L’EFFERVESCENCE CRÉATRICE DU CONTINENT AFRICAIN

Loin des diktats imposés par le goût occidental, l’art contemporain africain s’impose avec brio sur la scène internationale et affirme sa singularité. Démonstration éblouissante au musée Rath qui expose la collection rassemblée avec passion par la Compagnie Bancaire Helvétique (CBH). Les collectionneurs qui sillonnent les Biennales et les foires les plus prestigieuses le savent bien : l’art contemporain africain « explose » littéralement et l’on voit émerger des personnalités hors du commun dans tous les champs de la création : photographie, vidéo, peinture, sculpture, performance, installation. De nombreux artistes de premier ordre ont pourtant vu le jour sur le Continent Noir bien avant cette reconnaissance internationale, comme le démontre le florilège d’œuvres sélectionnées par Ousseynou Wade et Jean-Yves Marin dans le très riche Fonds de la Collection de la Compagnie Bancaire Helvétique (CBH). C’est donc avec gourmandise que l’on se précipitera au musée Rath pour découvrir l’extraordinaire vitalité de la création africaine sur plus d’un siècle. Albert Lubaki, Sans titre, 1927, aquarelle sur papier, 52 x66cm « ATOMISER L’EXOTISME » Certes, il peut paraître illusoire d’embrasser, en une seule exposition, l’ensemble des courants esthétiques qui s’épanouissent aux quatre coins de l’Afrique depuis l’aube des années trente. Se délester des grilles de lecture occidentales et « atomiser l’exotisme » (pour reprendre l’expression heureuse de Salimata Diop dans le catalogue) s’imposent alors d’emblée pour appréhender avec un regard « neuf » les quelque quatre-vingts artistes rassemblés par les deux commissaires le temps de cet accrochage aux allures de stimulante confrontation. « Entrer dans l’espace...

Loin des diktats imposés par le goût occidental, l’art contemporain africain s’impose avec brio sur la scène internationale et affirme sa singularité. Démonstration éblouissante au musée Rath qui expose la collection rassemblée avec passion par la Compagnie Bancaire Helvétique (CBH).

Les collectionneurs qui sillonnent les Biennales et les foires les plus prestigieuses le savent bien : l’art contemporain africain « explose » littéralement et l’on voit émerger des personnalités hors du commun dans tous les champs de la création : photographie, vidéo, peinture, sculpture, performance, installation. De nombreux artistes de premier ordre ont pourtant vu le jour sur le Continent Noir bien avant cette reconnaissance internationale, comme le démontre le florilège d’œuvres sélectionnées par Ousseynou Wade et Jean-Yves Marin dans le très riche Fonds de la Collection de la Compagnie Bancaire Helvétique (CBH). C’est donc avec gourmandise que l’on se précipitera au musée Rath pour découvrir l’extraordinaire vitalité de la création africaine sur plus d’un siècle.

Albert Lubaki, Sans titre, 1927, aquarelle sur papier, 52 x66cm

« ATOMISER L’EXOTISME »

Certes, il peut paraître illusoire d’embrasser, en une seule exposition, l’ensemble des courants esthétiques qui s’épanouissent aux quatre coins de l’Afrique depuis l’aube des années trente. Se délester des grilles de lecture occidentales et « atomiser l’exotisme » (pour reprendre l’expression heureuse de Salimata Diop dans le catalogue) s’imposent alors d’emblée pour appréhender avec un regard « neuf » les quelque quatre-vingts artistes rassemblés par les deux commissaires le temps de cet accrochage aux allures de stimulante confrontation. « Entrer dans l’espace de cette collection, c’est d’emblée accepter de se défaire d’une attente réductrice, celle d’un continent ramené à une es-sence unique et immuable. Ce n’est pas “l’Afrique” monolithique qui se dévoile ici, mais des Afriques plurielles, vibrantes, un archipel de visions en dialogue constant avec elles-mêmes et le reste du monde », résume ainsi celle qui a assuré la direction artistique de la quinzième édition de la Biennale de Dakar.

Aux antipodes d’une vision chronologique ou géographique asphyxiante, les deux commissaires ont ainsi préféré tisser des affinités stylistiques entre des artistes aux personnalités et aux destins singuliers. Il en découle un parcours ouvert et polymorphe, dans lequel le visiteur pourra vagabonder à sa guise.

