LES HIRONDELLES DE THIRA

Heureuses et luxuriantes, les fresques d’Akrotiri n’en sont pas moins mystérieuses. Mais qui sait si la quête savante, et la simple contemplation de leur beauté, ne peut pas lever leur mystère ? Les civilisations sont mortelles, mais quand la cause de leur mort est un volcan, rien ne les empêche de renaître de leurs cendres, comme l’oiseau phénix. Il suffit d’un hasard, ou d’une intuition. Ainsi de Pompéi, retrouvée dès le XVIIe siècle. Ainsi d’Akrotiri, sur l’île de Santorin, où l’on redécouvrit, à la fin des anneés 1960, une cité portuaire qu’avait détruite, mille six cents ans avant notre ère, une énorme éruption. Poètes et savants se sont demandé si la mythique Atlantide ne gisait pas sous les eaux de l’île grecque disloquée. Mais non, c’est sous la lave et la cendre qu’il fallait la chercher: dans plusieurs des maisons retrouvées par l’archéologue grec Spyridon Marinatos et ses successeurs, on a mis au jour des peintures murales à la beauté paradisiaque. Aujourd’hui, les fouilles sont loin d’être terminées. Le visiteur, sur place, ne verra pas la moindre fresque: le gigantesque toit qui recouvre l’ensemble du site ne suffit pas à protéger ces précieuses peintures. Il a fallu, hélas, les arracher à leur lieu naturel. Et c’est dans les musées d’Athènes et de Thira, la principale agglomération de Santorin, que ces beautés en cage attendent nos regards. On n’en est pas moins frappé par leur paisible liberté, et leur sérénité. Les hommes y sont élégants dans leur nudité, les femmes séduisantes dans...

Heureuses et luxuriantes, les fresques d’Akrotiri n’en sont pas moins mystérieuses. Mais qui sait si la quête savante, et la simple contemplation de leur beauté, ne peut pas lever leur mystère ?

Les civilisations sont mortelles, mais quand la cause de leur mort est un volcan, rien ne les empêche de renaître de leurs cendres, comme l’oiseau phénix. Il suffit d’un hasard, ou d’une intuition. Ainsi de Pompéi, retrouvée dès le XVIIe siècle. Ainsi d’Akrotiri, sur l’île de Santorin, où l’on redécouvrit, à la fin des anneés 1960, une cité portuaire qu’avait détruite, mille six cents ans avant notre ère, une énorme éruption.

Poètes et savants se sont demandé si la mythique Atlantide ne gisait pas sous les eaux de l’île grecque disloquée. Mais non, c’est sous la lave et la cendre qu’il fallait la chercher: dans plusieurs des maisons retrouvées par l’archéologue grec Spyridon Marinatos et ses successeurs, on a mis au jour des peintures murales à la beauté paradisiaque.

Aujourd’hui, les fouilles sont loin d’être terminées. Le visiteur, sur place, ne verra pas la moindre fresque: le gigantesque toit qui recouvre l’ensemble du site ne suffit pas à protéger ces précieuses peintures. Il a fallu, hélas, les arracher à leur lieu naturel. Et c’est dans les musées d’Athènes et de Thira, la principale agglomération de Santorin, que ces beautés en cage attendent nos regards.

On n’en est pas moins frappé par leur paisible liberté, et leur sérénité. Les hommes y sont élégants dans leur nudité, les femmes séduisantes dans leurs robes de soie (on a retrouvé, dans les fouilles, un cocon de ver à soie…), et les deux enfants boxeurs nous émeuvent par leur grâce têtue. Les représentations d’animaux, qu’ils soient réels (chat, singes, daims, antilopes, lion, dauphins) ou mythiques (le griffon), nous apparaissent comme autant de gestes d’amitié pour ces créatures. Une amitié inspirée et perspicace. Les antilopes, en particulier, vivent d’une vie intense et précise, non moins saisissante que celle des peintures rupestres de Lascaux. Tout respire la paix, jusqu’aux personnages en train de sombrer dans la mer, jetés par-dessus bord d’un bateau naufragé.

