Repérable grâce à son toit métallique percé de losanges, le Musée d’ethnographie de Genève (MEG) ouvrira officiellement ses portes le 31 octobre prochain. Boris Wastiau, son directeur, nous dévoile en avant-première ses grandes orientations scientifiques et muséographiques.
Propos recueillis par Bérénice Geoffroy-Schneiter
Vous présidez aux destinées de ce musée depuis 2009. Quelles priorités vous êtes-vous fixées pour le redéploiement du MEG ?
Il s’agissait avant tout de nous repositionner dans le réseau des musées européens de la culture. Pour accompagner la métamorphose en profondeur du MEG, nous n’avions pas en tête un modèle de référence absolu. Un musée se construit en effet en fonction de ses collections, du tissu social de son public et des compétences des différents conservateurs qui composent son équipe scientifique.
Notre principal objectif était, avant tout, de rendre à nouveau visibles les très importantes collections du MEG qui n’étaient plus accessibles au public depuis 2007. Or la notion de présentation permanente est essentielle à mes yeux pour reconquérir des publics aussi différents et éclectiques que les scolaires ou les populations défavorisées.
Quels seront justement les points forts de ce parcours ?
Sur les 80 000 objets que comportent nos collections, nous avons retenu un millier de pièces pour leur valeur scientifique, patrimoniale, ethnologique ou esthétique. Tous les continents seront représentés, y compris l’Europe. Contrairement à de nombreux autres musées d’ethnographie, le MEG n’est donc pas le musée des autres. Plutôt que d’opter pour des thématiques transversales, nous avons en outre préféré présenter nos collections par grandes aires continentales, auxquelles s’ajoutent deux chapitres : un prologue historique et une section d’ethnomusicologie.
Vous semblez attacher une grande importance à l’origine de vos collections. Pour quelles raisons souhaitez-vous éclairer le public sur la provenance de vos pièces ?
Il me paraît extrêmement important en effet que le visiteur comprenne par quel biais ces objets sont parvenus jusqu’à nous. Toute collection est le télescopage de plusieurs siècles de collectes. Notre travail est précisément de donner du sens à cette collection. Rares sont pourtant les musées d’ethnographie qui insistent sur ces aspects essentiels que sont la provenance de l’objet, la personnalité du collecteur, son statut, les circonstances de la collecte…
Nous avons donc mené avec des universitaires genevois un minutieux travail de recherche dans les archives de la ville pour inventer et réindexer les objets de nos collections. Le prologue historique en retrace ainsi les temps forts, depuis la collection du cabinet de curiosités du Collège Calvin au début du XVIIIe siècle jusqu’en 1901, date officielle de la création du musée d’ethnographie. C’est, en filigrane, toute l’histoire de ces objets rapportés au fil des siècles par les marchands, les scientifiques, les missionnaires. On a ainsi pu redocumenter et recontextualiser certaines pièces, comme cette coupe ming en corne de rhinocéros qui était dans la section Afrique alors que c’est une pièce d’origine chinoise ! J’ai eu également le bonheur de retrouver une boîte à nourriture des îles Marquises qui s’était « égarée » dans la collection Arctique. Ce gros travail d’archivage nous a permis aussi de repérer des séries particulièrement rares, comme ces pièces rapportées du Surinam (la Guyane néerlandaise) par un missionnaire converti en planteur ! Parmi ces objets, se trouve ainsi une flûte taillée dans un fémur humain dont le numéro a été inscrit en 1759 à la bibliothèque de Genève… Outre le désir de rendre hommage aux grands personnages qui sont à l’origine de cette collection, ce prologue historique permettra d’aborder des thématiques essentielles comme la naissance des cabinets de curiosités, le discours sur l’altérité, le commerce de l’exotique etc… Autant de questionnements qui inviteront le visiteur à regarder différemment ces objets.
Sous quels angles seront abordés les différents continents ?
