INTIMES IMPRESSIONNISTES.LA COLLECTION DE JENNY ETSYDNEY BROWN

Camille Corot Ariccia, Palais Chigi, 1826-1827 Huile sur papier, sur panneau, 23,5 x 35,5 cm Museum Langmatt, Baden, 126GZ © Ph
Camille Corot Ariccia, Palais Chigi, 1826-1827 Huile sur papier, sur panneau, 23,5 x 35,5 cm Museum Langmatt, Baden, 126GZ © Ph
Pour célébrer les cent cinquante ans de l’impressionnisme et fêter ses quarante ans d’existence, laFondation de l’Hermitage à Lausanne – qui avait organisé comme exposition inaugurale L’Impressionnismedans les collections romandes – invite le musée Langmatt de Baden, l’une des plus prestigieusescollections impressionnistes de Suisse alémanique. Récemment, le musée Langmatt a défrayéla chronique. Alors que le NewYork Times lui consacre un article sousle chapeau flegmatique « un muséesuisse en difficulté financière vend trois Cézannepour cinquante-trois millions de dollars », The ArtsNewspaper titre, désapprobateur, « “Très myope” :la décision du musée suisse de vendre des tableauxde Cézanne suscite l’indignation ». En effet, laFondation administratrice de l’institution décide dese séparer, chez Christie’s New York le 9 novembre2023, de trois tableaux de Paul Cézanne afin de rassemblerles quarante millions de francs suisses nécessairesà l’augmentation de son capital permettantd’assurer sa pérennité. De quoi relancer le débat autourdu deaccessioning, régulièrement pratiqué parles musées américains mais pas par les institutionseuropéennes. Cette recapitalisation s’accompagnede travaux de rénovation de la Villa Langmatt,construite par l’architecte Karl Moser entre 1899 et1901, dont les coûts sont pris en charge par les pouvoirspublics. Fermée jusqu’au printemps 2026, larénovation de la Villa offre l’occasion de présenterla collection impressionniste constituée par Jennyet Sidney Brown, pour la première fois de son histoire,en dehors de Baden, d’abord à la Fondationde l’Hermitage à Lausanne puis au musée WallrafRichartz à Cologne, et enfin à la « ÖsterreichischeGalerie Belvedere » à Vienne. Eugène Boudin Sur la plage de Trouville, à l’abri du parasol rouge, 1885 Huile sur panneau, 13,7 x...

Pour célébrer les cent cinquante ans de l’impressionnisme et fêter ses quarante ans d’existence, laFondation de l’Hermitage à Lausanne – qui avait organisé comme exposition inaugurale L’Impressionnismedans les collections romandes – invite le musée Langmatt de Baden, l’une des plus prestigieusescollections impressionnistes de Suisse alémanique.

Récemment, le musée Langmatt a défrayéla chronique. Alors que le NewYork Times lui consacre un article sousle chapeau flegmatique « un muséesuisse en difficulté financière vend trois Cézannepour cinquante-trois millions de dollars », The ArtsNewspaper titre, désapprobateur, « “Très myope” :la décision du musée suisse de vendre des tableauxde Cézanne suscite l’indignation ». En effet, laFondation administratrice de l’institution décide dese séparer, chez Christie’s New York le 9 novembre2023, de trois tableaux de Paul Cézanne afin de rassemblerles quarante millions de francs suisses nécessairesà l’augmentation de son capital permettantd’assurer sa pérennité. De quoi relancer le débat autourdu deaccessioning, régulièrement pratiqué parles musées américains mais pas par les institutionseuropéennes. Cette recapitalisation s’accompagnede travaux de rénovation de la Villa Langmatt,construite par l’architecte Karl Moser entre 1899 et1901, dont les coûts sont pris en charge par les pouvoirspublics. Fermée jusqu’au printemps 2026, larénovation de la Villa offre l’occasion de présenterla collection impressionniste constituée par Jennyet Sidney Brown, pour la première fois de son histoire,en dehors de Baden, d’abord à la Fondationde l’Hermitage à Lausanne puis au musée WallrafRichartz à Cologne, et enfin à la « ÖsterreichischeGalerie Belvedere » à Vienne.

