Joana Vasconcelos est l’invitée d’honneur de la soixante-dixième édition de l’incontournable rendez-vous belge, qui se tiendra du 25 janvier au 2 février prochains. Joie en perspective !
Tout commença dans la salle Arlequin de la Galerie Louise, en 1956, à Bruxelles, sous la bannière « Foire des Antiquaires ». La manifestation plut, prit de l’ampleur, déménagea deux fois – au Palais des Beaux-Arts en 1968, à Brussels Expo en 2022 – sans jamais se départir de ses deux maîtres-mots : qualité, éclectisme. L’histoire dure, et avec elle la joie des découvertes : 2025 sera l’année de la soixante-dixième édition de BRAFA Art Fair. À ce type de manifestations forcément hétéroclites, et à ce millésime festif, s’accorde à merveille l’uni-vers de celle qui fut choisie comme invitée d’hon-neur de l’évènement, chantre et critique – cha-man ? – de la société de consommation, Joana Vasconcelos. Qui ne se souvient des décoiffantes installations que la plasticienne portugaise présen-ta au château Versailles en 2012, particulièrement Marylin – deux immenses stilettos argent, tout en casseroles, trônant dans la galerie des Glaces là où jadis le Roi-Soleil attendait, en haut de quelques marches recouvertes de tissus précieux, les ambas-sadeurs de Siam ou le doge de Gênes –, Marylin que semblaient accompagner à bonne distance deux gros grigris suspendus, deux génies évanes-cents, tout ajourés, Cœur indépendant noir dans le salon de la Guerre et Cœur indépendant rouge dans le salon de la Paix ? Qui ne se souvient de ce lustre exposé à la Biennale de Venise sept ans plus tôt, La Fiancée, fait pour que des princes et des princesses virevoltent sous ses lumières, constitué de ce qui semblait être, non du cristal, mais des cotillons, et qui n’en étaient même pas, car c’était des tampons hygiéniques emballés ? Joana Vasconcelos tisse : la banalité & le panache, l’ef-fet « éléphant dans la pièce » & la finesse extrême, les fruits du progrès technique & les falbalas sans âge, l’ironie & la poésie, le mignon & le mons-trueux, le cliché & l’inouï… Témoin, cette Blue Rose que l’artiste créa en 2016, présentée sur le stand de la galerie La Patinoire Royale Bach, et qui tient à la fois de la fourragère, du sautoir, du lam-pion, du câble sous-marin, de la méduse, du col-lier de la Reine, du couvre-théière, du carrousel, de la guirlande, de la quenouille, de l’embrasse…
Mais pour la suite de notre petite exploration de l’édition 2025 de BRAFA Art Fair, prenons jus-tement, pour fil rouge, le fil, pour guide – dans ce labyrinthe d’enseignes et de propositions allé-chantes –, cette composante essentielle de l’œuvre de Joana Vasconcelos, l’élément textile.
Nous serons ainsi attirés par ces cordelettes, ces nœuds, ces pompons – trois mots à ajouter à la seconde litanie déroulée ci-dessus – qui, formant comme deux pyramidions de Pei, se détachent sur la bure de ce Saint Jérôme en calcaire, daté de la fin du XVe siècle, présenté par Dei Bardi Art. Admirable sculpture bourguignonne, dont le sommet paraît aussi ancré que la base, dont les lignes de force et les proportions invitent à ré-fléchir : on ne peut plus massifs, le chapeau et la tête, on ne peut plus petit, le lion dressé sur ses pattes arrière, au pied de l’ermite-cardinal, léchant cette main qui l’a soigné… Forces de l’esprit ! On croit voir un bon maître et son beau chien. On sera saisi – à plus forte raison évidemment – par la même impression, soit celle de la beauté de la fidélité, devant le groupe en marbre néoclassique de Joseph Gott exposé sur le stand d’Artimo Fine Arts, Ulysse et son chien. Le perspicace héros de re-tour de Troie avance encore incognito, à Ithaque, bien décidé à recouvrer tout son honneur et tous ses biens, quand l’arrête Argos, son compagnon d’autrefois qui seul, après vingt ans, le reconnaît immédiatement, et peut alors mourir. Pendant ce temps, on le sait, Pénélope, non moins fidèle, re-mettait sans cesse son ouvrage sur le métier. À ce propos, trois très belles tapisseries sont proposées aux amateurs et aux acheteurs, dans cette foire de Bruxelles, terre de tentures s’il en est : l’une, pré-sentée par De Wit Fine Tapestries, exécutée dans le second quart du XVIe siècle et d’une fraîcheur réjouissante, presque odorante, offre au regard un renard, un lièvre et deux oiseaux disposés en quin-conce, sur un fond et dans une bordure richement fleuris ; une autre, réalisée à la même époque et présentée non loin de notre petit Jérôme, chez Dei Bardi Art, montre dans un cadre somptueux, si-non féerique, le martyre de sainte Barbe ; la troi-sième, sorte de fugue beige-bleu-rouge-noir-jaune, présentée par Hadjer, est signée Alexander Calder et s’intitule Feuilles d’automne.
« La plus follement précieuse de toutes les pièces composant le trousseau du genre humain, le plus signifiant de tous les linges qu’on tissa ou tricota jamais, si jamais il le fut un jour, la plus belle occasion d’envolées formelles, à la Joana Vasconcelos… », ainsi songera-t-on peut-être, face à la délicate Crucifixion de Willem Adriaensz Key que propose la galerie Colnaghi – qui participe à la foire belge pour la première fois –, en consi-dérant le linge ceignant Jésus, le périzonium. « Il s’agit d’exalter l’Incarnation, de souligner en cou-vrant… » Mais s’il nous est permis de proposer ici un accrochage temporaire, de faire dialoguer sur le papier cette toile avec une toile – de même époque – présentée par un participant historique de BRAFA Art Fair, plaçons ici en guise de suite et fin la Résurrection de Pieter Brueghel le Jeune propo-sée par De Jonckeere. Au périzonium répondent maintenant le long manteau rouge du Verbe fait chair, royal, ourlé comme un œillet, et le gonfa-non crucifère suspendu à une hampe cruciforme symbolisant sa victoire définitive – qu’il nous pro-pose de faire nôtre – sur la mort. Approchons en-core deux belles œuvres qui pourraient évoquer, comme de loin, le percement du côté du Christ en même temps que le voile déchiré du Temple, le tombeau ouvert en même temps que le tom-beau vide, l’ombre des limbes en même temps que la plénitude de l’éternité : Concetto spaziale, Attese de Lucio Fontana (on songe aux crevés des cos-tumes anciens), et Ex Hale de Ben Storms (ma-telas gonflable, dalle, table ?), qu’on ira respecti-vement découvrir sur le stand de Cortesi Gallery et sur celui d’Objects With Narratives (autre nou-velle recrue 2025).