Frémissement du temps Titien

Après Vienne, Venise consacre une exposition au «Dernier Titien», qui réunit les chefsd’œuvre de la vieillesse du peintre.Les tableaux du dernier Titien sont très singuliers : leur dessin paraît s’estomper, leurs formes deviennentplus vagues; la touche est plus large et plus visible, la palette de couleurs se réduit. De ces œuvres se dégage l’impression de non finito. Quel sens faut-il donner à ce «style tardif», qu’on a parfois appelé «stile di macchia» (style tachiste) ? S’agirait-il, comme le sousentendait Vasari, d’une faiblesse de vieillard, qui appauvrit l’œil et fait trembler la main ? S’agirait-il plutôt, comme d’autres critiques l’ont soutenu, d’une sorte de désinvolture élégante, celle du Courtisan que décrivait Baldassare Castiglione ? Ou bien encore d’une volonté prométhéenne de ne plus imiter la nature, mais de rivaliser avec elle en donnant à voir, avec la trace du pinceau, le geste créateur du peintre ?Quoi qu’il en soit, Vasari se trompait: le «style tardif» du Titien n’est pas l’effet d’une vieillesse débilitante, et son tremblement n’est pas celui de l’âge. Regardons l’Autoportrait du Prado ou le Saint Jérôme de la collection Thyssen. Tous les deux se distinguent, c’est vrai, par une gamme chromatique réduite, une extrême sobriété du décor, une touche brumeuse (cette brume qui, au demeurant, ne saurait surprendre à Venise). Mais avec cela, grâce à tout cela, un équilibre, une autorité, une sagesse sereine, pour ne pas dire sérénissime, une fermeté extraordinaire. Nul tremblement, mais un frémissement. Le style tardif du Titien, estompé, n’en est pas moinsépuré, et...

Après Vienne, Venise consacre une exposition au «Dernier Titien», qui réunit les chefsd’œuvre de la vieillesse du peintre.
Les tableaux du dernier Titien sont très singuliers : leur dessin paraît s’estomper, leurs formes deviennentplus vagues; la touche est plus large et plus visible, la palette de couleurs se réduit. De ces œuvres se dégage l’impression de non finito. Quel sens faut-il donner à ce «style tardif», qu’on a parfois appelé «stile di macchia» (style tachiste) ? S’agirait-il, comme le sousentendait Vasari, d’une faiblesse de vieillard, qui appauvrit l’œil et fait trembler la main ? S’agirait-il plutôt, comme d’autres critiques l’ont soutenu, d’une sorte de désinvolture élégante, celle du Courtisan que décrivait Baldassare Castiglione ? Ou bien encore d’une volonté prométhéenne de ne plus imiter la nature, mais de rivaliser avec elle en donnant à voir, avec la trace du pinceau, le geste créateur du peintre ?Quoi qu’il en soit, Vasari se trompait: le «style tardif» du Titien n’est pas l’effet d’une vieillesse débilitante, et son tremblement n’est pas celui de l’âge. Regardons l’Autoportrait du Prado ou le Saint Jérôme de la collection Thyssen. Tous les deux se distinguent, c’est vrai, par une gamme chromatique réduite, une extrême sobriété du décor, une touche brumeuse (cette brume qui, au demeurant, ne saurait surprendre à Venise). Mais avec cela, grâce à tout cela, un équilibre, une autorité, une sagesse sereine, pour ne pas dire sérénissime, une fermeté extraordinaire. Nul tremblement, mais un frémissement. Le style tardif du Titien, estompé, n’en est pas moinsépuré, et n’a rien perdu de son intensité ni de son aura charnelle.Voici un tableau qui devrait être épouvantable, Le supplice de Marsyas, ce satyre de la mythologie qui fut écorché pour avoir défié Apollon. On s’est demandé si Titien ne l’avait pas peint en mémoire de Marcantonio Bragadin, défenseur malheureux de Famagouste, capturé puis écorché par les Turcs en 1571. Or ce qui frappe dans ce tableau, c’est sa puissance de vie, et, une fois encore, sa sérénité, comme si les coloris enveloppaient la souffrance dans leur voile délicat, comme si la lumière mettait son baume sur les plaies de Marsyas, qui nous regarde sans crier.Bien sûr, quand le sujet du tableau n’est plus violence mais douceur, comme dans Vénus bande les yeux de l’Amour, ou La Vénus au joueur de luth, la sensualité s’ajoute à la sérénité («la sensualité de la peinture» est d’ailleurs le sous-titre de l’exposition). Une sérénité qui habite le regard des portraits du vieux Titien, comme celui, grandiose, du doge Andrea Gritti; une sérénité qui habite même et surtout les regards animaux. Voici une toile intitulée Enfant avec chiens dans un paysage. Dans le coin inférieur gauche, une chienne allaite ses petits, et nous regarde. Avec une gravité, une profondeur, une sérénité trop grandes et trop mystérieuses pour être humaines, et qui ne peuvent appartenir qu’à la nature – sauf qu’elles appartiennent aussi parfois à la peinture, celle d’un grand maître en son grand âge.

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