JACQUES GERMAIN – CONFESSIONS D’UN MARCHAND HEUREUX

À l’occasion de la 24e édition du Parcours des mondes, à Paris, le marchand canadien Jacques Germain a présenté à la Galerie Gradiva une exposition-manifeste rassemblant une soixantaine d’icônes de l’art africain appartenant à son fonds. Interrogeant la notion de « classicisme », la sélection était exemplaire. Tous les afficionados du Parcours des mondes croisent souvent la silhouette filiforme de Jacques Germain, ce marchand canadien dont la verve et la chaleur communicatives séduisent depuis de nombreuses années le public parisien. Ce fou de voyages, qui fut guide dans sa jeunesse, confesse être tombé sous le charme du continent africain à la faveur d’un premier séjour au Kenya et en Tanzanie. « En contemplant la beauté de ce qui m’entourait, il ne m’a fallu que quelques secondes pour tomber amoureux du continent. Tous mes sens étaient sollicités par des saveurs, des odeurs et des sonorités nouvelles. C’était intense et absolument fascinant », se rappelle-t-il ainsi dans l’entretien conduit par Elena Martinez-Jacquet dans le beau catalogue qui accompagne l’exposition. Rien ne prédestinait néanmoins ce fils d’entrepreneurs à embrasser la carrière de marchand d’art tribal ! Ce sera donc au terme d’un long apprentissage ponctué de visites dans les galeries de New York, Paris et Bruxelles, mais aussi dans les plus prestigieuses maisons de vente, que Jacques Germain se fait peu à peu son œil. Le marchand montréalais se souvient ainsi avec émotion du choc qu’il ressentit face à la dispersion de la collection Kuhn, le 20 novembre 1991, chez Sotheby’s, à New...

À l’occasion de la 24e édition du Parcours des mondes, à Paris, le marchand canadien Jacques Germain a présenté à la Galerie Gradiva une exposition-manifeste rassemblant une soixantaine d’icônes de l’art africain appartenant à son fonds. Interrogeant la notion de « classicisme », la sélection était exemplaire.

Tous les afficionados du Parcours des mondes croisent souvent la silhouette filiforme de Jacques Germain, ce marchand canadien dont la verve et la chaleur communicatives séduisent depuis de nombreuses années le public parisien. Ce fou de voyages, qui fut guide dans sa jeunesse, confesse être tombé sous le charme du continent africain à la faveur d’un premier séjour au Kenya et en Tanzanie. « En contemplant la beauté de ce qui m’entourait, il ne m’a fallu que quelques secondes pour tomber amoureux du continent. Tous mes sens étaient sollicités par des saveurs, des odeurs et des sonorités nouvelles. C’était intense et absolument fascinant », se rappelle-t-il ainsi dans l’entretien conduit par Elena Martinez-Jacquet dans le beau catalogue qui accompagne l’exposition.

Rien ne prédestinait néanmoins ce fils d’entrepreneurs à embrasser la carrière de marchand d’art tribal ! Ce sera donc au terme d’un long apprentissage ponctué de visites dans les galeries de New York, Paris et Bruxelles, mais aussi dans les plus prestigieuses maisons de vente, que Jacques Germain se fait peu à peu son œil. Le marchand montréalais se souvient ainsi avec émotion du choc qu’il ressentit face à la dispersion de la collection Kuhn, le 20 novembre 1991, chez Sotheby’s, à New York. « Là, en l’espace de quatre-vingt-dix minutes, j’ai vu passer sous mes yeux un patrimoine extraordinaire dont je ne soupçonnais pas la richesse. Coup de foudre immédiat ! Et si j’avais à cet instant trouvé ma voie » ? résume-t-il avec une pointe d’humour. Des rencontres capitales guideront alors les premiers pas du « marchand en devenir », tels Hélène et Philippe Leloup (dont les galeries de New York et de Paris joueront un rôle de passeur des deux côtés de l’Atlantique), mais aussi d’autres personnalités éminentes des arts africains comme Alain de Monbrison, Philippe Guimiot, Kevin Conru …

UNE INCLINATION POUR LE « CLASSIQUE »

Durant trente ans de quête passionnée, Jacques Germain a ainsi couru les musées, multiplié les rencontres, les lectures et les voyages afin de parachever sa formation et affûter son jugement esthétique. En 1992, la visite de l’exposition Fang, dans ce petit sanctuaire des arts africains qu’était le musée Dapper, à Paris, agira comme un catalyseur. « La beauté, l’élégance et l’humanité qui se dégageaient du fabuleux corpus réuni m’ont saisi. J’y ai eu la révélation qu’il s’agissait là d’un art universel, voire éternel », se souvient-il avec émotion dans le catalogue.

Tel un mantra, le mot « classicisme » revient ainsi souvent dans les propos de Jacques Germain lorsqu’il évoque ses préférences en matière de langage esthétique. Aux antipodes de collectionneurs d’art tribal comme Daniel Cordier ou Georg Baselitz – qui, dans le sillage d’un Picasso, recherchaient dans l’art africain un retour à des formes brutes et « primitives » censées chahuter joyeusement les normes académiques de l’art européen –, le marchand canadien préfère évoquer les notions de « stabilité », de « perfection », d’« harmonie ». « Depuis mes premiers coups de cœur à l’âge e vingt-cinq ans, mes goûts n’ont pas sensiblement évolué. J’aime avant tout le geste abouti, la maîtrise des proportions, des matériaux. Tout objet de culte est un support spirituel qui doit être compris de l’ensemble de la communauté par l’intermédiaire de codes et de gestes répétitifs qui respectent les usages et les coutumes. À vrai dire, je reviens toujours au classicisme des formes. Le classique, c’est ce qui reste, ce qui est éternel », nous a ainsi confié Jacques Germain pour expliquer son rapport intime et personnel à l’art africain.

