Il n’est que de traverser l’exposition Néon, Who’s afraid of red, yellow and blue ? à la Maison rouge (Paris) pour se rendre compte que le tube de néon se tord et se façonne à volonté, mais que sa lumière, toujours surprend et étonne.
Vingt-huit ans après sa présentation à l’Exposition universelle de 1923, le néon a intéressé l’artiste Lucio Fontana (1899-1968) qui, à la Triennale de Milan, présenta un «tourbillon lumineux», entièrement réalisé en néon. «Néon» vient du grec νεος, nouveau… L’invention n’était pas neuve en 1951 mais le regard d’un artiste en renouvela l’intérêt. Les œuvres en néon, d’abord, épousèrent les formes géométriques: carrés, triangles… Elles étaient rares encore, laissant le néon envahir les enseignes de rues. Alors qu’un Pollock peint ses electrics spaces, les sculpteurs et plasticiens peinent, semble-t-il, à apprivoiser le néon. Le néon n’a pas encore trouvé ses artistes.
Joseph Kosuth y voit un outil naturel et fondamental pour ses tautologies. Parce que l’art est langage, l’art est définition de l’art. Que fait-il du néon ? Une démonstration de force… Néon signifie… néon. Et voilà. Rien à comprendre, la représentation est parfaite, simple comme sa formulation. Elle renvoie à la question de la représentation et de son sens. Ici, les deux coïncident: on touche donc à la perfection, selon Kosuth. On est en 1965: Néon fait figure de précurseur dans l’histoire de l’art, tant par sa matière que par la réflexion qui sous-tend l’œuvre.
L’éclairage blême qui rappelle tant les administrations, les hôpitaux ou les supermarchés n’est toujours pas dompté. La lumière, même colorée, semble toujours la même. Les artistes seraient-ils obligés de «faire avec» ? Ou de tremper le tube dans un noir obscur pour emprisonner la lumière, comme pour la punir d’être sans nuances possibles ? C’est le choix de Claire Fontaine pour cette œuvre, Lager, dont le titre signifie «camps». La contrainte oblige à un certain humour. L’écriture de Kosuth, «néon», est peut-être la seule voie pour créer de l’art avec cet étrange matériau. La tautologie lumineuse est née. Et tout le monde s’en donne à cœur joie: le néon devient une nouvelle «écriture», selon le mot de Maurizio Nannucci. Ce Florentin utilise la couleur qui épouse la lumière et l’espace. Pour d’autres, le néon permet de transformer la lumière en simple tracé, qu’il soit autoritaire, dans une verticale, ou voluptueux, dans des courbes incertaines. La question de la lumière demeure: faut-il sculpter le néon ou la lumière elle-même ? Jeff Koons y répond à sa manière, en aveuglant son spectateur pour que toute matière disparaisse, noyée dans la lumière crue, parfois violente. Pot the pie (1979) efface l’élément visible censé être mis en valeur.
Dans cette effervescence lumineuse, il convient de s’arrêter sur Dan Flavin, le Rothko du néon. Homme de foi (1933-1996), d’abord séminariste avant de renoncer à la prêtrise pour l’art, Flavin utilise le néon dès 1963. Il travaille la lumière de façon quasi liturgique, rappelant le faste des offices, les cierges et la blancheur des aubes. Ses œuvres ont quelque chose de transcendantal sans monumentalité. Est-ce de l’art minimal, comme on le dit souvent à son propos ? Les grandes salles bleues, ponctuées de néons blancs et éclairées par eux, font entrer le grandiose dans l’œil du visiteur. La main de Claude Lévêque a-t-elle tremblé pour inscrire en néons multicolores ce qui stimule, au fond, cette singulière sculpture de lumière: Rêvez ! (2008) ? Le néon a encore de belles heures devant lui.