Les rêveries orientales de Rembrandt

Rembrandt-Harmensz-van-Rijn-Daniel-et-Cyrus-devant-lidole-de-Bel-1633-Huile-sur-bois-235-x-302-cm-The-J.Paul-Getty-Museum-Los-Angeles
Le Kunstmuseum de Bâle dévoile l’image rêvée de l’Orient chez Rembrandt et dans la peinturenéerlandaise du Siècle d’Or. Atlas et globes terrestres sur une nappe aux broderies chinoises; tapis oriental; secrétaire marqueté d’ivoire et d’ébène; sabres et porcelaine du Japon; tatou empaillé: voilà l’inventaire des trouvailles exotiques qui peut être établi d’après le Coin de chambre avec curiosités peint par Jan van der Heyden (ill. ), celui d’un opulent cabinet de curiosités hollandais sorti de l’imagination du peintre. A lui seul cependant, ce tableau vient démontrer l’étendue de la connaissance des terres lointaines et des objets exotiques à laquelle l’élite fortunée des Pays-Bas du Nord, grande puissance maritime de l’époque moderne, avait accès. À Amsterdam, siège de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales et occidentales, ce sont des raretés du monde entier qui circulaient alors durant ce XVIIème siècle. Une lettre de l’un de ses célèbres résidents, le philosophe René Descartes, envoyée à un ami en mai 1631, en témoigne: « Dans quel autre lieu du monde trouverait-on, comme dans cette ville, toutes les marchandises et toutes les curiosités que l’on peut souhaiter?» écrivait-il alors. Destinés à la consommation de luxe ou à la collection, ces «Artificiala», «Naturalia» ou «Ethnografica» (pour reprendre la classification des ornements selon leur provenance naturelle, ethnographique ou artisanale), apparaissent fréquemment dans les œuvres d’art du Siècle d’Or hollandais: on les retrouve dans des scènes d’intérieur, dans des portraits, dans des scènes religieuses ou historiques. Dans les natures mortes, genre où les artistes hollandais ont excellé...

Le Kunstmuseum de Bâle dévoile l’image rêvée de l’Orient chez Rembrandt et dans la peinturenéerlandaise du Siècle d’Or.

Atlas et globes terrestres sur une nappe aux broderies chinoises; tapis oriental; secrétaire
marqueté d’ivoire et d’ébène; sabres et porcelaine du Japon; tatou empaillé: voilà l’inventaire des trouvailles exotiques qui peut être établi d’après le Coin de chambre avec curiosités peint par Jan van der Heyden (ill. ), celui d’un opulent cabinet de curiosités hollandais sorti de l’imagination du peintre. A lui seul cependant, ce tableau vient démontrer l’étendue de la connaissance des terres lointaines et des objets exotiques à laquelle l’élite fortunée des Pays-Bas du Nord, grande puissance maritime de l’époque moderne, avait accès. À Amsterdam, siège de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales et occidentales, ce sont des raretés du monde entier qui circulaient alors durant ce XVIIème siècle. Une lettre de l’un de ses célèbres résidents, le philosophe René Descartes, envoyée à un ami en mai 1631, en témoigne: « Dans quel autre lieu du monde trouverait-on, comme dans cette ville, toutes les marchandises et toutes les curiosités que l’on peut souhaiter?» écrivait-il alors. Destinés à la consommation de luxe ou à la collection, ces «Artificiala», «Naturalia» ou «Ethnografica» (pour reprendre la classification des ornements selon leur provenance naturelle, ethnographique ou artisanale), apparaissent fréquemment dans les œuvres d’art du Siècle d’Or hollandais: on les retrouve dans des scènes d’intérieur, dans des portraits, dans des scènes religieuses ou historiques. Dans les natures mortes, genre où les artistes hollandais ont excellé et au sein duquel un second sens de lecture, une symbolique religieuse, se trouvent toujours dissimulés, le caractère rare et précieux de ces objets lointains endossèrent le rôle de la «vanité», du «Memento Mori» venant rappeler au contemplateur le destin commun des mortels.

Jan van der Heyden Coin de chambre avec curiosités 1712, huile sur toile, 75 x 63,5 cm Szépművészeti Múzeum, Budapest Albert Cuyp Portrait de la famille Sam, vers 1653 Huile sur toile, 168
Jan van der Heyden Coin de chambre avec curiosités 1712, huile sur toile, 75 x 63,5 cm Szépművészeti Múzeum, Budapest Albert Cuyp Portrait de la famille Sam, vers 1653 Huile sur toile, 168
Thomas Wijck Marchands dans un port de la Méditerranée, 1660-1670 Huile sur toile, 108,5 x 88,5 cm Musée Fabre Montpellier Rembrandt Harmensz van Rijn David remet la tête de Goliath au Roi
Thomas Wijck Marchands dans un port de la Méditerranée, 1660-1670 Huile sur toile, 108,5 x 88,5 cm Musée Fabre Montpellier Rembrandt Harmensz van Rijn David remet la tête de Goliath au Roi

