JOYEUX CENTENAIRE !

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Notre vie est pleine de dédicataires. Combien de grands ou petits gâteaux confectionnés en mémoire d’une grand-mère – qui ne donnait parfois pour toute unité de mesure que le « verre » –, combien de pyramides visitées en mémoire d’un père pour qui l’Égypte est restée inviolée, car il naquit – appelons-le l’époux de cette gourmande grand-mère – avant l’ère des voyages aisés ? De cette sorte particulière de dédicaces, invisibles, inscrites dans les corps, il en est bien entendu, ne disons pas de plus émouvantes, mais de plus poignantes. Qu’on songe à la découverte de la peinture par le résistant Daniel Cordier, chancelier d’honneur de l’Ordre de la Libération, qui a fêté le mois dernier, le 10 août, ses cent ans ! Bordelais royaliste outré par la capitulation, gagnant Londres en juin 1940, parachuté en France deux ans plus tard, ce combattant de l’ombre devint le secrétaire de Jean Moulin dont il loua plus tard, le regard encore empli de fascination, entre autres traits notables – est-ce besoin de préciser ? –, l’élégance. Depuis les anciens Grecs, au moins, héroïsme et beauté, goût et courage n’ont-ils pas très régulièrement et fort merveilleusement voisiné ? Si nous devons brusquement changer de conversation, n’importe où, dans la rue ou dans un café, au cas où l’on nous écouterait, prévient le chef du Conseil national de la Résistance, je vous parlerai de peinture, entendu ? C’est de la sorte que le jeune Cordier, qui n’entendait pratiquement rien en ce domaine, paracheva auprès d’un véritable...

Notre vie est pleine de dédicataires. Combien de grands ou petits gâteaux confectionnés en mémoire d’une grand-mère – qui ne donnait parfois pour toute unité de mesure que le « verre » –, combien de pyramides visitées en mémoire d’un père pour qui l’Égypte est restée inviolée, car il naquit – appelons-le l’époux de cette gourmande grand-mère – avant l’ère des voyages aisés ? De cette sorte particulière de dédicaces, invisibles, inscrites dans les corps, il en est bien entendu, ne disons pas de plus émouvantes, mais de plus poignantes. Qu’on songe à la découverte de la peinture par le résistant Daniel Cordier, chancelier d’honneur de l’Ordre de la Libération, qui a fêté le mois dernier, le 10 août, ses cent ans ! Bordelais royaliste outré par la capitulation, gagnant Londres en juin 1940, parachuté en France deux ans plus tard, ce combattant de l’ombre devint le secrétaire de Jean Moulin dont il loua plus tard, le regard encore empli de fascination, entre autres traits notables – est-ce besoin de préciser ? –, l’élégance. Depuis les anciens Grecs, au moins, héroïsme et beauté, goût et courage n’ont-ils pas très régulièrement et fort merveilleusement voisiné ? Si nous devons brusquement changer de conversation, n’importe où, dans la rue ou dans un café, au cas où l’on nous écouterait, prévient le chef du Conseil national de la Résistance, je vous parlerai de peinture, entendu ? C’est de la sorte que le jeune Cordier, qui n’entendait pratiquement rien en ce domaine, paracheva auprès d’un véritable amateur de tableaux – si tant est que celle-ci soit un jour aboutie en quiconque – son éducation culturelle. Et quand tout ceci sera fini, lui dit une autre fois celui qui ne vit pas cette fin heureuse, je vous amènerai au Prado… Il en est donc de plus poignantes parmi ces silencieuses, et plus ou moins quotidiennes, dédicaces : car la première fois que Daniel Cordier se rendit à Madrid, il alla au Prado, voir les Dürer, les Titien, les Vélasquez, les Goya…

L’art devint son domaine – une manière d’enterrer pour un temps la guerre –, et il se mit à peindre et surtout à collectionner, les Braque, Soutine, Rouault, de Staël, Hantaï, Viallat ou encore Titus-Carmel, et à vendre (il ouvrit sa galerie en 1956), représentant notamment Jean Dubuffet ou Henri Michaux. La défense ardente d’une France ployée, comme la promotion d’artistes qui souvent ne s’accordaient guère à « l’air du temps » – classique ou avant-gardiste –, ce que les grandes donations que fit Cordier au Musée national d’art moderne de Paris et aux Abattoirs de Toulouse montrent bien, semblent marquées du même sceau, du même impératif qui se traduit en sourires (il n’est qu’à voir les portraits récents de notre homme) : liberté. C’est elle encore, liberté chérie, qui marque par son absence – mais sa nécessité en est d’autant plus soulignée – le dernier livre paru de Cordier, car un tel homme ne pouvait pas ne pas nous laisser aussi quelques beaux livres : Les Feux de Saint-Elme. Après des études dédiées à Jean Moulin, qu’il voulut défendre contre quelques êtres malintentionnés, après ses mémorables « mémoires de guerre » – Alias Caracalla –, il offrit à quatre-vingt-quatorze ans ses mémoires d’adolescence, soit un récit pathétique ponctué de références particulièrement agréables, Puccini, Martin du Gard, Gide…, à placer sur nos étagères non loin du Sceau à charbon d’Henri Thomas ou du Livre blanc de Jean Cocteau. L’homme qui se battit contre l’une des grandes oppressions du XXe siècle y raconte le joug d’une éducation religieuse faisandé. Tout s’éveille mais rien, presque rien n’aboutit au fond des cours et des couloirs de Saint-Elme (c’est le nom de l’établissement scolaire). « En chacun de nous, il y a un regret qui veille. Le mien s’appelle David. Pour d’autres, il n’a que le nom d’une fuite sans retour. C’est là que nous nous rejoignons tous, dans ce qu’on appelle la nostalgie ».Livre du désir et du regret, presque étouffant, mais voyez-y le filigrane : appel au désir contre le regret ! Ce qui est encore ou déjà une manière de susurrer ou de clamer : à la liberté contre la mort.

 

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