Mais bien sûr, on veut comprendre, ne serait-ce que pour mieux contempler. On cherche l’explication de ces paysages, de ces fleurs, de ces gestes animaux et humains, de ces flottes et de ces villes. Un monde nous est offert, souriant, engageant, et néanmoins fermé. Nous sommes en présence d’une célébration dont les rites nous échappent, et dont les hôtes parlent une langue inconnue – c’est le cas de le dire: les rares inscriptions d’Akrotiri, retrouvées sur des fragments de poterie, sont rédigées en «linéaire A», une écriture minoenne que nul, jusqu’aujourd’hui, n’est parvenu à déchiffrer.

Mais il en faut plus pour décourager les archéologues, les philologues, les historiens. Tous, ils ont rivalisé d’ingéniosité pour saisir le sens de ces fêtes lointaines auxquelles Akrotiri nous convie, par-delà les millénaires. Aux yeux du découvreur du site, Spyridon Marinatos, ce sens était sacré: toutes ces scènes étranges (enfants qui boxent, pêcheurs nus, récolte des crocus ou du safran, femmes qui brûlent des parfums, offrent des colliers), tout est rite, dans une religion de la terre et de la déesse mère, fortement liée au cycle des saisons.

Il est vrai qu’à Cnossos, bien proche de Santorin, les peintures murales proposent des sujets parents de ceux d’Akrotiri, et dont le sens est religieux. Mais Thira n’est pas la copie conforme de la Crète. Elle ne fut jamais une colonie minoenne. Signe éloquent, nos fresques énigmatiques n’ont pas été retrouvées dans un palais, comme celles de Cnossos, mais bien dans des habitations privées. Leur fonction, dès lors, est-elle vraiment la même ? D’ailleurs, n’est-ce pas un préjugé de croire que plus on remonte dans le temps, plus l’humanité vivait sous le signe et le joug d’un sacré censé tout envahir, tout justifier, tout corseter ? Pourquoi ces peintures à la gloire des végétaux, des animaux et des humains, n’auraient-elles pas un sens profane ?

Dans la «Maison Ouest», on a retrouvé une frise, dite «frise miniature» – mais elle est fort longue, puisqu’elle couvrait les quatre parois d’une pièce, et que sa partie conservée s’étend sur près de quatre mètres. Elle représente une flottille, des ports, deux villes que sépare la mer; mais également une rivière, des animaux, des citadins aux fenêtres de leurs maisons, des rameurs, un berger… Comment comprendre cet ensemble foisonnant ? L’interprétation religieuse y voit une fête saisonnière, une «procession des bateaux». D’autres lectures, cependant, y déchiffrent le récit d’une expédition maritime bien réelle.

À moins que ce ne soit ni l’un ni l’autre. Mais un récit épique, tisssé de réel et d’imaginaire, de sacré et de profane. Cette fresque n’annonce-t-elle pas de grands thèmes homériques ? Les deux villes qu’elle représente à ses deux extrémités ne correspondent-elles pas aux deux cités forgées par Héphaïstos sur le bouclier d’Achille, l’une en fête, l’autre en état de siège, telles que nous les décrit l’Iliade? Le poète grec Simonide dira plus tard de la peinture qu’elle est une «poésie silencieuse»… Quelle émotion de découvrir, dans une demeure enfouie sous la lave, une anticipation picturale, huit bons siècles à l’avance, du plus fameux poème épique de l’Antiquité.

Bien sûr, cette interprétation, à son tour, sera contredite, ou du moins nuancée. La quête se poursuit. Mais ce rapprochement avec l’univers homérique nous rend ces œuvres moins étranges, plus familières, plus fraternelles. Le monde enfoui d’Akrotiri se met vraiment à nous parler.

Et voici qui nous le rend plus proche encore, et le distingue décidément des fresques de Cnossos, dont la splendeur hiératique est avare de beauté gratuite. Voici les hirondelles de Thira: parfois seules, souvent en couples, elles complètent un paysage où fleurissent des lys. Couples enchanteurs, magnifiquement décoratifs, délicieusement amoureux: beauté de la ligne, beauté de l’amour, c’est tout un, et c’est toute l’humanité. Les habitants de la ville engloutie sont bien nos frères et nos sœurs.

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