L’Orient, qu’il soit synonyme de Levant ou d’Extrême-Orient pour les Hollandais du XVIIème siècle, est le réceptacle d’une accumulation de fantasmes et de rêves élaborés autour des notions du lointain et de l’étranger. Alors que la connaissance géographique et la demande en produits exotiques augmente au fil du siècle dans les Pays-Bas du Nord, paradoxalement, l’intérêt et la curiosité pour une image précise et réelle de cet inconnu ne se fait aucunement sentir chez Rembrandt et ses contemporains. Gary Schwartz, le commissaire de l’exposition actuellement montrée au Kunstmuseum de Bâle, explique à ce propos que « de la centaine de peintres que compte le XVIIème siècle hollandais, aucun n’a entrepris le voyage d’Orient à la recherche d’inspiration». La figure de l’«Oriental» se limita donc à un idéal abstrait d’exotisme dont les caractéristiques physiques se révélaient souvent imprécises, mêlant des influences géographiques très diverses – maures, perses, turques, indiennes ou arabes. Même imprécision pour l’habillement car, ce qui prima chez le peintre, ce fut avant tout l’attrait pour le rendu des matières – le brillant des parures de bijoux, le scintillant des tissus et soieries, le chatoiement de leurs coloris – qui constituait un véritable défi technique. Bientôt, ces attributs orientaux furent adoptés par les Hollandais eux-mêmes: fréquents furent alors les commanditaires de portraits à prendre la pose en costumes orientaux comme ce fut le cas de la famille du négociant en vin Sam domiciliée à Dordrecht, immortalisée par Albert Cuyp en 1653 (ill.). Alors que l’austère costume noir du bourgeois hollandais est porté par le chef de famille, son épouse et
des jeunes adultes, sept des dix enfants du couple sont revêtus de parures orientales. Faut-il y lire un simple goût pour le déguisement ou y deviner une symbolique biblique cachée? Si, dans ce tableau précis, l’interprétation reste énigmatique, d’autres œuvres contemporaines attestent néanmoins du goût des contemporains pour le «portrait historié», un genre où la mise en scène des portraiturés et leur habillement reprenait les codes d’un récit biblique.

Rembrandt Harmensz van Rijn Daniel et Cyrus devant l'idole de Bel, 1633 Huile sur bois, 23,5 x 30,2 cm The J.Paul Getty Museum, Los Angeles
Rembrandt Harmensz van Rijn Daniel et Cyrus devant l’idole de Bel, 1633 Huile sur bois, 23,5 x 30,2 cm The J.Paul Getty Museum, Los Angeles

Artiste plein de curiosité et collectionneur lui-même, le maître du Siècle d’Or hollandais,
Rembrandt, s’est plu, plus que tout autre, à intégrer des touches d’Orient dans ses œuvres. Il se mit volontiers en scène dans ses autoportraits des années 1630, vêtu à l’orientale, portant turban et sabre. Il réalisa également un certain nombre de «Têtes de caractère», où, contrairement au portrait, l’identité précise de la personne représentée était secondaire. Son Portrait en buste d’homme en costume oriental peint en 1635 (ill.) reprend les codes que le maître appliquait à la majorité de ses portraits ou autoportraits: sur un fond sombre brun profond, se détache, en clair-obscur, le buste d’un homme d’âge mûr vu aux trois quarts, revêtu d’un costume richement brodé. Les traits de son visage ne trahissent pas une quelconque origine étrangère. Ce qui attire l’oeil du spectateur, c’est l’imposant turban de couleur blanche qu’il porte, orné d’un collier de perles, sur
lequel tombe un rayon de lumière. A lui seul, cet élément de parure incarne l’Orient. Réservé dans un premier temps aux représentations des trois Rois Mages, le motif du turban s’étendit pour devenir ensuite l’attribut commun aux figures orientales rencontrées dans les scènes bibliques. Pour la mise en scène de ces récits issus de l’Ancien comme du Nouveau Testament, censés prendre place au Moyen-Orient, les peintres hollandais firent le choix d’un paysage stéréotypé, parsemé de rochers et de grottes et traité dans des coloris gris-brun, aux antipodes des plaines verdoyantes des Pays-Bas du Nord qui constituaient leur environnement quotidien. Mais l’Orient ne fut pas réduit à l’aspect désertique d’un décor naturel ou au contraire, à la luxuriance de ses objets, dans la peinture hollandaise du Siècle d’Or. Dans des scènes d’intérieur bibliques – le contexte de l’étable de Bethléem ou du temple s’y prêtaient particulièrement – il fut aussi synonyme d’intériorité et de recueillement. L’utilisation du clair-obscur en accentuait la tonalité mystique.
Dans son tableau Daniel et Kyros devant l’idole de Bel (ill.) c’est dans l’atmosphère de pénombre d’un temple, où quelques rais de lumière viennent affleurer à la surface d’objets ou d’éléments de parure, que Rembrandt fait s’affronter le prophète et le roi perse; la confrontation n’en gagne alors que plus en dramaturgie et en intensité. Ces tableaux religieux étaient d’une tonalité toute différente de la spiritualité austère pratiquée dans les Pays-Bas réformés, bien éloignés de la réalité du temple calviniste aux espaces intérieurs dénudés, éclairés par la lumière naturelle, aux murs blanchis à la chaux que des peintures Pierre ont documenté. Dans ce contexte, l’Orient semble avoir incarné pour Rembrandt, comme pour ses contemporains artistes, sinon un exutoire, du moins un espace de liberté où la fantaisie de l’extraordinaire et du rêve des lointains pouvaient s’exprimer sans retenue.

Ingrid Dubach-Lemainque

Infos expo :
«L’Orient de Rembrandt. Rencontres entre l’Ouest et l’Est dans l’art hollandais du 17ème siècle».
Kunstmuseum der Bâle, jusqu’au 14 février 2021.

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