LE CHANT DES ESPRITS

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Dans l’écrin grandiose de la Fondation Opale, le public est invité à vivre une expérience d’une rare intensité : ressentir au plus profond de son corps et de son âme le souffle du yidaki, l’instrument sacré des Aborigènes de la Terre d’Arnhem. Tissant des passerelles entre musique, danse et arts visuels, l’exposition a des allures de chemin d’initiation. Par Bérénice Geoffroy-Schneiter Esprits rationnels, oubliez vos certitudes et vos repères ! En pénétrant dans la dernière exposition concoctée par Bérengère Primat, la Présidente de la Fondation Opale, et Georges Petitjean, le conservateur des collections, il convient de se délester de ses habitudes muséales pour accepter de se laisser porter par des flots d’images et de sons. En convoquant la présence physique et spirituelle de 70 instruments de musique aborigènes que le public connaît généralement sous le nom de didgeridoo, les commissaires invitent le visiteur à faire un voyage sensoriel au cœur de l’âme et de la culture millénaire du peuple Yolngu vivant en terre d’Arnhem, dans le Nord de l’Australie. « Exposer un son dans un lieu d’art contemporain comme la Fondation Opale peut paraître une gageure. Mais nous avions bien conscience que le yidaki, pour reprendre son nom traditionnel, est bien plus qu’un instrument de musique aux yeux des Aborigènes. Représenté sur des peintures rupestres datant d’au moins 1500 ans, il intervient dans des rituels funéraires comme dans des cérémonies festives. D’instrument sacré et parfois même secret, il est devenu depuis un symbole identitaire pour toute l’Australie. On lui prête même des pouvoirs...

Dans l’écrin grandiose de la Fondation Opale, le public est invité à vivre une expérience d’une rare intensité : ressentir au plus profond de son corps et de son âme le souffle du yidaki, l’instrument sacré des Aborigènes de la Terre d’Arnhem. Tissant des passerelles entre musique, danse et arts visuels, l’exposition a des allures de chemin d’initiation.

Par Bérénice Geoffroy-Schneiter

Esprits rationnels, oubliez vos certitudes et vos repères ! En pénétrant dans la dernière exposition concoctée par Bérengère Primat, la Présidente de la Fondation Opale, et Georges Petitjean, le conservateur des collections, il convient de se délester de ses habitudes muséales pour accepter de se laisser porter par des flots d’images et de sons. En convoquant la présence physique et spirituelle de 70 instruments de musique aborigènes que le public connaît généralement sous le nom de didgeridoo, les commissaires invitent le visiteur à faire un voyage sensoriel au cœur de l’âme et de la culture millénaire du peuple Yolngu vivant en terre d’Arnhem, dans le Nord de l’Australie.

« Exposer un son dans un lieu d’art contemporain comme la Fondation Opale peut paraître une gageure. Mais nous avions bien conscience que le yidaki, pour reprendre son nom traditionnel, est bien plus qu’un instrument de musique aux yeux des Aborigènes. Représenté sur des peintures rupestres datant d’au moins 1500 ans, il intervient dans des rituels funéraires comme dans des cérémonies festives. D’instrument sacré et parfois même secret, il est devenu depuis un symbole identitaire pour toute l’Australie. On lui prête même des pouvoirs de guérison, au-delà des cultures et des continents ! », explique ainsi avec enthousiasme Georges Petitjean.

La voie des ancêtres

A l’origine, le yidaki n’était pourtant présent que dans une petite partie du continent australien : cette région du nord et du nord-ouest riche en forêt tropicale où poussent à foison ces eucalyptus dont les troncs, creusés par les termites, serviront de matière première pour réaliser les précieux instruments. Indissociable de l’arbre qui l’a fait naître, le yidaki fait donc partie intrinsèque de la terre des ancêtres, appartient à l’histoire du clan. Dans le catalogue qui accompagne l’exposition, Marikuku Wirrpanda, membre du clan Dhudi djapu et expert dans l’art de fabriquer ces instruments, explique ainsi : « Pour couper un yidaki, je me rends d’abord au bon endroit. Puis je trouve le bon arbre, avec la forme et le creux qui conviennent. Si je me trouve alors sur les terres du clan de ma mère, le clan Gumatj, alors je peins le yidaki avec des miny’tji (motifs claniques sacrés) gumatj. »