Abdoulaye Konaté, Bleu-gris (motifs Arkilla Touareg et kente), 2022, textile, 155x114cm

FIGURES PIONNIÈRES

L’un des autres mérites de l’exposition est de remettre en lumière ces figures pionnières que furent, dès les années trente, les artistes de la scène congolaise, dont le peintre Albert Lubaki (vers 1895-1948). Comme le rappellent les deux commissaires, Eugène Pittard, le conservateur du musée d’ethnographie de Genève, joua un rôle déterminant en présentant cent-vingt dessins de cet artiste alors totalement méconnu dont les aquarelles, ainsi que celles de son épouse Antoinette, séduisirent instantanément les avant-gardes européennes par la fraicheur de leur coloris et leur caractère faussement naïf. Aurait-on néanmoins découvert cet art sans le regard pertinent de Georges Thiry qui sut déceler, avant tout autre, la verve poétique des décorations murales ornant les cases traditionnelles ? En invi-tant les artistes congolais à reproduire leurs dessins traditionnels sur du papier, le jeune administrateur belge faisait entrer dans l’histoire de l’art ces œuvres savoureuses, au charme atemporel…

Une vingtaine d’années plus tard, l’écrivain et peintre français Pierre Romain-Desfossés fondera à Élisabethville (aujourd’hui Lubumbashi) l’Atelier du Hangar qui fera éclore de nombreux ta-lents, dont Pilipili Mulongoy (1914-2007). Ce fils de pêcheur tapissera ses toiles d’une végétation exubérante peuplée d’oiseaux, de poissons et d’antilopes, métamorphosant la nature environnante en une fresque onirique d’une grande beauté. Près d’un siècle plus tard, ses œuvres sont portées aux nues et figurent dans toutes les expositions consacrées à l’art africain contemporain.

Mais s’il est domaine où les artistes du Continent Noir ont particulièrement brillé dès la fin des années quarante, c’est bien la photographie ! Considérée à bien des égards comme le « père » de cette discipline, le Malien Seydou Keita (1923-2001) a fait défiler dans son studio toute la bonne société de Bamako (fonctionnaires, politiciens, commerçants…) venue se faire tirer le portrait. Par la maîtrise de leurs cadrages et la beauté de leurs lumières, ses portraits sont devenus des icônes collectionnées par les plus grands amateurs d’art. Dès la fin des années cinquante, son compatriote Malick Sidibé (1935-2016) lui emboîte le pas et célèbre dans ses clichés d’une rare poésie une jeunesse éprise de mode et de liberté, comme sur cette « Nuit de Noël (Happy Club) » de 1963, d’une grâce inouïe. En 2007, Malick Sidibé sera le premier artiste africain à rece-voir le prestigieux Lion d’Or à la Biennale de Venise pour l’ensemble de son œuvre, ouvrant ainsi la voie à une nouvelle génération pleine de promesses …

EXPRESSIONS PLURIELLES

Du Sénégal à l’Afrique du Sud, en passant par le Bénin, le Cameroun et la Côte d’Ivoire, on ne compte plus désormais les artistes africains qui exposent dans les institutions muséales les plus prestigieuses et sont couronnés de distinctions qui les placent à rang égal de leurs homologues occidentaux. Originaire de Tanzanie, Georges Lilanga (1934-2005) a ainsi laissé une œuvre foisonnante et colorée inspirée de la culture Makondé. Oscillant entre pensée magique et satire sociale, ses créatures aux longues oreilles et au faciès grimaçant défient les canons traditionnels et clament haut et fort la liberté du créateur au sein de sa communauté. Ayant étudié les Beaux-Arts à Londres, l’artiste britannique d’origine nigériane Yinka Sonibare (né en 1962) démontre, quant à lui, les relations complexes tissées entre l’Afrique et l’Europe en parant de tissus wax des mannequins d’allure occidentale. Travaillant entre la France et le Cameroun, Barthélémy Toguo est l’auteur d’une œuvre protéiforme mettant en scène des êtres hybrides pour évoquer les tragédies du Continent Noir, comme le passé colonial ou les questions migratoires. Il est nommé en 2021 Artiste pour la Paix par l’Unesco, rejoignant ainsi la lignée des plasticiens engagés dans des luttes sociales. Parmi eux, la photographe sud-africaine Zanele Muholi (née en 1972) signe de magnifiques autoportraits en guise de manifeste pour la défense de la cause queer. Initiée en 2016, sa série « Brave Beauties » célèbre quant à elle la beauté et la résilience des femmes trans et non binaires dans un pays où elles demeurent victimes de violences et de discriminations.

L’exposition du musée Rath n’en célèbre pas moins des artistes dont la spiritualité et la poésie transcendent le questionnement identitaire ou politique, tel le Malien Abdoulaye Konaté et ses flamboyantes odyssées textiles, le Ghanéen El Anatsui et ses vastes fresques d’aluminium ou de bois re-cyclé, ou bien encore le peintre sénégalais Omar Ba et ses toiles scintillantes peuplées de créatures chimériques d’une intense beauté…

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