Pour sa première exposition personnelle dans une institution suisse, Joana Vasconcelos, artiste portugaise de renommée mondiale, pose ses valises du côté du lac Majeur jusqu’au 12 octobre 2025, au Museo Comunale d’Arte Moderna d’Ascona. Installations, œuvres murales, peintures, dessins, vidéos et livres retracent les moments les plus marquants de son parcours artistique, des années mille neuf cent quatre-vingt-dix à aujourd’hui.
Comme le peintre presse les tubes de couleur sur sa palette pour obtenir le ton recherché, comme le sculpteur prélève des morceaux du matériau qu’il travaille pour donner corps à une forme, Joana Vasconcelos crée du dialogue entre tradition et modernité, qu’elle explore constamment, en associant des éléments du passé avec des pratiques contemporaines pour créer quelque chose de nouveau et souvent de monumental. Non sans l’aide d’un atelier chevronné, installé dans les docks d’Alcântara, dans la capitale portugaise, comptant cinquante personnes provenant de tous horizons, ayant produit pour elle neuf cent douze expositions, dont cent soixante personnelles, et un total de plus de mille sept cents œuvres. Ainsi a pu être élaborée par exemple cette sculpture paysagère de dix mètres de diamètre en forme d’éclaboussure, piscine fonctionnelle constituée de plus de onze mille carreaux colorés peints à la main, fabriqués dans un atelier de céramique traditionnel en terre lusophone, et insé- rée définitivement dans le parcours des sculptures du Jupiter Artland à Édimbourg.

Fleurs en plastique, boules
de naphtaline, contre-plaqué,
peau de mouton, polystyrène,
90 x 170 x 100 cm
Photo © M. Bertola. Courtesy Musées de
Strasbourg (immagine dell’opera esposta nella
mostra I Want to Break Free al Musée d’Art
Moderne et Contemporain, Strasbourg, 2018)

Crochet en laine, polyester, sur
toile, cadre doré avec ornements,
contre-plaqué, 130 x 143 x 42 cm
Photo © Atelier Joana Vasconcelos
Cama Valium, 1998
Plaquettes de comprimés de
Valium de 10 et 15 mg, MDF
peint, verre, 30 x 144 x 200 cm,
Museu de Arte Contemporânea de
Elvas – Coleção António Cachola
Photo © Luís Vasconcelos. Courtesy Atelier
Joana Vasconcelos (immagine dell’opera
esposta nella mostra 2 em1 al Museu Nacional
de História Natural, Lisbona, 1998)

Acrylique sur toile, emballages
en plastique, 100 x 100 x 11 cm
Photo © DMF –Daniel Malhão Fotografia,
Lisboa. Courtesy Atelier Joana Vasconcelos