Ainsi, rien de moins aléatoire que le processus de fabrication et l’ornementation de ces fascinants instruments. « L’art visuel de cette région reflète les pouvoirs du Wangarr, le temps ininterrompu de la création, et son identité territoriale de pays d’eau douce et d’eau salée », explique ainsi Georges Petitjean. Savamment codifiés, le choix des motifs sacrés, tout comme l’emploi des couleurs, se transmettent de génération en génération et sont sévèrement encadrés par un copyright. Malheur à celui ou à celle qui enfreindrait la loi !

Si la sonorité de l’instrument demeure la première qualité requise, son décor subjugue néanmoins par la sophistication de ses vibrations chromatiques, quasi hypnotiques. Un concept esthétique semble sous-tendre l’ensemble de la création : ce rendu si particulier de « brillance » (ou bir’yun), que l’on retrouve sur les peintures sur écorce traditionnelles, comme dans les œuvres des artistes aborigènes contemporains. Selon l’historien de l’art Howard Morphy, ce chatoiement de surface obtenu par des hachures croisées n’aurait, là encore, rien de gratuit mais traduirait « un signe de puissance ancestrale ».

Une tradition vivante

Mais s’il puise ses racines dans la mémoire la plus lointaine du peuple aborigène, l’art du yidaki est loin de paraître archaïque, voire obsolète auprès de la jeune génération. Scandée d’installations immersives et de vidéos qui ne détonneraient pas dans une Biennale d’art contemporain, l’exposition de la Fondation Opale dévoile ainsi les expérimentations audacieuses menées par des artistes dépositaires de leur culture, tout en étant rompus aux techniques avant-gardes les plus pointues.

Né en 1973, Gunybi Ganambarr apparaît ainsi comme le parfait exemple de pont jeté entre les deux traditions. Ayant grandi et vécu toute sa vie à Gängän, le territoire de sa mère, il a « reçu la Loi » (ou rom) des Anciens. Joueur de yidaki très respecté, l’artiste a néanmoins profondément renouvelé l’art de cette région en troquant les pigments naturels et les écorces d’eucalyptus contre des matériaux de construction glanés sur les chantiers miniers ! Fidèles aux récits sacrés, ses motifs claniques sont désormais ciselés à l’aide d’outils électriques sur des tôles d’aluminium ou des panneaux isolants. « Ma manière de penser est différente de celle des Anciens quand ils peignaient. J’essaie de faire de la Loi une réalité.(…) Mon art est en accord avec les chants », répond ainsi Gunybi Ganambarr à ceux qui jugeraient son travail iconoclaste.

Les femmes ne sont pas en reste dans cette révolution du regard. Les eaux sacrées de Gängän, et plus particulièrement l’étang de Garrimala, ont ainsi inspiré des œuvres d’une rare poésie à l’artiste Malaluba Gumana. Créée spécifiquement pour l’exposition, une installation immersive plonge ainsi le visiteur dans un monde onirique mettant en scène des nénuphars et des serpents sacrés. Issue d’une lignée d’artistes, Bulthirrirri Wununmurra, quant à elle, a redonné forme aux esprits Mokuy de ses ancêtres dans un tourbillon de formes circulaires évoquant l’énergie des danses rituelles.

Il faut, à cet égard, souligner l’extraordinaire pouvoir de séduction des images créées par The Mulka Project. Composé d’un collectif d’artistes multimédia, de cinéastes, et d’ingénieurs du son, ce studio de production numérique installé au nord-est de l’Australie réactive les mythes et l’âme des Yolngu de bien belle façon…

« Breath of Life », « La vie n’est qu’un souffle », jusqu’au 17 avril 2022, Fondation Opale, Lens/Crans-Montana, www.fondationopale.ch

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