Pour chaque section, les conservateurs ont été libres de développer la thématique de leur choix. L’Asie sera ainsi abordée par le biais des différentes religions, en insistant sur des points particuliers comme les questions d’iconisme et d’aniconisme. Pour l’Afrique, des représentations picturales serviront de fil conducteur et aideront le visiteur à recontextualiser les objets. Seront ainsi présentées des peintures coptes d’Éthiopie, des grisailles de Madagascar, en regard de thématiques plus classiques comme le culte des ancêtres, les rituels de divination, les masques. L’Océanie sera évoquée par l’histoire de son peuplement et la transmission des techniques, mais aussi par les expéditions et les voyageurs. Le visiteur découvrira les Amériques par grandes aires géographiques et périodisation. Enfin, l’Europe sera évoquée par des thématiques liées au mode d’habitat (rural, méditerranéen), mais aussi aux modes d’alimentation (la culture du pain, du vin, des olives, etc.). Nous proposerons un ancrage fort dans les Alpes : seront présentés dans cette section des masques, des costumes, du mobilier, des reliquaires portatifs, des ex-voto populaires, mais aussi des peintures du XIXe siècle et même de l’art brut…
Quelle importance la section d’ethnomusicologie revêtira-t-elle ?
Sa présentation muséographique diffère totalement des autres sections du parcours. Nous avons ainsi commandé une installation au vidéaste plasticien Ange Leccia qui propose une réflexion sur le principe synesthésique de la musique. Toutes les vibrations seront accompagnées de compositions musicales de Julien Perez. Une autre installation d’Ange Leccia offrira un contrepoint poétique à la présentation des objets : cette vidéo de 18 minutes est née d’un séjour de deux ans de l’artiste au Japon.
Quelle place allez-vous précisément accorder à l’art contemporain ?
Le MEG a déjà fait appel à des artistes, soit sous la forme de commandes, soit par le biais d’acquisitions. Je souhaite, pour ma part, développer des collaborations encore plus étroites, plus profondes. Nous préparons ainsi pour 2017 une exposition sur l’Islam en Afrique et avons déjà sollicité plusieurs artistes, dont Lalla Essaydi qui tapisse d’écritures des figures archétypales comme celle de l’odalisque.
Quels principes muséographiques avez-vous retenu ? L’obscurité comme c’est le cas du musée du quai Branly, ou la pleine lumière comme le Pavillon des Sessions du Louvre ?
Nos collections permanentes comme les espaces des expositions temporaires se déploient dans des sous-sols dépourvus de toute arrivée de lumière naturelle. Nous avons donc opté logiquement pour un effet de « boîte noire ». Cela n’empêchera pas les objets d’être éclairés sur leur pourtour dans les meilleures conditions. Nous ne sacrifierons donc pas à une ambiance de théâtralité dramatique. J’ai, pour ma part, horreur de ces présentations d’objets émergeant de la pénombre dont le visiteur ne découvre qu’une partie au gré des envies des scénographes. Les blocs des vitrines seront très lumineux, rassurez-vous !
Quel sera l’apport de la recherche scientifique dans la préparation des expositions ?
Nous sommes une institution de taille relativement modeste mais j’ai la chance d’être entouré d’une équipe de conservateurs qui ont l’habitude de travailler sur le terrain. Ainsi, notre première exposition consacrée aux rois Mochica est le fruit des travaux menés par Steve Bourget au Pérou. C’est un prêtre bouddhiste qui assurera le commissariat de notre exposition de 2016 dédiée au bouddhisme japonais. Parallèlement, des missions de terrain sont effectuées en Italie continentale, en Sardaigne et en Pologne par des équipes du musée afin d’acquérir des objets pour nos collections…
Quelle sera enfin la place accordée aux arts vivants ?
C’est sans doute le secteur pour lequel nous avons déployé des efforts sans précédent. Notre programmation culturelle devra être la plus représentative des diversités culturelles à travers le monde. Outre des cycles de présentation de films ethnographiques, le musée proposera aux visiteurs des concerts de musique, de la danse, des happenings, des ateliers d’ethnomusicologie, des spectacles de théâtre, des séances de lectures et de contes, sans oublier, bien sûr, des cycles de conférences et des colloques…
Informations pratiques :
Le MEG est inauguré officiellement le 31 octobre 2014. Boulevard Carl-Vogt 65-67 Ch-1205 Genève.
Horaires d’ouverture sur le site www.ville-ge.ch/meg
Exposition inaugurale : Les rois Mochica. Divinité et Pouvoir dans le Pérou ancien, du 31 octobre 2014 au 3 mai 2015.