Le royaume plurimillénaire de l’Égypte pharaonique s’effondre en 30 av. J.-C., avec la victoired’Octave à la bataille d’Actium et le suicide des vaincus, Marc-Antoine et Cléopâtre. Dans l’Antiquité, comme au Moyen- Âge, de nombreux voyageurs vinrent de la Méditerranée admirer les merveilles de l’Égypte et commenter son histoire. Il faudra toutefois attendre la Campagne d’Égypte de Bonaparte (1798-1801), et la publication de la Description de l’Égypte, pour que le pays accueille de nouveaux touristes, fouilleurs improvisés, amateurs éclairés, écrivains, photographes et peintres, comme l’Écossais David Roberts, qui effectue son voyage entre 1838 et 1839.En 1815, Giovanni Battista Belzoni (1778- 1823), chasseur de belles pièces pour le compte du consul britannique Henry Salt, entreprend un examen du temple funéraire d’Amenhotep III. Sans les outils scientifiques dont l’archéologie d’aujourd’hui dispose, et, surtout, sans l’éthique actuelle, Belzoni a procédé aux premières fouilles du Memnonium, en a supposé l’enchaînement des cours, marquées par des statues colossales, les colonnades, et l’inclinaison ascendante des sols. Notons qu’à cette date, Champollion n’avait pas encore envoyé sa Lettre à M. Dacier relative à l’alphabet des hiéroglyphes phonétiques (1822), ni publié son Précis du système hiéroglyphique des anciens Égyptiens (1824).
Depuis 1998, l’exploration du site de Kom el-Hettan et la conservation des vestiges sont confiées par le Conseil suprême des antiquités d’Égypte – le CSA, dont Zahi Hawass est le secrétaire général –, au Projet de conservation des colosses de Memnon et du temple d’Amenhotep III, que dirige Hourig Sourouzian, en collaboration avec Rainer Stadelmann, Josef Dorner, Myriam Seco, Nairy Hampikian, Miguel Lopez, Christian Perzlmeiner… Cette brève énumération ne rend pas compte de l’ampleur et de la diversité de l’équipe de scientifiques associés au projet, tous spécialistes dans leur domaine, auxquels il faut ajouter les deux cent soixante-huit ouvriers égyptiens. Ce travail dans la durée requiert le soutien de mécènes. Chaque campagne nécessite de trouver les fonds qui permettront d’honorer les nombreux postes du budget. Fondée à Genève, à l’initiative de Monique Hennessy, qui en assure la présidence et en est la principale donatrice, l’Association des Amis des Colosses de Memnon finance les fouilles proprement dites, tandis que la conservation et la préservation bénéficient du soutien du Förderverein Memnon (Munich) et que Mercedes Egypt fournit l’indispensable voiture tout-terrain.
Le programme de la saison 2010 (du 17 janvier au 30 mars) incluait les colosses de Memnon, les deuxième et troisième pylônes, la cour à péristyle, l’enceinte ouest du temple; les premières investigations ont concerné les colosses, afin de vérifier leur statique et de s’assurer qu’il n’y avait pas de nouvelles fractures. Les mesures, correspondant à celles effectuées dans les années 1960, ont pu certifier que les colosses sont stables. Les indicateurs de fractures posés l’année précédente n’ont pas bougé, confirmant ainsi la solidité des statues. Les analyses démontrent que la restauration principale du colosse Nord a été effectuée il y a 1800 ans, soit en 199 (règne de Septime-Sévère, 146-211), au grand dam des voyageurs de l’Antiquité. De nombreuses inscriptions, telles les épigrammes de Julia Balbilla, poétesse qui accompagnait Hadrien, attestent l’émerveillement qui s’emparait de ces «touristes» lorsque, à l’aube, sous l’effet de la chaleur montante, l’humidité s’échappait des fentes, produisant un chant suave qui valut à Amenhotep III le nom de Memnon, le héros grec saluant sa mère, l’Aurore. Enfin, avec la collaboration de Zahi Hawass, un scanner au laser fut effectué dans l’intention de réaliser un modèle des colosses afin de faciliter leur étude.On procéda ensuite à des sondages autour des colosses et du premier pylône. Ils permirent d’analyser le sol, de dégager deux blocs de quartzite qui reposaient presque en surface et d’atteindre le niveau original du temple, afin d’observer s’il restait des traces de brique ou de pavement. Ils révélèrent également plusieurs objets intéressants: notamment une partie du pied gauche du Memnon, provenant d’une ancienne restauration. Conservé et étudié, le fragment fut déposé sur le piédestal, devant le pied mutilé.
Dans l’aire du deuxième pylône, il fallut faire venir des pompes pour abaisser le niveau de la nappe phréatique, avant de pouvoir exhumer et documenter les milliers de pièces trouvées autour des deux colossales statues royales tombées à cet endroit. Les statues furent restaurées et consolidées, et l’on s’attaqua à leurs fondations, de sorte à déterminer le niveau et la qualité du sol, à préparer les socles de gravier et de ciment sur lesquels poser les statues dans le futur. Au niveau du troisième pylône, on poursuivit la protection des briques originales de l’aile Nord avec des briques modernes de même dimension, estampées «MEMNON», afin de les différencier. Dans la cour à péristyle, on dégagea la chaussée processionnelle, pavée de plaques de grès et montant graduellement vers la façade du péristyle.
La trouvaille la plus spectaculaire fut la découverte, dans l’angle ouest du portique Sud, d’une tête monumentale en granit rouge du roi, qui devait se tenir debout, entre deux colonnes, comme le laissent supposer la barbe postiche, les grands fragments du corps et du pilier dorsal trouvés précédemment. Il serait donc possible de reconstruire la statue et de la mettre en place comme les deux statues du même type mais en quartzite que la mission vient de remonter. Toutefois, la tête ayant été transportée dans le nouveau musée de Minieh par un comité du CSA, des contacts ont été pris avec Zahi Hawass afin d’avoir une copie exacte de la tête pour pouvoir exécuter ce projet.L’importance du Projet de conservation des colosses et du temple d’Amenhotep III, l’un des plus vastes temples funéraires de toute l’Égypte, dédié à un souverain qui régna à un tournant du Nouvel Empire, le schisme atonien, justifie tous les efforts en vue d’une reconstruction. Le sérieux et la compétence de la mission de fouille n’étant plus à démontrer, on ne peut que déplorer que certains fragments monumentaux, comme la tête en granit rouge ou les statues de Sekhmet, aient émigré dans des musées plutôt que de participer à la résurrection de ce «palais d’éternité».