KOSTAS LAMBRIDIS, LE BAROQUE SE RÉINVENTE

© Photo : Carpenters Workshop Gallery
© Photo : Carpenters Workshop Gallery
Viviane Scaramiglia Pour sa première exposition en solo, le designer et artiste grec Kostas Lambridis fait renaître le baroque. Triomphe du mouvement sur l’ordre stable. Art de la métamorphose. Art du recyclage. Une œuvre à découvrir à la Carpenters Workshop Gallery, Paris, jusqu’à fin juillet 2021. Kostas Lambridis travaillant sur un lustre Il y a d’abord cet incroyable « Elemental Cabinet » qui dans son mouvement ascendant fait penser à ces colonnes spiralées du baldaquin du Bernin. Ascension infinie, quête d’immortalité sur plus de trois mètres de hauteur, chapeauté par une inexorable horloge. Et dans l’opposition des forces, un mouvement descendant, désorganisé, signe de déclin progressif de l’énergie. La loi de la matière entre les deux dynamiques, « la collision, porteuse d’objets et de connaissance », relève Kostas Lambridis. Faite de bric et de broc, matières nobles et matériaux de rebut, la pièce monumentale rend hommage au précieux « Badminton Cabinet», un meuble unique réalisé au XVIIIe siècle par les ateliers des grands ducs de Florence pour le troisième duc de Beaufort. Vendu par deux fois aux enchères chez Christie’s en 1990 et 2004 pour des sommes astronomiques, il trône depuis dans le musée Liechtenstein, à Vienne. Subjugué, le jeune créateur grec en tirera une surprenante interprétation pour son diplôme de fin d’études en 2017. Un chef d’œuvre tourné en vanité qui l’a propulsé au premier plan de la scène artistique d’avant-garde. Il expose en 2019 au Musée Het Grachtenhuis à Amsterdam et à la Fondation...

Viviane Scaramiglia

Pour sa première exposition en solo, le designer et artiste grec Kostas Lambridis fait renaître le baroque. Triomphe du mouvement sur l’ordre stable. Art de la métamorphose. Art du recyclage. Une œuvre à découvrir à la Carpenters Workshop Gallery, Paris, jusqu’à fin juillet 2021.

Kostas Lambridis travaillant sur un lustre

Il y a d’abord cet incroyable « Elemental Cabinet » qui dans son mouvement ascendant fait penser à ces colonnes spiralées du baldaquin du Bernin. Ascension infinie, quête d’immortalité sur plus de trois mètres de hauteur, chapeauté par une inexorable horloge. Et dans l’opposition des forces, un mouvement descendant, désorganisé, signe de déclin progressif de l’énergie. La loi de la matière entre les deux dynamiques, « la collision, porteuse d’objets et de connaissance », relève Kostas Lambridis. Faite de bric et de broc, matières nobles et matériaux de rebut, la pièce monumentale rend hommage au précieux « Badminton Cabinet», un meuble unique réalisé au XVIIIe siècle par les ateliers des grands ducs de Florence pour le troisième duc de Beaufort. Vendu par deux fois aux enchères chez Christie’s en 1990 et 2004 pour des sommes astronomiques, il trône depuis dans le musée Liechtenstein, à Vienne. Subjugué, le jeune créateur grec en tirera une surprenante interprétation pour son diplôme de fin d’études en 2017. Un chef d’œuvre tourné en vanité qui l’a propulsé au premier plan de la scène artistique d’avant-garde. Il expose en 2019 au Musée Het Grachtenhuis à Amsterdam et à la Fondation Cartier pour l’art contemporain avant d’être représenté par la Carpenters Workshop Gallery, à Paris. Dans le prisme baroque qui s’étend à toutes les pièces exposées, on y voit à première vue un mélange d’éléments chaotiques, mais une observation plus approfondie révèle des compositions fluides, intelligemment conjuguées horizontalement et verticalement, selon les différentes matérialités. Pour exemple, son cabinet repose sur une base minérale pour s’élancer dans le bois, le métal et le plastique jusqu’à l’horloge faite de tissu et d’électronique.