Masque de la société okouyi Gabon, région de la Ngounié Punu, début XXe siècle
Bois mi-lourd, pigment, kaolin Hauteur 32cmGalerie Jacques Germain, Montréal

UNE FORME D’AUTOPORTRAIT

C’est donc une forme d’autoportrait que dessinent, en creux, les soixante pièces choisies par le marchand canadien pour figurer dans cette exposition digne de rivaliser avec celle d’un musée ! Parmi ses zones géographiques de prédilection, figure en bonne place le Gabon, terre qui a vu naître, entre autres chefs-d’œuvre, les reliquaires Fang, et surtout les reliquaires Kota qu’il juge « d’une modernité saisissante dans leur construction ». « Je les défendais avec une telle ardeur devant mes clients qu’ils ont été nombreux à tomber sous leur charme et à en acquérir », se félicite ainsi Jacques Germain. Comment ne pas en effet être troublé par ces hiératiques sentinelles recouvertes de lamelles de cuivre et de laiton qui semblent nous fixer pour l’éternité de leurs grands yeux ronds ? Point de hasard si les collectionneurs et les artistes du début du XXe siècle jetèrent leur dévolu sur ces figures d’une stylisation extrême. On raconte même que le peintre Juan Gris, faute de pouvoir s’en procurer un authentique, alla jusqu’à découper dans du carton la silhouette d’un de ces fascinants reliquaires ! C’est la même émotion qui saisit Jacques Germain devant ce masque blanc Punu du Gabon dont la coiffure en coques stylisées, les yeux fendus et les scarifications dessinées sur le front et les tempes sont d’une élégance suprême. On aurait tort cependant d’interpréter ce visage de jeune fille au sourire exquis comme un simple artefact offert à notre délectation ! Au-delà de leur raffinement extrême, les masques Punu étaient, à l’origine, des instruments du culte que l’on n’exhibait qu’à l’occasion de troubles importants mettant en péril l’harmonie du groupe : pratiques de sorcellerie, meurtres, transgressions en tout genre. Aussi, celui que notre œil occidental juge de prime abord comme un idéal de perfection revêtait aux yeux de sa communauté une tout autre signification… Le prétendu « classicisme » de l’art africain n’est-il pas, avant tout, une construction idéologique occidentale ? », se demande ainsi Jacques Germain. Davantage « expressionniste » apparaît cette tête Kuyu (République du Congo) qui faisait autrefois office d’accessoire de danse. Elle fut collectée in situ par Aristide Courtois (l’un des premiers administrateurs coloniaux à avoir considéré les objets africains comme des œuvres d’art !), avant d’être acquise par le célèbre galeriste parisien Charles Ratton. Soit un pedigree prestigeux qui ajoute un « supplément d’âme » à cette pièce d’exception …

Mais s’il est une œuvre qui a comblé les attentes de Jacques Germain, c’est bien cette coupe en forme de tête de l’ancien royaume Kuba (République démocratique du Congo). Sculptée à la fin du XIXe siècle, elle est, selon le marchand-esthète, « un témoin de l’habilité d’artistes passés souvent maîtres dans l’agencement de motifs à la fois raffinés et complexes ». C’est aussi une belle « découverte » puisque cette pièce a resurgi dans une collection européenne, inédite jusqu’à une date récente…
À ceux qui n’auraient pas eu le loisir de visiter cette magnifique exposition, l’on ne saurait trop conseiller de se plonger dans le beau catalogue publié par les éditions Primedia, en partenariat avec les organisateurs du Parcours …

E MONDE EST UNE FÊTE !

En ces temps de repli identitaire et de crispation idéologique, qu’il est plaisant d’aller à la rencontre d’autres cultures à travers ce qu’elles ont produit de plus rare et de plus beau ! Chaque mois de septembre, alors que le soleil caresse encore les terrasses des cafés parisiens, le Parcours des mondes invite les amateurs d’archéologie et d’arts extra-européens à visiter les galeries de Saint-Germain-des-Prés pour y admirer masques, sculptures, vanneries, textiles, bijoux réalisés par ces artistes des antipodes dont on ne connaît hélas que trop rarement le nom. Depuis sa création, les conservateurs de musées et les chercheurs du monde entier ne cessent d’élargir le cercle des fidèles tant la qualité des pièces exposées mérite que l’on fasse expressément le voyage à Paris. Véritable salon à ciel ouvert, la vingt-quatrième édition n’a pas dérogé à la règle. Avec une soixantaine de galeries participantes (dont certaines venues d’Australie, de Belgique, d’Espagne, de Finlande, des États-Unis…), l’heure était au dialogue entre création contemporaine et arts tribaux « classiques », ouvrant des perspectives à un marché soucieux de trouver de nouvelles clientèles. Placée sous la présidence d’honneur de Marc Ladreit de Lacharrière (qui s’engage avec ferveur dans une politique de mécénat en faveur du musée du Quai Branly et de la transformation du Pavillon des Sessions du Louvre), le Parcours des mondes s’est définitivement imposé dans le calendrier des grands rendez-vous artistiques. « Dans un marché de plus en plus concurrentiel, les collectionneurs recherchent des événements hyper-spécialisés, porteurs de lisibilité, de rigueur et d’expertise. C’est précisément ce que propose Parcours des mondes depuis plus de vingt-cinq ans », se félicite ainsi Yves-Bernard Debie, le directeur général de ce salon à nul autre pareil.

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