Le Futurisme à Paris Retour sur une exposition historique

Parmi les centenaires qui comptent, on ne manquera pas de citer celui du futurisme, lancé par Marinetti en 1909. Mais c’est par la peinture, et non par la littérature que le futurisme s’est imposé comme le plus important mouvement d’avant-garde dans les années précédant la Première Guerre. C’est par la peinture qu’il survit jusqu’aujourd’hui, faisant oublier, fort opportunément, la proximité de son fondateur avec le fascisme.Le projet initial de Marinetti fut toutefois très différent. Lorsqu’il lança, au début de 1909, à Milan et à Paris, son Manifeste du futurisme, il ne voulaitpas créer un nouveau mouvement littéraire ou artistique, comme il y en avait eu tant depuis la fin du XIXe: dynamisme, paroxysme, unanimisme, fauvisme, cubisme et bien d’autres. Il pensait déclencher une révolution culturelle afin de faire basculer l’Italie dans la modernité. Pour les romantiques et les symbolistes, l’Italie était la patrie des morts, une terre du passé, un monument écroulé. Les Italiens ne ressemblaient plus qu’à l’ombre d’un peuple… jusqu’au moment où Mazzini et Cavour en appelèrent au «Risorgimento», au retour à la vie. Mais l’unité politique faite, il restait à inventer une littérature, une philosophie, un art en phase avec le monde moderne, celui de la ville et de ses bruits, de la machine, de la vitesse. Il fallait créer un homme nouveau, à la manière de Marx et de Nietzsche. Ce sera Mafarka le futuriste, dont Marinetti brosse le portrait flamboyant dans un roman utopique, quelque peu oublié aujourd’hui.Pour les futuristes, il ne s’agit pas seulement...

Parmi les centenaires qui comptent, on ne manquera pas de citer celui du futurisme, lancé par Marinetti en 1909. Mais c’est par la peinture, et non par la littérature que le futurisme s’est imposé comme le plus important mouvement d’avant-garde dans les années précédant la Première Guerre. C’est par la peinture qu’il survit jusqu’aujourd’hui, faisant oublier, fort opportunément, la proximité de son fondateur avec le fascisme.
Le projet initial de Marinetti fut toutefois très différent. Lorsqu’il lança, au début de 1909, à Milan et à Paris, son Manifeste du futurisme, il ne voulaitpas créer un nouveau mouvement littéraire ou artistique, comme il y en avait eu tant depuis la fin du XIXe: dynamisme, paroxysme, unanimisme, fauvisme, cubisme et bien d’autres. Il pensait déclencher une révolution culturelle afin de faire basculer l’Italie dans la modernité. Pour les romantiques et les symbolistes, l’Italie était la patrie des morts, une terre du passé, un monument écroulé. Les Italiens ne ressemblaient plus qu’à l’ombre d’un peuple… jusqu’au moment où Mazzini et Cavour en appelèrent au «Risorgimento», au retour à la vie. Mais l’unité politique faite, il restait à inventer une littérature, une philosophie, un art en phase avec le monde moderne, celui de la ville et de ses bruits, de la machine, de la vitesse. Il fallait créer un homme nouveau, à la manière de Marx et de Nietzsche. Ce sera Mafarka le futuriste, dont Marinetti brosse le portrait flamboyant dans un roman utopique, quelque peu oublié aujourd’hui.Pour les futuristes, il ne s’agit pas seulement de rejeter tout ce qui rappelle le passé mais de le détruire. «Boutez donc le feu aux rayons des bibliothèques ! Détournez le cours des canaux pour inonder les caveaux des musées», s’écrie Marinetti dans son premier manifeste. Tout est à refaire, à partir du monde de la machine et de la vitesse. «La littérature ayant jusqu’ici magnifié l’immobilité pensive, l’extase et le sommeil, nous voulons exalter le mouvement agressif, l’insomnie fiévreuse, le pas de gymnastique, le saut périlleux, la gifle et le coup de poing.»Ce premier manifeste est suivi par une série d’autres brûlots: contre le clair de lune (symbole de la poésie traditionnelle), contre Venise(repère des antiquaires et des prostituées du monde entier), contre l’occupation autrichienne de Trieste (l’Adriatique doit redevenir une mer tricolore). Marinetti en écrit quelque cent cinquante, dont la moitié avant la Première Guerre. Ces publications s’accompagnent de manifestations souvent violentes, les fameuses «soirées futuristes», dont s’inspireront dadaïstes et surréalistes, et qui se terminaient fréquemment par l’intervention de la police.Le projet de Marinetti est clairement politique. Dans Nos ennemis communs, il propose un rapprochement entre le prolétariat de la culture et le prolétariat du travail, deux avantgardes qui doivent faire front contre les ennemis de la révolution: «cléricalisme, affairisme, moralisme, académisme, pédantisme, pacifisme et médiocrisme». Politique dans le sens le plus vaste du mot, car Marinetti vise à englober toutes les activités humaines.

