«Que les Médicis dorment en paix dans leurs tombeaux de marbre et porphyre – s’est écrié Alexandre Dumas – ils ont fait plus pour la gloire du monde que n’avaient jamais fait avant eux et que ne feront jamais depuis, ni princes, ni rois, ni empereurs.» Aucun visiteur de l’exposition qui se tient encore jusqu’au 31 janvier 2011 au Musée Maillol – Fondation Dina Vierny ne risque de donner tort au père des Trois Mousquetaires, tant les peintures, les sculptures et les dessins, les bijoux et les objets d’orfèvrerie destinés au culte ou à l’ornement de la table transportent l’esprit et les sens. Le visiteur découvrira en outre des manuscrits rares, des livres enluminés et somptueusement reliés, des instruments de musique, des constructions scientifiques destinées à explorer l’espace et le temps, sans parler de l’évocation des palais et des jardins, la célébration des fêtes princières et des mariages royaux.
L’ histoire des Médicis se confond avec celle de Florence. Pendantplus de trois siècles, cette famille s’est imposée comme l’une des plus puissantes dynasties européennes, donnant deux papes à l’Italie et deux reines à la France. Elle est surtout entrée dans l’histoire comme le principal foyer de la philosophie, de la littérature, de l’art et des sciences de la Renaissance. Les Médicis ont joué un rôle essentiel à la fois par les richesses accumulées dans leurs collections de pièces provenant de tous les pays et de toutes les époques, et par les impulsions données à la création sous toutes ses formes. Jamais mécénat ne s’est exercé avec autant d’intelligence, de raffinement et de splendeur pendant plus de trois siècles. Bien que les collections somptueuses aient subi plus d’une fois les aléas de l’histoire, elles font de Florence, aujourd’hui encore et pour l’essentiel, la capitale des arts à travers des musées comme ceux du Bargello, le Palazzo Pitti, le Museo degli Argenti, la Bibliothèque Laurentienne, sans parler des palais, des églises et des chapelles qui perpétuent le nom des Médicis.Nul tableau n’illustre mieux la gloire des Médicis que cette Adoration des mages (1476) de Botticelli, commandée pour la chapelle funéraire de Gaspare Zanobi del Lama à Santa Maria Novella, chef d’œuvre que François Ier de Médicis avait transporté dans son palaisen 1566 et qui, par exception, a quitté les Offices pour quelques mois. On y voit, réunies autour de la Sainte Famille, trois génerations de Médicis, l’histoire de la Florence contemporaine s’invitant ainsi dans une scène religieuse, et pas n’importe laquelle, puisqu’il s’agit de la scène fondatrice du christianisme. Au pied de la Vierge et de l’Enfant, en vieux roi habillé d’un manteau bleu, se tient Cosme l’Ancien (1389-1464), celui qui est à l’origine à la fois de la fortune des Médicis et de leur carrière politique. Descendant d’une famille d’agents de change connue dès le XIIIe siècle, Cosme l’Ancien, entre autres grâce à l’industrie textile, s’est hissé à la tête d’un empire commercial opérant dans toute l’Europe. Quant à sa banque, elle compte des filiales à Rome, à Naples, à Venise,à Milan, à Avignon, à Lyon, à Bruges, à Londres et à Genève. Malgré la chute de Constantinople et l’essor de l’industrie lainière anglaise, Cosme reste le marchand le plus riche de Florence. Il affirme sa puissance en se faisant construire un palais, Via Larga, non pas par Filippo Brunelleschi, alors l’architecte le plus célèbre de Florence, mais, afin d’éviter les jalousies, par Michelozzo.
Cosme l’Ancien était également un collectionneur avisé d’antiquités grecques et romaines. Son orgueil était d’avoir acquis une vingtaine de camées parmi les plus rares, comme cet exemplaire en onyx et sardonyx représentant Poséidon et Athéna combattant pour la domination de l’Attique, que le Moyen Âge attribuait à Pyrgotèle, le graveur de pierre d’Alexandre le Grand. Il posait ainsi les fondements de l’exceptionnelle collection de chefs-d’œuvre de la glyptique dont les Médicis étaient très amateurs.Au centre du tableau, représenté de profil et drapé dans un manteau rouge, le fils de Cosme, Pierre le Goutteux (1414-1469, ainsi surnommé à cause de l’arthrite déformantedont il souffrait). Peu intéressé par le commerce et la finance, il s’est concentré sur le mécénat, tradition inaugurée par son père ; il passe commande à de nombreux peintres, dont Benezzo Gozzoli qui a créé pour lui la célèbre fresque du Cortège des rois mages qui orne la chapelle du Palazzo Médicis-Riccardi, à Florence.
Dans le groupe de droite, habillé d’un manteau noir, le petit-fils de Cosme, Laurent le Magnifique (1449-1492), protecteur non seulement des peintres et des sculpteurs, mais aussi des penseurs et des poètes. Poète lui-même, il a réuni une bibliothèque de plus de mille volumes, chiffre considérable pour l’époque. C’est lui qui est à l’origine de la Bibliothèque Laurentienne. À ses côté se tiennent Marsile Ficin, Ange Politien, Pic de La Mirandole, les fondateurs du néo-platonisme, contre lesquels, le 21 septembre 1494, Savonarole allait jeter l’anathème. Laurent le Magnifique a fait travailler Michel-Ange, Ghirlandaio et beaucoup d’autres artistes, dont précisément Botticelli, qui dans notre tableau, s’est représenté à droite, le regard tourné avec une belle assurance vers le spectateur. Vêtu d’un élégant manteau pourpre, il est l’égal de ses protecteurs qu’il a eu l’audace de représenter comme de véritables saints. Botticelli a été un des artistes les plus appréciés de cette première Renaissance florentine dont il incarne parfaitement l’élégance et le raffinement.Chassés de Florence en 1494, les Médicis, dont les collections avaient été dispersées, n’y sont revenus que trente ans plus tard. Entre-temps, la famille avait fourni deux papes, Léon X, le protecteur de Raphaël et de Michel-Ange, et Clément VII, qui négocia le mariage de sa petite-cousine, Catherine de Médicis (1519-1589), avec le troisième fils de François Ier, le futur Henri II.La tradition de mécénat des Médicis sera reprise par Alexandre Ier (1511-1537), qui a épousé une fille de Charles-Quint, puis par Cosme Ier (1519-1574), l’époux d’Eléonore de Tolède, portraiturée par Bronzino: ils rachètent de nombreuses pièces des anciennes collections et les augmentent considérablement. Ainsi, legrand-duc de Toscane, CosmeIer, qui avait reçu son titre du pape Pie V, rêvant de ressusciter l’ancienne Étrurie, charge ses ambassadeurs de lui trouver des œuvres étrusques. Pour ses appartements privés du Palazzo Pitti, il fait l’acquisition de L’Orateur, bronze du IIe siècle av. J.-C., découvert par un paysan dans ses vignes du lac Trasimène et ramené à Florence par Vasari.Ainsi, chacun des objets exposés raconte à sa manière l’histoire passionnante de son entrée dans les collections des Médicis. Aucun d’entre eux n’est là par hasard, mais par la volonté des collectionneurs. Tous témoignent du goût exquis de ceux qui les ont choisis.Comme cette verseuse chinoise et flamande. À l’époque, le mécène était d’abord un insurpassable connaisseur. Ce n’est pas là le moindre enseignement de cette magnifique exposition. Qui oserait dire la même chose de nos modernes sponsors ?