«IKONAR» • HOMMAGE À JOSEF KOUDELKA

Kladno, Tchécoslovaquie, 1966
L’Elysée propose une rétrospective dédiée à Joseph Koudelka, l’un des photographes les plus importants et les plus singuliers de notre temps. Un évènement. Certains photographes ont façonné des « icônes » : Alberto Korda, Che Guevara (1960) ; Sam Shaw, Marylin drapée dans sa robe blanche soulevée par la bouche d’aération du métro new-yorkais. Ces mises en scène, fortuites ou composées, cristallisaient des fantasmes et des aspirations collectives d’une époque, avant de devenir des symboles honnis en d’autres temps. Quid de la féminité outrancière de Marylin oferte aux regards des hommes de la rue pour les jeunes d’aujourd’hui? À l’inverse, les grandes fgures de la photographie du XXe siècle, comme Henri Cartier-Bresson ou René Burri, ont créé des images fortes qui n’ont jamais connu ce destin. Le premier a portraituré Marylin, inquiète, lasse, fragile au milieu d’une meute de photographes, et Burri a fgé le « Che » le cigare aux lèvres, goguenard, poseur, terriblement ambigu. Des images qui défent le temps parce qu’elles semblent lever le voile des projections et des illusions. L’oeuvre entière de ces photographes témoigne d’un certain regard – comme on dit – sur le monde que nous habitons, et sur nous-mêmes, avec, souvent, l’amertume, la brutalité et parfois la beauté singulière, parce que véridiques, propres à tout processus de dévoilement. Koudelka n’a jamais produit d’« icône », comme Shaw ou Korda, et il n’appartient pas pour autant à cette catégorie de grands photographes dont Burri fait partie. Pour certains, il est pourtant le plus grand....

L’Elysée propose une rétrospective dédiée à Joseph Koudelka, l’un des photographes les plus importants et les plus singuliers de notre temps. Un évènement.

Certains photographes ont façonné des « icônes » : Alberto Korda, Che Guevara (1960) ; Sam Shaw, Marylin drapée dans sa robe blanche soulevée par la bouche d’aération du métro new-yorkais. Ces mises en scène, fortuites ou composées, cristallisaient des fantasmes et des aspirations collectives d’une époque, avant de devenir des symboles honnis en d’autres temps. Quid de la féminité outrancière de Marylin oferte aux regards des hommes de la rue pour les jeunes d’aujourd’hui? À l’inverse, les grandes fgures de la photographie du XXe siècle, comme Henri Cartier-Bresson ou René Burri, ont créé des images fortes qui n’ont jamais connu ce destin. Le premier a portraituré Marylin, inquiète, lasse, fragile au milieu d’une meute de photographes, et Burri a fgé le « Che » le cigare aux lèvres, goguenard, poseur, terriblement ambigu. Des images qui défent le temps parce qu’elles semblent lever le voile des projections et des illusions. L’oeuvre entière de ces photographes témoigne d’un certain regard – comme on dit – sur le monde que nous habitons, et sur nous-mêmes, avec, souvent, l’amertume, la brutalité et parfois la beauté singulière, parce que véridiques, propres à tout processus de dévoilement.

Koudelka n’a jamais produit d’« icône », comme Shaw ou Korda, et il n’appartient pas pour autant à cette catégorie de grands photographes dont Burri fait partie. Pour certains, il est pourtant le plus grand. Il a été mondialement reconnu, couronné par les prix les plus prestigieux, exposé dans tous les lieux qui ont compté, et son oeuvre a été publiée par des éditeurs de renom (Aperture, Delpire, Acte Sud, etc.). Il s’est fait connaître par une série documentaire sur le Printemps de Prague (1968), qui lui a valu la Médaille Robert Capa. Des images remarquables à plus d’un titre: l’instant décisif, la frénésie, l’humanité en exergue. Nous ne sommes pas loin de ce que les grands photographes ont montré de leur temps. Mais à peine réfugié en France, Koudelka tourne le dos à la carrière de photoreporter qui s’ofrait à lui. En référence au romancier Kundera, cet autre bohémien réfugié comme lui en France, «La vie est ailleurs », elle est dans l’acte poétique.