Elemental Cabinet, hommage au Badminton Cabinet, meuble monumental du XVIIIe siècle © Photo : Carpenters Workshop Gallery

AU-DELÀ DE L’ÉCOLOGIE
Dans une approche non hiérarchique, Kostas Lambridis juxtapose le béton, la pierre, le bois, le plâtre, des morceaux de marbre, de céramique, des pièces de voiture, des néons, une chaise de jardin en plastique, un panier en bambou, des tuiles, du verre cassé. Il y intègre des éléments qu’il crée à partir de matières brutes, moulures en bronze ou mosaïque florale. Ce dialogue en mode hybride entre grandeur baroque et ce que l’on peut considérer comme des déchets questionne la notion de longévité et de recyclage. « Ses œuvres sont pertinentes à l’heure où nous explorons tous les moyens de vivre de manière plus durable », observe Julien Lombrail, cofondateur de la galerie. «Je ne jette jamais rien, c’est dans mon caractère, avoue le créateur. Je récupère plein de débris dans les rues d’Athènes, chez les brocanteurs, chez les amis. Ma Fiat Panda a trente ans, en vieillissant elle devient encore plus belle, il faudra juste la transformer en électrique quand j’en aurai le temps. C’est peut-être une transmission de mon père. Bricoleur, il préférait réparer les objets plutôt que les jeter. Mais l’écologie n’est pas mon principal moteur». La découverte et l’expérimentation des matériaux sont au cœur de son processus. Une recherche qu’il a nourrie durant huit ans auprès de Nacho Carbonell, célèbre designer artiste néerlandais qui étonne par son choix de matériaux bruts et organiques. « Nacho Carbonell m’a surtout appris à travailler avec confiance hors des sentiers battus. Il faut oser se mettre en danger. Je travaille le plus souvent sans prototype et la phase la plus complexe est pour moi de surmonter la peur de commencer quelque chose dont l’aboutissement est incertain». Chacune de ses pièces uniques nécessite de longs mois de création. « Je peux les contrôler, les construire dans mon studio. Le studio est le lieu où je deviens moi-même. Je joue avec mes jouets d’adulte tous les jours et je repars la nuit avec un sentiment d’exhaustivité». Au total de ses «Elemental Folds », neuf meubles sculpturaux, tables, chandeliers, lit de repos et une bibliothèque, hommage à l’iconique étagère « Carlton» (1981), un hymne à l’instabilité d’Ettore Sottsass, figure par excellence de l’Anti-Design et fondateur du groupe italien Memphis.

Table basse © Photo : Carpenters Workshop Gallery

RAUSCHENBERG ET DELEUZE
L’œuvre de Kostas Lambridis est traversée par l’influence de l’artiste américain Robert Rauschenberg dont l’approche égalitaire des matériaux s’exhibe dans ses œuvres picturales hybrides, notamment dans sa série phare «Combines » et dans ses «Elemental Paintings » qui mêlent des textures improbables. De Gilles Deleuze, il retient le concept leibnizien du pli porté à l’infini, fondement des manifestations artistiques baroques. Il s’attache particulièrement à la communication qu’engendre le pli entre le dedans et le dehors, entre le corps et l’âme. En réalisant que les figures baroques et les matériaux peuvent transmettre la notion d’unité, qu’ils peuvent être le reflet holistique du monde comme il est, avec ses beautés et ses laideurs, Kostas Lambridis a poussé à son comble le principe de non-hiérarchie en révélant les coulisses de ses œuvres. « L’ornement n’engloutit pas la structure. Aussi disgracieux soit-il, le processus de fabrication est mis à nu et livré au regard». Après avoir travaillé sur des pièces monumentales, il entend se livrer à des créations à moindre échelle, plus accessibles aux collectionneurs, tout en s’éloignant des références à des œuvres existantes. « J’ai besoin de laisser libre cours aux formes, quitte à devenir plus abstrait ».

Bibliothèque, hommage à l’étagère Carlton d’Ettore Sottsass, Memphis, 1981 © Photo : Carpenters Workshop Gallery

NOTA BENE

Kostas Lambridis, 1988 Basé à Athènes, Grèce Diplôme de designeringénieur, Syros, Grèce Membre du studio de design de Nacho Carbonell de 2011 à 2018
Master en design contextuel, Design Academy d’Eindhoven, 2017

Elemental Folds Carpenters Workhop Gallery, Paris Jusqu’au 31 juillet 2021 Sur rendez-vous durant les restrictions sanitaires

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