Henri de Toulouse-Lautrec a 20 ans en 1884, lorsqu’il s’installe à Mont martre, dans la maison abritant l’atelier d’Edgar Degas. Tout en continuant à suivre les leçons du peintre académique Fernand Cormon, il fréquente assidûment les lieux d’amusement du quartier, comme le cabaret d’Aristide Bruant, Le Mirliton, ou, au sommet de la Butte, Le Moulin de la Galette, peint par Renoir huit ans plus tôt. Cette même année 1884, Lautrec participe pour la première fois à une exposition collective qui se tient non à Paris, mais à Pau.
En 1889, il prend part au Salon des artistes indépendants, ce qu’il réitérera chaque année jusqu’en 1894. Deux ans plus tard, il expose en compagnie des impressionnistes et des symbolistes. Ses sources d’inspiration sont désormais, outre Le Moulin Rouge, les maisons closes de la rue des Moulins et de la rue d’Amboise.
Mais c’est de 1893 que date la première exposition personnelle de Lautrec. Elle a lieu chez le marchand d’art Boussod, Valadon & Cie, Successeurs de Goupil & Cie, 19, boulevard Montmartre, à Paris. L’artiste partage les cimaises avec le peintre graveur Charles Maurin, son aîné de huit ans.
On possède la lettre, datée du 27 janvier, dans laquelle Lautrec annonce l’événement. Elle est adressée au critique d’art André Marty, directeur de la revue L’Estampe originale. On y lit: «Vous pouvez venir demain après midi voir notre exposition de façon à pouvoir en dire beaucoup de bien lundi.» Voilà une invitation sans détour !
Pour sa missive, Lautrec s’est servi du papier à entête de la galerie d’art. Et il a signé «Lautrec», avec le H du prénom combiné au L, selon son habitude.
Tel qu’il est conservé, le document comporte un tampon, à l’encre violette, figurant une chouette. Faut-il l’attribuer à l’auteur, ou à une autre main ? On l’ignore.
À l’évidence, Lautrec ne se reposait par sur son galeriste pour la publicité. Il assumait lui-même sa part. D’où la seconde lettre, expédiée le même jour, qui s’est aussi conservée. Le destinataire en est cette fois le critique Roger-Marx, collaborateur de Marty à L’Estampe.
De la même année 1893 date un intéressant dessin de Lautrec. Il représente un homme en buste, de profil, portant col cassé et cravate bouffante. Sa tête se caractérise par un long nez, dans le prolongement du front oblique, un œil étiré et charbonneux, un sourcil froncé, une moustache fine et une chevelure plate, avec favori coupé droit. Ce personnage, sans doute subalterne, n’est pas sans rappeler le dresseur de chevaux qu’on peut voir dans le tableau intitulé L’Écuyère (1888), premier grand chef-d’œuvre de Lautrec, aujourd’hui conservé à Chicago.
Le dessin a fait partie des collections M. Grubère et M. Galant, avant de passer en vente publique, il y a près de 30 ans. Répertorié dans le DORTU, sous le numéro 3.435, il se trouve reproduit dans LAUTREC II de Maurice Joyant, à la page 202, avec la mention «tête d’homme – plume sur une enveloppe verte – 0,15 x 0, 145 – cachet monogramme».
Maurice Joyant, condisciple de Lautrec au lycée Condorcet, fut son ami intime et fidèle. Marchand d’objets d’art, il avait pris, en 1890, la succession de Théo Van Gogh comme gérant de la maison Goupil, citée plus haut, et, à ce titre, avait consacré à Lautrec une exposition d’importance (1896). Il devint son biographe, et c’est à son initiative, avec le soutien de la comtesse Adèle, mère de l’artiste, que fut créé après sa mort, survenue en 1901, le musée d’Albi, consacré à l’œuvre de Toulouse-Lautrec.