La Fondation Carmignac ouvre un nouveau lieu d’art contemporain à Porquerolles

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Dans le sud de la France, il y avait déjà la Fondation Maeght à Saint-Paul-de- Vence, celle du Château La Coste dans le Luberon et la collection d’art minimal de Bernar Venet au Muy. S’y ajoute aujourd’hui la Fondation Carmignac sur l’île de Porquerolles qui présente « Sea of Desire »*, sa première exposition. C’est le moment d’embarquer pour une nouvelle aventure. Direction la Villa Carmignac, un lieu paradisiaque où la mer, le soleil et le paysage ont donné rendez-vous à l’art contemporain. Larguons donc les amarres ! Patricia Boyer de Latour Alexandre Farto AKA VhilsScratching the surfacePorquerolles, 2018© Vhils - Fondation CarmignacPhoto : Marc Domage Il est revenu ! Qui ? L’Alycastre, ce dragon cruel et furieux qui terrorisait les Porquerollais en sortant de sa tanière pour avaler bêtes et gens s’aventurant dans la forêt avoisinante. Il se tient aujourd’hui sur le seuil du mas de la Fondation Carmignac qui vient d’ouvrir ses portes au public. Pourtant, un chevalier, revenu de Terre sainte et seul rescapé d’un naufrage sur l’île, avait bel et bien trucidé le monstre en témoignage de reconnaissance pour l’hospitalité des îliens… Le combat fut sans merci, la bête anéantie au terme d’une lutte à l’issue de laquelle elle demanda au vainqueur de donner son patronyme à la baie qui porte encore son nom, l’Alycastre. Ugo Rondinone, 2018© Fondation Carmignac - Photo : Marc Domage Qu’a-t-il donc bien pu se passer dans la tête de cet autre îlien qu’est le...

Dans le sud de la France, il y avait déjà la Fondation Maeght à Saint-Paul-de- Vence, celle du Château La Coste dans le Luberon et la collection d’art minimal de Bernar Venet au Muy. S’y ajoute aujourd’hui la Fondation Carmignac sur l’île de Porquerolles qui présente « Sea of Desire »*, sa première exposition. C’est le moment d’embarquer pour une nouvelle aventure. Direction la Villa Carmignac, un lieu paradisiaque où la mer, le soleil et le paysage ont donné rendez-vous à l’art contemporain. Larguons donc les amarres !

Patricia Boyer de Latour

Alexandre Farto AKA Vhils
Scratching the surface
Porquerolles, 2018
© Vhils – Fondation Carmignac
Photo : Marc Domage

Il est revenu ! Qui ? L’Alycastre, ce dragon cruel et furieux qui terrorisait les Porquerollais en sortant de sa tanière pour avaler bêtes et gens s’aventurant dans la forêt avoisinante. Il se tient aujourd’hui sur le seuil du mas de la Fondation Carmignac qui vient d’ouvrir ses portes au public. Pourtant, un chevalier, revenu de Terre sainte et seul rescapé d’un naufrage sur l’île, avait bel et bien trucidé le monstre en témoignage de reconnaissance pour l’hospitalité des îliens… Le combat fut sans merci, la bête anéantie au terme d’une lutte à l’issue de laquelle elle demanda au vainqueur de donner son patronyme à la baie qui porte encore son nom, l’Alycastre.

Ugo Rondinone, 2018
© Fondation Carmignac – Photo : Marc Domage

Qu’a-t-il donc bien pu se passer dans la tête de cet autre îlien qu’est le majorquin Miquel Barceló pour ressusciter le monstre ? De la malice et de la facétie, bien dans la manière de cet artiste de l’irrévérence moqueuse et subversive, mais peut-être aussi cette conviction que les monstres existent toujours, et qu’il vaut mieux les amadouer que les éradiquer, puisqu’ils sont éternels comme les légendes. Quoi qu’il en soit, l’Alycastre, sorte d’effrayant totem en bronze patiné, toise le visiteur de toute sa hauteur à l’instant même où il pénètre dans ce nouveau sanctuaire de l’art. Il ne faut pas en avoir peur. Rassasié depuis des siècles par la terreur qu’il inspire, il a décidé d’être bienveillant. Secondé en cela par d’autres monstres grotesques mais pacifiques et disséminés dans le paysage, à la manière des sentinelles de l’île de Pâques.