Eugène Boudin Sur la plage de Trouville, à l’abri du parasol rouge, 1885 Huile sur panneau, 13,7 x 23,5 cm Museum Langmatt, Bad
Eugène Boudin Sur la plage de Trouville, à l’abri du parasol rouge, 1885 Huile sur panneau, 13,7 x 23,5 cm Museum Langmatt, Bad

Issus de familles d’importants entrepreneurs deBaden et de Winterthour, Jenny Sulzer et SydneyBrown (l’un des trois fondateurs de BBC [Brown,Boveri & Cie] aujourd’hui ABB) achètent leurpremière oeuvre en 1896, à la galerie GeorgesBernheim à Paris, à l’occasion de leur voyage denoces. Ce petit tableau de lavandières au travailsur les rives de la Touques, près de Trouville, enNormandie, a été peint un an auparavant parEugène Boudin, un précurseur des impressionnisteset l’un des premiers adeptes de la peintureen plein air. Au fil du temps, les époux feront l’acquisitionde plusieurs tableaux du maître, parmilesquels Trouville, sur la plage à l’abri du parasolrouge (1885), l’une des scènes de plages représentantla bourgeoisie du Second Empire en villégiaturesur la côte Normande, qui assureront un succès,certes tardif, à l’artiste.

Claude Monet Les glaçons, effet de crépuscule, 1893 Huile sur toile, 60 x 99,7 cm Museum Langmatt, Baden © Photo Jean-Pierre K
Claude Monet Les glaçons, effet de crépuscule, 1893 Huile sur toile, 60 x 99,7 cm Museum Langmatt, Baden © Photo Jean-Pierre K

Si le premier achat du couple Brown semble révélerun attrait pour la peinture française de paysage,pour la couleur et les effets de lumière, leurschoix suivants se portent sur les oeuvres des artistesde la Sécession munichoise. Au tournantdu siècle, ils se rendent régulièrement à Munichet achètent notamment des tableaux de JuliusExter, avec lequel ils entretiennent une longueamitié. Dès 1908, suivant les conseils de l’artisteCarl Montag, qui séjournait à Paris depuis 1903,Jenny et Sidney Brown se tournent vers l’impressionnisme.Montag, comme il le fait égalementavec le couple de collectionneurs de Winterthour,Hedy et Arthur Hahnloser-Bühler, emmène lesBrown chez les marchands d’art parisiens alors envogue, Ambroise Vollard par exemple, les fait rencontrerdes collectionneurs influents, tel GeorgesViau, et les amène à pousser les portes des galeries.Ainsi, la nouvelle orientation parisienne donnéeà leur collection, les incite même à se séparer depresque toute leur collection de la Sécession munichoise.Alors que les Hahnloser de Winterthourse tournent rapidement vers les artistes de leur génération,les Brown de Baden s’intéressent plutôt àCamille Corot, Claude Monet et Camille Pissarro.De Corot, ils font notamment l’acquisition d’unepetite huile sur papier contrecollée sur panneau,Ariccia, Palais Chigi (1826/1827). Contrairementà ce que le titre laisserait penser, le palais Chigin’est pas tant le sujet principal du tableau que lesarbres situés devant lui et venant masquer son harmonieusearchitecture. L’édifice se fond organiquementdans la silhouette de la ville. Quant à laforêt, elle se transforme en vagues végétales, alternantentre le vert clair et le vert foncé, entre sectionssombres et zones inondées de lumière. DeMonet, les Brown achètent Les Glaçons, effet decrépuscule, peint en 1893, non loin de Giverny, où l’artiste vivait depuis 1890. Monet avait explorépour la première fois le motif de la glace sur laSeine à Bougival pendant l’hiver 1867-1868. ÀVétheuil, en 1879-1880, il avait repris le thème etl’avait développé dans un certain nombre de variations.Dans chaque tableau, le peintre exploiteavec maestria la dichotomie entre la technique :réseau de lignes frémissantes, coups de pinceauxénergiques, et le rendu : un paysage d’eau calme etde glace presque figée, d’une grande quiétude, baignépar la lumière chatoyante du couchant. Enfin,de Camille Pissarro, ils choisissent un paysage parisien,Le Boulevard Montmartre, printemps, l’unedes quatorze variations de cette vue peinte, entrefévrier et avril 1897, depuis la fenêtre d’une deschambres du Grand Hôtel de Russie. Dans cettesérie, Pissarro restitue, comme avant lui Monetdans ses Meules (1890-1891) et ses Cathédrales(1892-1894), les changements constants de la lumière,en fonction de l’heure de la journée, du renouvellementde saison et des différentes trajectoiresdu soleil et des nuages. C’est certainementle contre-jour saisissant qui a décidé les collectionneursà sélectionner cette toile : bien que le cielsoit en grande partie couvert, la lumière du soleilperce de manière étonnante à travers les arbresprintaniers en pleine floraison ; elle dissout les chevauxet les voitures dans des taches brun-noir etérode les immeubles.