Invasion. Prague, 1968

Celui qu’Henri-Cartier Bresson qualifera bientôt de «diamant brut à ne surtout pas tailler», s’initia seul à la photographie, dans la Tchéquie communiste fermée à toute infuence occidentale. Il trouva une échappatoire à l’arbitraire et un sujet totalement neuf dès 1962 : les Roms. Pas d’évènementiel, pas même d’évènements dans ces images. Des compositions en apesanteur, à la fois libres et rigoureuses. Et la magie de l’instant, bien sûr. Enfn, le « punctum » cher à Roland Barthes, ce détail, cet élément singulier qui attire l’attention et donne toute profondeur à la photographie, est présent dans chaque image. Mais cet art alors naissant ne se réduit pas à une équation. Ces Gitans qui vivent, meurent, posent, sont hors d’âge. Pas de famenco, de talons ni de robes à pois, mais un kaléidoscope de visions qui nous happent parce qu’elles ont l’étofe du rêve – ou du cauchemar. Bohémiens crasseux et libres, qu’il capte pour la première fois avec cette vérité, à la manière d’un Rimbaud de l’image, exaltant en eux moins la liberté que l’humanité primordiale, recouverte depuis longtemps chez les humains sédentaires. Il se reconnut en eux, lui qui ft de sa vie un long exil, et ils le baptisèrent en retour: Ikonar, le faiseur d’images, parce qu’ils utilisèrent des clichés qu’il leur ofrait dans des cérémonies religieuses. Étranges vertus de ses images, reconnues dès l’origine comme icônes, au sens propre, par les gestes même et les rites de celles et ceux qui en sont les sujets. La photographie comme un impératif, et comme un acte poétique.

Cette série fondatrice annonce l’oeuvre à venir. Les titres parlent d’eux-mêmes: Exils, Chaos, Téâtre du temps, Murs, Ruines. Des séries dont l’unité résidera dans ce caractère onirique obsédant, qui semble toujours s’afranchir de son medium: «ceci n’est pas une photographie», serait-on tenté de dire devant l’image de ce chien noir, pareil au chien de l’Enfer, qui s’apprête à entrer dans un parc londonien fgé dans la glace. Ou cette photo d’un jeune garçon à vélo vêtu d’un costume d’ange dans une rue de Prague (Exils). Ceci n’est pas non plus notre monde, même si ces images en sont tirées, sans tricherie ni mise en scène. Ce qui se projette ici, le sujet de Koudelka, c’est notre monde, en tant qu’il nous échappe. Un monde non apprivoisé, énigmatique et menaçant, avec en son coeur l’humain, dépassé, parfois possédé, mais toujours exilé.

Roumanie, 1968

Dans son édition princeps d’Exils (1988), Robert Delpire avait titré sa préface: L’oeil existe à l’état sauvage. L’expression est d’André Breton. Elle s’applique en efet très bien à l’art de Koudelka, qui ne semble pas de ce monde, dévoilé par les grands photographes que nous avons cités, ou mis en scène par les faiseurs d’icônes. Koudelka est un Ikonar : il peint le monde en perspective inversée, avec une intégrité et une liberté rimbaldiennes.

Que reste-t-il à montrer de lui que l’on n’ait pas déjà vu ? Tout, à celles et ceux qui ont moins de vingt-cinq ans. Pour tous les autres, qui se sont habitués aux productions monumentales en panoramique produites par l’artiste depuis un quart de siècle, cette exposition promet un retour aux sources: artiste et commissaire ont eu la belle idée de se concentrer sur les premières séries, et de dévoiler une partie des archives de Koudelka par le biais d’une installation prometteuse. Heureux ceux qui vont le découvrir ou le redécouvrir dans ses plus belles années, par des tirages argentiques de toute beauté, qu’il réalisait ou supervisait luimême, quand il parcourait le monde comme un bohémien, à peine alourdi par les cinq cents grammes de son Leica.

Artpassions Articles

E-Shop

Nos Blogs

Instagram Feed