Jaume Plensa
Les trois Alchimistes, 2018
© Fondation Carmignac – Photo : Marc Domage

On y découvre donc, au hasard d’une promenade parmi les pins maritimes ou l’espace du maquis, les statues couleur argent du suisse Ugo Rondinone, nommées « Four Seasons ». Elles côtoient les faces de bronze démesurées et hiératiques du catalan Jaume Plensa, « Les trois Alchimistes », trois enfants purs au regard fermé sur leurs songes. Plus loin, une statue monumentale de femme aux formes archaïques, « Lolo », du chinois Wang Kepling semble surgir de la forêt. Et ailleurs encore, dans une vaste clairière, de l’artiste allemand NILS-UDO, les œufs géants d’une couvée immémoriale de quelques monstres à naître suggèrent une méditation sur l’espace et le temps de nos vies minuscules…

Jean-Michel Basquiat
Fallen Angel, 1983-1984
© The estate of Jean-Michel Basquiat / Adagp,
Paris 2018 – Photo : Marc Domage

Avant cela, et sans prendre des allures d’Odyssée aux multiples détours, le périple pour atteindre la Villa de la Fondation Carmignac se mérite. Il faut d’abord larguer les amarres, en l’occurrence quitter le petit port de Hyères sur la côte varoise, où un bateau amène, au terme d’une traversée de dix minutes, le voyageur sans bagage sur l’île de Porquerolles, sept kilomètres sur trois  d’Éden sur terre. Quelques heures plus tard, il ne faudra pas manquer le dernier bateau car, dans ce paradis préservé, il y a peu d’hôtels, pas de campings et pas de voiture… L’arrivée sur l’île par beau temps est un rêve, mais pour peu que le mistral se lève, on peut avoir droit à un aperçu bref mais intense de l’inanité de tout.

Andy Warhol
Lenin, 1986 et Mao, 1973
© The Andy Warhol Foundation for
the Visual Arts, Inc. / Adagp, Paris 2018
Photo : Marc Domage

À peine le pied posé sur l’autre rive, il faut encore compter dix minutes pour traverser des sous-bois, puis une forêt, comme posée en pleine mer, où les cigales s’en donnent à cœur joie tout le jour. On pourra aussi cheminer entre vignes et oliviers centenaires dans le parfum entêtant des eucalyptus et la vision exubérante des palmiers, lauriers, cyprès, arbres fruitiers de cet itinéraire buissonnier qui fait le charme du Domaine de la Courtade où se dessine la Villa Carmignac, blottie au cœur de cette canopée méditerranéenne enchanteresse. Elle ressemble au très beau mas provençal construit dans les années quatre-vingts par l’architecte Henri Vidal sur les bases d’une ancienne ferme aperçue dans le film « Pierrot le fou » de Jean-Luc Godard. Et comme il n’était pas possible de bâtir des extensions sur ce territoire devenu « parc national » et donc inconstructible en 2012, le financier Edouard Carmignac, heureux propriétaire de l’endroit depuis 2013 et président de la Fondation qui porte son nom depuis l’an 2000, eut l’idée de demander à l’agence GMAA de creuser en sous-sol deux mille  m2 d’espace d’exposition pour présenter une partie de sa collection personnelle, soixante-dix œuvres sur les trois cents qu’elle compte actuellement.

Roy Lichtenstein
Collage for Nude with red Shirt, 1995
Technique mixte, 99,5 x 82,5 cm
© Collection Carmignac / The estate of Roy
Lichtenstein New York/Adagp, Paris 2017