Paul Cézanne Baigneuses, vers 1895-1896 Huile sur toile, 28,5 x 51 cm Museum Langmatt, Baden © Photo Jean-Pierre Kuhn, SIK-ISEA
Paul Cézanne Baigneuses, vers 1895-1896 Huile sur toile, 28,5 x 51 cm Museum Langmatt, Baden © Photo Jean-Pierre Kuhn, SIK-ISEA

Mais les artistes les mieux représentés dans la collectionsont Auguste Renoir et Paul Cézanne. Aumême moment, de l’autre côté de l’Atlantique, uncollectionneur ayant fait fortune dès 1907 grâceà l’invention d’un antiseptique, Albert C. Barnes,accumule lui aussi les oeuvres des deux artistes,avec certes davantage de moyens que les Brown,sans jamais pouvoir se décider, écrit-il en 1920 « si c’est Renoir ou Cézanne qui a été le plus grandartiste du siècle dernier ». La collection Jenny etSidney Brown compte justement parmi ses chefsd’oeuvreBaigneuses (vers 1880-1895) de Cézanne,une étude aboutie pour un grand tableau acquispar Barnes. Si Cézanne soustrait ses figures fémininesà une réalité prosaïque, les transportantdans une Arcadie rêvée, Renoir, dans La natte(vers 1886-1887), rend les traits du visage du modèle,l’artiste Suzanne Valadon, de manière naturaliste,avec un pinceau venant cerner plutôt quedissoudre les formes, au point d’acquérir une précisionpresque photographique. Ce tableau, peintau moment où le maître est confronté à unecrise artistique et à des problèmes financiers, témoigned’un retour à la peinture classique, auxportraits froids du début du XIXe siècle, notammentà ceux de Jean-Dominique Ingres, loin de larestitution du caractère changeant de la nature etdu rendu du mouvement de la lumière associé àl’impressionnisme.

Auguste Renoir La natte, vers 1886-1887 Huile sur toile, 57 x 47 cm Museum Langmatt, Baden © Photo Jean-Pierre Kuhn, SIK-ISEA,
Auguste Renoir La natte, vers 1886-1887 Huile sur toile, 57 x 47 cm Museum Langmatt, Baden © Photo Jean-Pierre Kuhn, SIK-ISEA,

Entre 1908 et 1919, les époux Brown parviennentainsi à réunir quarante oeuvres impressionnistes etpostimpressionnistes sur les cinquante que compteraleur collection, à une époque où elles suscitentencore controverses, violentes critiques et débatsenflammés. En les collectionnant, depuis le coeurde la Suisse alémanique, loin des grands centresartistiques, Jenny et Sydney Brown, sans le savoir,participent à l’écriture d’une nouvelle pagede l’histoire de l’art.

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