent, comme les chefs-d’œuvre de ces prédécesseurs, à confondre décidément et délicieusement le sens de la vue et celui du toucher.Mais la grande découverte que nous permet l’exposition de l’Hermitage, ce sont les « sujets d’imagination », que Fantin-Latour lui-même opposait, dans sa création, aux «sujets d’observation»: à l’étroit dans la seule restitution réaliste des êtres et des choses, refusant de limiter le visible au réel, il a peint ou lithographié des sujets de pure de fantaisie et des thèmes mythologiques, principalement des épisodes tirés des opéras de...

Longtemps, Henri Fantin-Latour fut connu du public pour un unique motif, sans rapport avec son talentd’artiste: aucun peintre, à part lui, n’a jamais fait le portrait du plus fulgurant poète de tous les temps, Arthur Rimbaud. Encore le fit-il dans le cadre d’un tableau collectif, fort sage et fort académique, où le génie est du côté du modèle plutôt que de l’artiste. Mais Fantin-Latour mérite mieux que cette gloire anecdotique. L’importante exposition que lui consacre la Fondation de l’Hermitage à Lausanne dévoile un créateur plus complexe et plus audacieux qu’on ne croyait. D’abord, si les portraits collectifs sont la part la plus académique de sa création, ses nombreux autoportraits, placés sous l’inspiration de Rembrandt, témoignent d’une liberté de touche et d’une perspicacité qui ne sont pas indignes du maître. Ensuite, les très nombreuses natures mortes de Fantin-Latour révèlent cette fois un authentique disciple de Chardin et des Hollandais: ses casseroles de cuivre, ses bouquets de fleurs ou ses tranches de melon nous entraînent, comme les chefs-d’œuvre de ces prédécesseurs, à confondre décidément et délicieusement le sens de la vue et celui du toucher.Mais la grande découverte que nous permet l’exposition de l’Hermitage, ce sont les « sujets d’imagination », que Fantin-Latour lui-même opposait, dans sa création, aux «sujets d’observation»: à l’étroit dans la seule restitution réaliste des êtres et des choses, refusant de limiter le visible au réel, il a peint ou lithographié des sujets de pure de fantaisie et des thèmes mythologiques, principalement des épisodes tirés des opéras de Wagner, un compositeur qu’il vénérait. Il a par exemple «illustré» en couleurs le Prélude de Lohengrin, un peu comme Baudelaire l’avait fait en mots quelques années auparavant. Ces œuvres parfois envoûtantes, surtout les lithographies qui font du blanc un usage étrange, extrêmement personnel, anticipent sur le symbolisme, et lui vaudront en son temps une célébrité qu’il n’avait pas conquise par ses tableaux d’«observation».Le mystère auquel se heurtent cependant les critiques, c’est celui de cette dualité, de cette coupure radicale entre le peintre scrupuleux de portraits ou de natures mortes et ce rêveur musicien. Comment les concilier?L’exposition de l’Hermitage ne montre pas le fameux Coin de table du Musée d’Orsay, où figure le jeune Rimbaud. Mais elle propose un très beau portrait de Rimbaud seul (mélange de crayon, de lavis et de gouache), qui servit d’esquisse au grand tableau. Eh bien, regardons les cheveux fous, comme flottant au vent, et le doux regard de ce visage féminin: ne découvrons-nous pas, dans cette «œuvre d’observation», l’univers flottant, estompé, impalpable, des futures «œuvres d’imagination» ? Sans le savoir peut-être, Fantin-Latour faisait ici la synthèse de lui-même. Qu’il ait peint Rimbaud ne relève peut-être pas seulement de l’anecdote.

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