GABRIELE M. ROSSI UN NOUVEAU RAPPORT AU MONDE, À LA LUMIÈRE, À LA MODERNITÉ

Révélé à moins de quarante ans, par la marina de Lutry posée sur l’eau comme une pièce de Land Art et l’espace muséal de la Fondation Bodmer à Genève conçu avec Mario Botta, l’architecte milanais établi en Suisse s’impose désormais comme le puriste qui bouleverse la notion de frontière entre intérieur et extérieur. De l’iconique villa d’Épalinges étirée et surélevée sur les traces d’un petit pavillon avant-gardiste construit dans les années soixante par Jacques Felber, au quartier résidentiel sur les hauts de Lutry, du nouveau siège administratif de la Mediterranean Shipping Company à Genève, au projet de tour dans une zone mixte aux abords de Lausanne… C’est tout cela qu’évoque Gabriele Rossi, par mots, par gestes et par esquisses, avec une flamme d’intelligence passionnée au fond du regard. Sur les murs de son bureau à Pully, ancienne bâtisse des années quarante mise en valeur par la dématérialisation de la couleur, on voit des croquis, des photos de villas étendues à l’horizontale, comme le Léman (l’horizontalité du paysage sera intégrée à sa conception de l’architecture). Des images presque abstraites de détails d’où jaillit la lumière d’un seul trait d’ombre. Des déclinaisons de volumes en cascades épousant la pente des coteaux de vignes. Des terrasses qui prennent possession du vide pour se livrer au paysage, tels des éclats suspendus donnant au néant figure et mouvement. Devant ces sculptures blanches et pures, l’on songe aux architectures fastueuses d’autrefois, celles de Milan, Florence, Rome, villes que l’architecte italien ne cesse d’arpenter chaque fois qu’il...

Révélé à moins de quarante ans, par la marina de Lutry posée sur l’eau comme une pièce de Land Art et l’espace muséal de la Fondation Bodmer à Genève conçu avec Mario Botta, l’architecte milanais établi en Suisse s’impose désormais comme le puriste qui bouleverse la notion de frontière entre intérieur et extérieur.

De l’iconique villa d’Épalinges étirée et surélevée sur les traces d’un petit pavillon avant-gardiste construit dans les années soixante par Jacques Felber, au quartier résidentiel sur les hauts de Lutry, du nouveau siège administratif de la Mediterranean Shipping Company à Genève, au projet de tour dans une zone mixte aux abords de Lausanne… C’est tout cela qu’évoque Gabriele Rossi, par mots, par gestes et par esquisses, avec une flamme d’intelligence passionnée au fond du regard. Sur les murs de son bureau à Pully, ancienne bâtisse des années quarante mise en valeur par la dématérialisation de la couleur, on voit des croquis, des photos de villas étendues à l’horizontale, comme le Léman (l’horizontalité du paysage sera intégrée à sa conception de l’architecture). Des images presque abstraites de détails d’où jaillit la lumière d’un seul trait d’ombre. Des déclinaisons de volumes en cascades épousant la pente des coteaux de vignes. Des terrasses qui prennent possession du vide pour se livrer au paysage, tels des éclats suspendus donnant au néant figure et mouvement.

Devant ces sculptures blanches et pures, l’on songe aux architectures fastueuses d’autrefois, celles de Milan, Florence, Rome, villes que l’architecte italien ne cesse d’arpenter chaque fois qu’il le peut, pour dessiner et dessiner encore les œuvres de Palladio, de Bramante ou de Brunelleschi: «À travers la Renaissance et le Baroque, j’ai formé mon œil et ma perception de l’architecture.» Il y décèle la beauté mesurée du nombre d’or, la pleine harmonie du rythme des façades. Des bâtiments anciens en général, il retient aussi la façon que l’on a d’y pénétrer. Non pas par la traversée abrupte et à la fois quasi intangible d’un simple vitrage comme l’ont voulue les modernités minimalistes du XXe siècle, mais par une lente progression à travers des espaces intermédiaires, cours, halls ou avant-corps.

