La jeunesse de l’art

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E. DE LA CROIX Je me suis souvent demandé si le patronyme n’avait pas parfois quelque influence sur la vie et, dans le cas des artistes, sur l’oeuvre. Que Messiaen pût lire sur ses papiers d’identité ce mot si proche de « Messie » l’a-t-il à un moment ou à un autre encouragé à devenir le grand musicien chrétien de la seconde moitié du XXe siècle, l’auteur de ce joyau de force et de lumière – à la fois fresque et vitrail – qu’est l’opéra Saint François d’Assise? Et Delacroix ? Que son nom contînt, soudât celui d’un des plus beaux poètes mystiques, Juan de Yepes Álvarez devenu en religion Juan de la Cruz, a-t-il favorisé sa main au moment de peindre des sujets religieux ? Tout est possible… En tout cas, le metteur en scène de la toujours frappante Liberté guidant le peuple est aussi(mais l’adverbe a-t-il bien sa place ici ?) – je songe à tout ceci en arrivant devant Saint-Denys du Saint-Sacrement, rue de Turenne, à Paris – l’un des grands faiseurs d’images bibliques du XIXe siècle. Je suis venu revoir la Pietà qu’il peignit pour les lieux : un cadrage en longueur et une exacerbation qui rappellent la représentation du même sujet par Rosso Fiorentino, la Vierge faisant ici et là le même geste de détresse immense, ses bras grand ouverts recréant la croix dont le Fils vient d’être descendu ; quant au linteau du tombeau qu’on voyait si proche sur la toile du Louvre, ce...

E. DE LA CROIX

Je me suis souvent demandé si le patronyme n’avait pas parfois quelque influence sur la vie et, dans le cas des artistes, sur l’oeuvre. Que Messiaen pût lire sur ses papiers d’identité ce mot si proche de « Messie » l’a-t-il à un moment ou à un autre encouragé à devenir le grand musicien chrétien de la seconde moitié du XXe siècle, l’auteur de ce joyau de force et de lumière – à la fois fresque et vitrail – qu’est l’opéra Saint François d’Assise? Et Delacroix ? Que son nom contînt, soudât celui d’un des plus beaux poètes mystiques, Juan de Yepes Álvarez devenu en religion Juan de la Cruz, a-t-il favorisé sa main au moment de peindre des sujets religieux ? Tout est possible… En tout cas, le metteur en scène de la toujours frappante Liberté guidant le peuple est aussi(mais l’adverbe a-t-il bien sa place ici ?) – je songe à tout ceci en arrivant devant Saint-Denys du Saint-Sacrement, rue de Turenne, à Paris – l’un des grands faiseurs d’images bibliques du XIXe siècle. Je suis venu revoir la Pietà qu’il peignit pour les lieux : un cadrage en longueur et une exacerbation qui rappellent la représentation du même sujet par Rosso Fiorentino, la Vierge faisant ici et là le même geste de détresse immense, ses bras grand ouverts recréant la croix dont le Fils vient d’être descendu ; quant au linteau du tombeau qu’on voyait si proche sur la toile du Louvre, ce sont ici Jean le bien-aimé et Joseph d’Arimathie qui, de leur épaule et de leur nuque, abritant le spasme marial, le rappellent. En revoyant à droite les yeux rouges – plus que rougis – de Marie-Madeleine, terrible source, inoubliable, on se souvient à bon droit de l’hommage de Baudelaire commençant ainsi : « Delacroix, lac de sang… » Un regard encore sur les vases pleins d’élégance dressés à gauche, et je sors pour aller voir non loin de là, au point où la souple rue Saint-Antoine devient l’interminable rue de Rivoli, dans l’église où fut créé le Te Deum de Charpentier, un autre Jésus de Delacroix qui, lui, est encore vivant. Voici, dans Saint-Paul-Saint- Louis, Le Christ au Jardin des Oliviers où les verts (« bois de sapins toujours vert » dit Baudelaire), les jaunes et les gris dansent gravement autour d’une coulée de lave orange, oblique, vive, s’en écartant, y revenant…

Sur l’autre rive, à Saint-Sulpice, se trouve l’ultime station pour qui souhaite goûter à Paris l’art religieux d’Eugène de la Croix; mais il s’agit cette fois, aux murs et au plafond de la chapelle des Saints- Anges, de l’Ancien Testament, et l’on continue de remonter le temps. Je lève d’abord les yeux pour regarder cette opale où vont s’immobiliser – car le combat s’achève – l’archange Michel brandissant sa lance et le Démon terrassé. Y a-t-il, dans toutes les nefs, tous les transepts, tous les déambulatoires de la capitale, plus belles peintures que ces trois images déployées autour d’une grande baie XVIIIe, et qu’on dirait volontiers, car de la cire entra dans leur fabrication, faites au crayon gras ? À droite Héliodore chassé du temple, à gauche La Lutte de Jacob avec l’Ange ; à droite d’épaisses colonnes et des voiles claquant pour dire les forces divines, à gauche des troncs massifs – on ne vit jamais, depuis La Mort de saint Pierre martyr de Titien, une telle orée dans un sanctuaire – et de lourdes frondaisons pour dire la même puissance ; à droite le châtiment infligé à qui ne considère que la valeur pécuniaire de ce qui nous entoure, à gauche l’épreuve en apparence injuste, injustifiable, mais certainement fortifiante et fertile, que subissent certains, parmi lesquels l’Artiste  dans la Société. Je me redis devant ces oeuvres, passant avec joie de ce carquois carré à cette cassette, de cette penne à ce brin d’herbe, de ce muscle à ce mors, de cette volupté de droite à cette fraîcheur de gauche, qu’elles furent boudées quand Delacroix les dévoila ; et que Schubert – comme Clara Haskil – vécut très longtemps sans avoir un piano à lui, et aussi que tel tableau de Caravage fut refusé et remplacé, etc. De pareils décalages, dont nous avons depuis longtemps pris l’habitude,  sont-ils inévitables ? Je ressors, heureux, et vais réfléchir un peu plus à la chose.

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