Dès le départ, il essaie donc aussi de mobiliser les jeunes peintres de la «Famiglia Artistica» de Milan, regroupant les artistes opposés à la culture officielle. Parmi eux figurent Boccioni, Carrà, Romani, Russolo. Avec Balla et Severini, il rédige, au début de 1910, le Manifeste de la peinture futuriste: «Camarades ! Nous vous déclarons que le progrès triomphant des sciences a entraîné des changements si profonds pour l’humanité qu’un abîme s’est creusé entre les dociles esclaves du passé et nous, libres et certains de la radieuse magnificence de l’avenir. Nous sommes écœurés par la paresse indigne qui, depuis la Renaissance, fait vivre nos artistes d’une permanente exploitation des gloires du passé. Pour les autres peuples, l’Italie est encore une terre de morts, une immense Pompéi blanchie de tombeaux. Mais l’Italie renaît, et à son Risorgimento politique fait écho sa renaissance intellectuelle.»Aussi ces peintres essaient de traduire dans leurs tableaux les aspects les plus spectaculaires de la vie moderne: l’électricité (opposée à la lumière naturelle), la ville avec ses foules (opposée à la nature des impressionnistes), ses usines et ses bruits, l’automobile lancée à toute vitesse, la locomotive, l’avion, le mouvement des boxeurs, la guerre.La plupart de ces peintres avaient participé dès 1909 aux expositions annuelles de la «Famiglia Artistica». En février 1912, la galerie Bernheim-Jeune organisait la première exposition futuriste à Paris; elle réunissait trentecinq tableaux de cinq peintres (Boccioni, Balla, Carrà, Severini, Russolo). Le Centre Pompidou a réuni la presque totalité de ces toiles, donnant ainsi à voir ce qui fut un véritable événement européen, puisque cette exposition a été montrée successivement à Londres, Berlin, Bruxelles, Hambourg, Amsterdam, La Haye, Munich, Vienne, Budapest, Francfort, Breslau, Zurich, Dresde. C’est ainsi que le futurisme a essaimé à travers toute l’Europe et jusqu’en Russie. Malevitch, Tatlin, Natalia Gontcharova, Nicolay Diulgheroff, George Grosz subissent son influence, tout comme Kandinsky, Léger, Jaïs Nielsen, David Bromberg, Wyndham Lewis, Christopher R. W. Nevinson et bien d’autres. Dans les années 20 et 30, le mouvement des peintres futuristes se fond dans les autres mouvements d’avant-garde et s’éloigne petit à petit des théories de Marinetti. Ce dernier fera désormais carrière aux côtés de Mussolini et finira par entrer à l’Académie. Fidèle à ses engagements guerriers au moment de la bataille de Tripoli, en 1911, et dela guerre de 14-18, il participera à la guerre d’Éthiopie. «Nous voulons glorifier la guerre – seule hygiène du monde –, le militarisme, le patriotisme, le geste destructeur des anarchistes, les belles idées qui tuent, et le mépris de la femme», avait-il écrit dans son premier manifeste dont un siècle d’histoire a rendu la lecture insupportable, même en faisant la part belle à cette rhétorique de l’outrance qui caractérise tous les textes de Marinetti et de ses camarades. C’est aussi la raison pour laquelle la doctrine futuriste, aujourd’hui, suscite davantage l’intérêt des historiens que celui du grand public qui, lui, en revanche, se régale des œuvres des peintres.

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