Fascination de l’entre-deux

Son sens du passé donne aujourd’hui une vigueur inattendue à la notion de passage qui intrigue et obsède Gabriele M. Rossi. Le passage d’un temps à un autre, quand il relie deux générations autour d’un projet, à l’image justement de la villa d’Épalinges: «En concevant cette extension, j’ai tenu à garder intact l’esprit de l’ouvrage préexistant, étendu sur un seul niveau, très épuré pour l’époque. En reprenant la structure, les entraxes, c’est-à-dire le rythme, mais avec un programme différent, j’ai tenté de poursuivre un récit dans le paysage» raconte l’architecte. Mais le passage auquel il se livre sans compter, c’est cet entre-deux qui abroge la limite physique entre intérieur et extérieur, en faisant éclater les parois en fragments de corps, terrasses, pergolas, portiques, interstices et fluidités lumineuses qui s’aimantent les uns les autres et composent une épaisseur constructive ouverte à une grande richesse de perception.

Le bâtisseur qui réfutait déjà les vaines profusions post-modernistes lors de ses années new-yorkaises n’a fait qu’exacerber sa soif de sobriété dès son retour en Suisse, jusqu’à toucher l’extrême de l’épure formelle, la boîte de verre. De 1989 à la fin des années 1990, dix ans de quête pour atteindre le dépouillement total avec la villa conçue à Jouxtens-Mézery, en périphérie lausannoise. Un aboutissement, comme l’est aussi l’éclosion de nouveaux questionnements sur la notion de seuil qu’il dilate dès lors en séquences spatiales, poussant l’idée jusqu’à opposer aux sempiternelles façades rideaux, des enveloppes en couches aux fonctions distinctes.

Parmi les dernières réalisations éloquentes en la matière, le siège de MSC, à Genève. La réhabilitation complète d’un ouvrage des années soixante, dix étages de troublante transparence. Une élégante figure identitaire dressée en écho à la grande capacité technique que la compagnie manifeste dans la gestion et le contrôle d’une importante flotte naviguant à travers le monde. Des façades différenciées selon leur orientation, en fonction des enjeux énergétiques et du contexte environnant. Et ce sentiment d’espace magnifique qui émane de la façade principale tournée vers la ville, avec son voile courbe détaché de l’enveloppe primaire, structuré selon une géométrie indépendante de celle des différents étages. Qu’on ne s’y trompe pas: dans l’image qui remodèle l’ancienne bâtisse et marque le quartier planifié par Maurice Braillard en 1955, il n’y a place pour aucune vision figée d’un souvenir. Rien que ce qu’il faut d’intelligence, de sensibilité créative et d’audace constructive pour allier le passé au futur.

GABRIELE M. ROSSI Fondateur du bureau Archilab à Pully, sur la Rivera vaudoise, Gabriele Rossi est né à Milan en 1960. Il fait ses études en Italie et en Suisse et reçoit son master en architecture et urbanisme de l’Université Columbia à New York, en 1985. Dès lors, il multiplie les expériences auprès d’architectes renommés, tels que Richard Meier, Bob Stern et Kenneth Frampton. Passant du monde vertical à l’horizontalité du lac Léman – il est appelé en 1989 par l’École Polytechnique de Lausanne où il occupe une chaire d’urbanisme auprès du professeur Ervin Galantray. Parallèlement, il ouvre son propre bureau. Parmi ses réalisations phares: le Musée de la photographie de l’Élysée, à Lausanne, la marina de Lutry, le Musée du livre pour la Fondation Bodmer à Genève, en association avec Mario Botta, la lumineuse métamorphose de la villa Kruger à Pully. www.archilab.ch

LITTÉRATURE ARCHITECTURALE Archilab Gabriele M. Rossi, édité par Infolio en 2009, marque les vingt ans de son bureau vaudois. L’ouvrage de 350 pages présente une trentaine de réalisations majeures. Légendes. Jaunes: à démolir, rouge: à reconstruire, G. Rossi en coll. avec Nadja Maillard, Infolio, 2012, présente la villa d’Épalinges. Accompagnée d’un texte tramé entre réalité et fiction, cette monographie sera suivie par la mise en lumière du siège de la MSC à Genève et de la transformation du garage Beau-Rivage à Lausanne en logements de haut standing. Une trilogie, écho de trois œuvres des années soixante portées vers l’avant par une nouvelle modernité.

«Le bronze est nerveux comme la vie, résistant comme le temps qui passe, indifférent comme la mort.»

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