LE MEG À L’HEURE DES INTERROGATIONS

Vue de lexposition Mémoires Genève dans le monde colonial MEG Genève
Vue de lexposition Mémoires Genève dans le monde colonial MEG Genève
Comment aborder l’histoire de ses collections à l’aube du XXIe siècle lorsque l’on est un musée d’ethnographie conservant des objets extra-européens dont la fonction originelle et le nom des auteurs ont été parfois occultés au moment de la collecte ? C’est à cette passionnante question que répond avec subtilité la nouvelle exposition du MEG. Qu’y a-t-il de commun, de prime abord, entre un reliquaire Kota du Gabon, une cloche d’autel ancestral du royaume de Bénin (actuel Nigeria), un récipient décoratif provenant du Suriname portant une inscription en néerlandais créole, un cabinet en bois laqué japonais de la fin du XVIIe siècle, une coiffe de femme Ekori d’origine Herero (Namibie), une tête de Bouddha khmer (Cambodge) datée du XIVe siècle? Si dissemblables par l’usage, les matériaux, le contexte d’origine et la symbolique, ces œuvres sont pourtant toutes entrées dans les collections du musée d’Ethnographie de Genève au gré des conquêtes, des guerres, des pillages, mais aussi des collectes scientifiques, du commerce, des échanges, des donations… Sans sombrer dans le manichéisme, ni la repentance, les équipes de conservateurs du MEG se sont alors interrogées sur le destin singulier de ces objets arrachés à leur terre d’origine durant l’ère coloniale et dont les cartels invisibilisent trop souvent les chemins singuliers par lesquels ils sont parvenus jusqu’à nous. «Cette exposition s’apparente à un exercice d’humilité. Nous avons souhaité avant tout brosser un état des lieux et mettre en lumière ce que les musées ne racontent pas d’ordinaire. Il n’y a en effet rien de plus...

Comment aborder l’histoire de ses collections à l’aube du XXIe siècle lorsque l’on est un musée d’ethnographie conservant des objets extra-européens dont la fonction originelle et le nom des auteurs ont été parfois occultés au moment de la collecte ? C’est à cette passionnante question que répond avec subtilité la nouvelle exposition du MEG.

Qu’y a-t-il de commun, de prime abord, entre un reliquaire Kota du Gabon, une cloche d’autel ancestral du royaume de Bénin (actuel Nigeria), un récipient décoratif provenant du Suriname portant une inscription en néerlandais créole, un cabinet en bois laqué japonais de la fin du XVIIe siècle, une coiffe de femme Ekori d’origine Herero (Namibie), une tête de Bouddha khmer (Cambodge) datée du XIVe siècle?

Si dissemblables par l’usage, les matériaux, le contexte d’origine et la symbolique, ces œuvres sont pourtant toutes entrées dans les collections du musée d’Ethnographie de Genève au gré des conquêtes, des guerres, des pillages, mais aussi des collectes scientifiques, du commerce, des échanges, des donations…

Sans sombrer dans le manichéisme, ni la repentance, les équipes de conservateurs du MEG se sont alors interrogées sur le destin singulier de ces objets arrachés à leur terre d’origine durant l’ère coloniale et dont les cartels invisibilisent trop souvent les chemins singuliers par lesquels ils sont parvenus jusqu’à nous.

«Cette exposition s’apparente à un exercice d’humilité. Nous avons souhaité avant tout brosser un état des lieux et mettre en lumière ce que les musées ne racontent pas d’ordinaire. Il n’y a en effet rien de plus réducteur qu’un cartel ! Au terme de nos enquêtes (parfois farfelues!), nous avons ainsi pu reconstituer la longue biographie de ces objets dont nous avons tenté de retracer le parcours souvent chaotique. Car de l’artiste au vendeur, en passant par les intermédiaires, c’est toute une chaîne d’invisibilités qui ont fait écran à leur histoire», explique ainsi Floriane Morin, qui a orchestré avec brio cette exposition.

Croisant les récits de conservateurs, d’historiens de l’art, de géographes, d’anthropologues et de spécialistes de l’époque coloniale, c’est ainsi un kaléidoscope d’histoires que raconte cette exposition, originale à plus d’un titre.

Décliné en trois épisodes (« objets convoités», objets convoqués, « objets résistants»), le parcours se veut polyphonique et ouvert, il invite le visiteur à s’interroger sur le sens réel de ces objets que notre penchant esthétique a hissés au rang d’œuvres d’art, en négligeant trop souvent leur dimension rituelle.