Pommeaux de douche en acier
inoxydable, broderies en laine
artisanale, décorations, polyester,
248 x 94 x 50 cm, Fundação Joana
Vasconcelos, Lisboa
Photo © Atelier Joana Vasconcelos
« À mon avis, l’œuvre d’art ultime serait la vie elle même, avant tout », déclarait Joana Vasconcelos en janvier dernier alors qu’elle était l’invitée d’honneur de la Foire Brafa à Bruxelles. Et de poursuivre : «À mes yeux, l’œuvre d’art ultime n’est pas un objet spécifique ou un moment dans le temps. C’est le processus continu de vivre et de créer, mais aussi la capacité de pouvoir mêler harmonieusement histoire personnelle, patrimoine culturel et expression artistique. » Voilà plus de trente ans que l’artiste portugaise établie à Lisbonne développe un travail reconnu à l’international pour ses installations baroques et immersives. Joana Vasconcelos décontextualise les objets du quotidien et actualise les concepts d’art, d’artisanat et de design, tissant des liens entre la sphère privée et l’espace public, la création populaire et la high culture. Avec légèreté et ironie, elle aborde non sans profondeur des thèmes liés à l’identité féminine, à la société de consommation et à la mémoire collective.
Jalonné d’étapes symboliquement importantes, son parcours ne compte pas moins de trois participations à la Biennale d’art contemporain de Venise. Notamment lors de la cinquante-cinquième édition pour représenter son pays. Elle décida alors de transformer une navette fluviale de Lisbonne en œuvre d’art et de la conduire jusqu’à la Cité des Doges. Après avoir transporté plus de onze millions de passagers entre les deux rives du Tage pendant cinquante ans, la navette a été revisitée par Joana Vasconcelos: recouverte à l’extérieur d’azulejos et investie à l’intérieur par une installation textile labyrinthique, avant d’être acheminée en direction de l’Italie puis amarrée côté Giardini, non loin des autres pavillons nationaux.
Joana Vasconcelos a été également la première femme – et la plus jeune artiste, attirant un nombre record de un million six cent mille visiteuses et visiteurs – à bénéficier d’une exposition personnelle au château de Versailles et au musée Guggenheim de Bilbao. « Je m’interroge continuellement sur les raisons pour lesquelles tant de femmes talentueuses n’ont pas rencontré les mêmes opportunités. Mais le constat est sans appel : dans un monde de l’art encore largement dominé par les hommes, la lutte féministe reste nécessaire », rappelle-t-elle. Ce statut de première femme à exposer à Versailles, elle en jouait de manière ostentatoire. À tel point que l’une de ses œuvres, A Noiva (La Fiancée), fut censurée et a donc dû trouver un terrain plus clément – le CentQuatre, centre d’art parisien dans le dixneuvième arrondissement – pour être présentée au public. Il s’agissait pourtant d’un lustre blanc de cinq mètres de hauteur, objet de luxe faisant parfaitement écho au faste des appartements royaux de Versailles et précédemment exposé à l’Arsenal de Venise pour la Biennale de 2005 – faut-il le rappeler : la première édition jamais organisée par un commissariat féminin depuis son inauguration en 1895. Mais ce qui dérangeait, en réalité, c’était que la sculpture se composait d’un assemblage de quelque vingt-cinq mille tampons hygiéniques. Indéniablement, il s’agissait d’une mise en lumière délibérée des tabous liés au corps féminin. Joana Vasconcelos appliquait ici une formule qui lui est familière, à savoir réunir matériau pauvre et objet de luxe en un même geste. L’œuvre avait déjà fait l’objet de refus pour d’autres expositions, pour les mêmes raisons. Il faut dire que le caractère autoritaire de l’œuvre – qui se découvre par le bas, qui est inatteignable, inaccessible – érige la condition féminine au-dessus du public. Une démesure qui dérange. Et qui, au-delà de son caractère extraverti, pose également la question du jetable et de l’accumulation dans notre société.

Vermelho #3 (PA), 2013
Couverts en plastique transparent,
fer peint, chaîne en métal, moteur,
alimentation et installation audio,
345 x 200 x 80 cm
Photo © A Gavinha -Agência de Comunicação.
Courtesy Quanta Terra (immagine dell’opera
esposta nella mostra Pavillon de Vin at Adega
Quanta Terra -Destilaria nº 7, Favaios, Alijó, 2022)

Tricot en laine fait à la main en
laine industrielle, pinces, polyester,
175 x 600 x 70 cm
Photo © Atelier Joana Vasconcelos

Bois, marbre, crochet en laine,
tissus, décorations, polyester
Photo © Atelier Joana Vasconcelos
Complètement artisanal, le lustre a été réalisé par l’atelier de couturières et de tricoteuses de l’artiste à Lisbonne comme la plupart de ses pièces, des superbes Cœurs indépendants coulés avec des couverts en plastique aux géniales Valkyries géantes en tissus et broderies, telle celle qui a couronné l’édition 2024 de la Foire Artgenève. Sculpture inspirée de figures féminines de la mythologie nordique, qui survolaient les champs de bataille pour ressusciter les guerriers les plus braves, cette œuvre se veut un message de force et de résilience. Réalisée à partir d’une variété de textiles, caractérisée par une palette chromatique éclatante, toute Valkyrie pré- sente un mélange surprenant de volumes, de textures et de couleurs, combinant une fois encore l’artisanat traditionnel – franges, perles, fourrures, pompons – et les techniques contemporaines – sequins, lumignons – dans une souveraineté aussi sensuelle qu’inquiétante. La pièce présentée dans la Cité de Calvin à l’initiative de sa galeriste genevoise Laura Gowen comptait dix-sept mètres d’envergure, neuf mètres de hauteur et quelque huit cent quatre-vingts kilogrammes. Baptisée Valkyrie Mumbet, cette pièce rendait hommage à Elizabeth Mumbet Freeman, première esclave afro-américaine à avoir gagné sa liberté par voie légale en 1781.