Si l’Alycaste en garde l’entrée, celui qui règne sur les lieux en maître paradoxal est un  étrange portrait vaudou d’Edouard Carmignac peint par Jean-Michel Basquiat, au temps où le financier rencontrait l’artiste à la Factory de New York en 1984… « L’art contemporain est une aventure humaine qui n’a de sens que d’être partagée » martèle Edouard Carmignac qui « faisant fi des frontières et des tabous » a voulu placer sa collection « sous le signe de la liberté », trouvant même des « passerelles » entre le monde de l’art et le métier de gérant d’actifs financiers  dans « cet état d‘alerte, cette indépendance et cette autonomie » nécessaires aux deux activités. Pas question de déroger à certaines règles qui ont valeur de rituel à la Villa Carmignac. Pour visiter l’exposition temporaire inaugurale dont le commissaire est Dieter Buchhart, grand spécialiste de Keith Haring et de Jean-Michel Basquiat, il faut se déchausser après avoir bu un breuvage de plantes concocté par le pharmacien local. Le philtre mystérieux opérerait-il déjà ? En tout cas, visiter un espace muséal pieds nus sur de larges et fraîches dalles de pierre reste en soi une expérience unique. « On a essayé de créer des conditions pour que les œuvres parlent au mieux et qu’on puisse les entendre au mieux » explique Charles Carmignac, fils aîné d’Edouard et directeur de la Fondation depuis janvier 2017. Et puis, la magie de l’architecture joue. Plongé dans un espace où la mer, la campagne et la lumière se répondent, on est loin de ses repères habituels. Les rayons du soleil arrivent filtrés par un plafond de verre recouvert d’eau dont les ondulations aquatiques donnent l’impression de déambuler dans les fonds marins… « Nous souhaitons que les gens s’extraient le plus possible du monde virtuel, reprennent contact avec eux-mêmes et quittent leurs carapaces pédestres » précise Edouard Carmignac.

Jean-Michel Basquiat
Zing, 1984
© The Estate of Jean Michel Basquiat /
Adagp, Paris 2018

« Sea of desire » suit un parcours en huit thèmes. De « Pop Icons reloaded » à « Brave new World revisited » en passant par « Héritage et transgression », « Abstraction et disruption », « Révolution, terreur et effondrement »… les visiteurs circulent entre des œuvres d’Andy Warhol, Gerhard Richter, Richard Prince, Martin Raysse, Maurizio Cattelan, Alexandre Calder, Yves Klein, Joseph Koudelka, Roy Lichtenstein et… une Madone à l’enfant de Botticelli. « C’est un des rares maîtres anciens qui me touche » avoue Edouard Carmignac, qui en a fait l’acquisition pour cinq cent mille euros à Drouot en 2017. «Botticelli a défini l’archétype de la beauté occidentale à la Renaissance. Roy Lichtenstein, lui, a renouvelé le concept de beauté contemporaine avec une nouvelle écriture composée de points et de lignes, inspirée par la BD. Pour moi , c est  plus grand peintre de la fin du XXème siècle » poursuit Carmignac, qui en possède quinze tableaux. Lénine et Mao peints par Warhol sont accrochés côte à côte, l’une et l’autre toile dégageant la même énergie violente. Une femme monochrome bleu de Richter réalisée en 1964 dialogue avec « The Kiss » de Warhol, qui date de 1963. La jeune fille moderne peinte par Martial Raysse en 1962 n’est pas loin. En remontant au rez-de-chaussée, on découvre deux créations pérennes : une fontaine de poissons en apesanteur de Bruce Nauman et une toile panoramique de seize mètres de Miquel Barceló créée spécialement pour la Fondation et représentant des céphalopodes que le peintre a croisés  dans les eaux méditerranéennes. On y découvre aussi des œuvres de jeunes artistes dont on trouve quelques sculptures monumentales dans le parc en poussant la porte de la Villa Carmignac pour se retrouver dans les quinze hectares imaginés par le paysagiste Louis Benech. Au nord, voici une cabane entaillée par le street artist Vhils , un labyrinthe de miroirs signé Jeppe Hein, un pliage d’avion en acier de Gonzalo Lebrija ; la partie sud étant réservée aux monstres et à leurs gigantesques œufs. C’est une collection très personnelle, constituée essentiellement d’œuvres d’après-guerre, de Pop Art et de coups de cœur actuels. On y trouve beaucoup d’humour et de dérision. Ces œuvres sont caractérisées par un élan vital, à même de réveiller le regard du visiteur. Le message, c’est : « ouvrez les yeux pour regarder à l’intérieur et mieux vous connecter à ce qu’il y a autour » analyse Charles Carmignac. Ne manquent que la musique des Rolling Stones, de Neil Young et de Lou Reed  pour faire la bande-son. « Walk on the wild side » de Lou Reed est d’ailleurs le titre choisi par les éditions Skira pour le catalogue raisonné de la collection Carmignac. Bien vu ! Y compris pour l’esprit du lieu, sauvage, nomade et libre.

Patricia Boyer de Latour

Bruce Nauman
One Hundred Fish Fountain, 2005
© Fondation Carmignac – Photo : Marc Domage
Gerhard Richter
Grüner Strich, 1982
Huile sur toile, 200 x 320 cm
© Collection Carmignac / Gerhard Richter 2017

 

 

 

 

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