La destinée des gardiens de reliquaires kota du Congo et du Gabon est, à cet égard, particulièrement signifiante. Alignées dans une longue vitrine tels de sages « bibelots» offerts à notre délectation, ces statues de bois et de laiton qui fascinèrent tant les artistes des avant-gardes sont, en réalité, des objets orphelins des paniers (N’kobè) qui contenaient à l’origine les ossements des anciens du lignage. Alors qu’ils ont conservé la figure sculptée digne, à leurs yeux, de figurer dans une collection privée ou un musée, les collectionneurs européens ont jeté ou brûlé ce qui constituait aux yeux des populations kota l’âme même de leurs ancêtres. Il faut alors prendre le temps d’écouter les témoignages des deux universitaires Jean-Didier Ekori et Jean Lignongo pour mesurer la violence de cet arrachement matériel et spirituel…

Parfois, c’est une autre forme d’incompréhension qui affecte la présentation muséale d’un objet, comme l’illustre l’histoire rocambolesque de ce panier kongo inventorié en 1824 sous ce cartel un brin laconique de «panier fait par un Sauvage», dans un lot d’objets dits des «Caraïbes». « Pendant deux cents ans, ce panier a été considéré comme un simple contenant de noix de cajou en provenance de la Martinique jusqu’à ce que son origine soit remise en question par un visiteur à l’occasion de son exposition au MEG en 2016 », raconte ainsi Floriane Morin. Loin d’être un modeste ustensile domestique, cet objet s’avérait en fait être une luxueuse vannerie emblématique du royaume du Kongo d’Afrique centrale! «Quand, et dans quelles circonstances, ce panier a-t-il traversé l’Atlantique pour les Caraïbes avant d’être transporté à Genève? Serait-il l’œuvre d’une personne maniant l’art de la vannerie kongo, détenue comme esclave sur une plantation caribéenne du XVIIIe siècle?», s’interroge ainsi la conservatrice. Autant d’énigmes stimulantes que l’état actuel des recherches ne permet pas encore d’élucider…

Mais s’il est une relecture tout aussi passionnante qu’offre cette exposition, c’est bien la mise en lumière de personnalités aussi originales qu’éclectiques qui ont contribué, par leur activité professionnelle ou leur passion, à enrichir les collections du musée. C’est ainsi le cas d’Émile Chambon (1905-1993), dont le curieux autoportrait en administrateur colonial pourrait dérouter plus d’un visiteur! «À travers la collection Chambon, c’est toute une tranche de l’histoire du marché de l’art africain avant la Seconde Guerre mondiale qui nous est racontée. Peintre genevois n’ayant jamais voyagé, il représente l’archétype du collectionneur européen d’art tribal. Outre les œuvres qu’il a acquises et qui témoignent du goût de son époque, le MEG conserve un riche ensemble de dessins et de documents, dont sa correspondance avec le grand marchand parisien Pierre Vérité», se réjouit ainsi Floriane Morin.

Autre belle surprise, l’exposition jette un coup de projecteur sur deux figures féminines trop souvent écartées de l’histoire officielle. Ainsi, Alice Bertrand ne se contenta pas d’être la docile épouse de l’aventurier et chasseur Alfred Bertrand, mais participa activement à l’achat et à la documentation de la collection d’art africain léguée par le couple à la ville de Genève en 1941. De même, Marie Solioz accompagna son époux Victor, ingénieur des chemins de fer, dans les colonies allemandes africaines et s’intéressa aux arts de la parure, trop souvent négligés par les ethnologues masculins…

À l’heure où le discours sur la provenance des collections est trop souvent entaché de contre-vérités ou de raccourcis anachroniques, cette exposition offre ainsi de salutaires pistes de réflexion. Aux visiteurs de s’interroger à leur tour pour se forger leur propre opinion!

Vue de lexposition Mémoires Genève dans le monde colonial MEG Genève 2
Vue de lexposition Mémoires Genève dans le monde colonial MEG Genève 2
Récipient décoratif portant une inscription en néerlandais créole «Gedenk van mijn en vergiet mijn niet » («Souvenezvous de moi et ne moubliez pas») Suriname Proven
Récipient décoratif portant une inscription en néerlandais créole «Gedenk van mijn en vergiet mijn niet » («Souvenezvous de moi et ne moubliez pas») Suriname Proven
Divers dessins de lartiste et collectionneur Émile Chambon (19051993) représentant des objets africains de sa collection personnelle repérés sur le marché de lart
Divers dessins de lartiste et collectionneur Émile Chambon (19051993) représentant des objets africains de sa collection personnelle repérés sur le marché de lart

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