Bouillonnant d’idées, ennemi de la langue de bois, Marc Restellini ne va pas sans irriter un certain establishment. Le succès du directeur de la Pinacothèque de Paris semble d’autant plus insolent qu’il le sert sur un plateau d’argent à ses détracteurs. Beaucoup de bruit entoure cet historien d’art, petit fils du peintre Isaac Antcher, qui ne rêve en réalité que de contempler les toiles. Rencontre.
Christophe Mory: En janvier 2011 vous inaugurez une extension à la Pinacothèque d’un genre nouveau, sorte de collection permanente sans en être, pour des dépôts d’œuvres venant de collections privées…Marc Restellini: Tout est temporaire à long terme et pour tout ! En France, on l’oublie, mais la pérennité des musées est déjà mise à mal car, désormais, les musées peuvent vendre des œuvres de leurs collections. Il faut bien comprendre que l’inaliénabilité des collections du patrimoine national est aujourd’hui largement remise en question. Au Moma, on voit des chefs d’œuvre qui ne sont qu’en dépôt et depuis vingt ans ! et on voit fréquemment des œuvres importantes «déclassifiées» pour enrichir les collections et permettre de nouvelles acquisitions. Donc, il ne faut pas en rester à une idée que nous aurions du musée national, du patrimoine et des œuvres qui doivent y figurer.À vous entendre, les conservateurs du patrimoine n’ont qu’à bien se tenir face à la déferlante de cette forme de libéralisme. Qu’en pensez-vous ?La polémique conservatisme/libéralisme est aussi vide que celle public/privé. Je sais que j’ai des détracteurs et je ne comprends pas leurs motivations.D’aucuns vous reprochent de monter des expositions bling-bling. Pub, marketing, large communication dans la presse… Bien des musées n’ont pas cette force de frappe, on vous reproche d’en faire trop.Un comble ! Quand on fait une exposition, il faut le faire savoir, non ? Si j’attends la presse institutionnelle, trop souvent aux ordres de notre vieux corps de conservateurs, je prends un bouillon. L’exposition actuelle «L’Or des Incas, origines et mystères» a subi un trait de mauvais esprit. J’ai pu lire: «Restellini met de l’or dans le titre pas dans les vitrines» me reprochant un titre trop «vendeur». C’est oublier, sans doute intentionnellement, la seconde partie du titre essentielle à la compréhension de cette exposition: «Origines et mystères». Ça n’intéresse pas, ça ? Bling-bling parce que j’écris Or sur les affiches ? C’est tellement français… Mais ensuite l’article passe un chapitre entier à parler de Tintin et Milou dont il n’est pourtant absolument pas question dans notre exposition qui est l’une des plus sérieuses et des plus exemplaires que la Pinacothèque ait eu l’occasion de présenter. En réalité, ce petit monde de la culture très parisien n’aime simplement pas la concurrence. Comme si la culture en France n’appartenait qu’aux fonctionnaires. Au lieu de les motiver, cela les rend ivres de rage. Alors on tombe dans les argumentations de la pire bassesse. M’inventant des intentions mercantiles. Mais je ne suis ni un commerçant ni un businessman, cela ne m’intéresse pas le moins du monde, je suis désespérément et définitivement un historien d’art et je le vis avec une passion totale au quotidien. On me reproche d’être un homme d’argent parce que mes expositions ont du succès. Quel argument !!! Quand Orsay et le Grand Palais font un carton avec Monet, avance-t-on les mêmes arguments ? Or, en France, pays si compartimenté par des castes, je ne relèverais pas de cette caste de directeur de musée. Historien d’art (j’ai les diplômes nécessaires et l’expérience pour le revendiquer), pourquoi n’aurais-je pas le droit de diriger un musée qui proposerait des expositions ? La question est aussi bête que celle-là. Pis: pourquoi n’aurais-je pas le droit de contacter des musées et des collectionneurs privés pour des prêts ? C’est là que ça fait mal: musées et collectionneurs me prêtent parfois plus facilement qu’à des musées bien connus.
Vous cultivez une relation de proximité avec les collectionneurs, dans laquelle intérêts et amitiés semblent étroitement liés.Je les aime. Ce sont eux qui font les collections, il faut le rappeler ! Ils aiment leurs œuvres et qu’on puisse les exposer, c’est tellement évident ! Des œuvres jamais vues seront à découvrir sans exposer leur propriétaire. Je ne suis pas fonctionnaire, pas directeur d’un musée d’État mais d’un musée privé. Quand un collectionneur parle d’une toile qu’il possède avec la passion qui l’anime, il déploie une connaissance qui dépasse souvent celle de tout historien d’art. Je rencontre des collectionneurs qui parlent pendant des heures de leurs tableaux parce qu’ils vivent avec, les regardent sous toutes les lumières, à tous les moments de la journée. Or, une œuvre, une vraie, ne laisse jamais indifférent ni ne lasse. Quand vous êtes amoureux d’une femme, vous voulez tout savoir sur elle. De même, un collectionneur compare, tire des conclusions, additionne les questions, lit des études pas toujours simples mais sérieuses. N’oublions jamais que ce sont les collectionneurs qui ont fait la National Gallery de Washington (Mellon, Dale…), le Moma… Le Louvre même, grâce à Vivant Denon (1747- 1825) qui avait revendu sa collection d’étrusques à Louis XVI et fut un infatigable collectionneur jusqu’à la fin de sa vie puis les Rothschild, Camondo, Moreau-Nélaton… Les collectionneurs me font confiance parce que nous partageons d’abord l’envie de ce morceau d’éternité qu’est une œuvre.
Revenons sur l’événement du musée que vous créez. Quelle en est la spécificité ?C’est un événement en effet que nous préparons comme tel; pour moi, c’est l’accomplissement d’une vaste réflexion à propos du concept même de Musée. S’il faut éviter qu’un musée soit un cimetière (l’expression est d’André Malraux, je crois) on doit chercher une muséographie originale, qui touche ou qui marque et accompagne les œuvres exposées. Hélas, les parcours habituellement proposés écrasent les œuvres et mettent moins en valeur l’art que le parcours ou la logique proposée. On a vu encore récemment des expositions où se pressait le Tout-Paris alors qu’on n’y voyait rien et pire ne comprenait rien. Une autre façon de voir, celle que je souhaiterais, est de revenir sur la naissance du musée; de revenir aux sources. Le mot, musée apparaît dans notre langue au XIIIe siècle, du latin museum qui désigne une grotte consacrée aux Muses. Tout le monde sait cela mais repartons d’évidences et pas à pas, tâchons de retrouver l’esprit du Musée. Il s’agissait donc, au départ, d’un lieu privé dédié à la contemplation, à l’émerveillement, une sorte de cabinet de curiosités: un lieu inspirant. J’insiste sur le caractère privé car le musée national, impressionnant, fier et poussiéreux n’apparaîtra que beaucoup plus tard avec les Lumières. Originellement, le musée, donc était le fruit des collectionneurs, de la passion d’un homme ou d’une femme (Catherine II en 1764 pour l’Ermitage à Saint-Pétersbourg), voire d’une famille (les Esterházy à Budapest), comme vont le montrer les deux expositions inaugurales de nos nouveaux espaces. Ses missions de protection et de conservationviendront au moment de la Révolution française quand il faudra protéger les œuvres des vandalismes populaires ou des dégradations notamment des objets religieux confisqués. Dès cet instant, il deviendra rapidement arrogant et monstrueux et n’échappera pas à ce que Malraux craignait qu’il devienne, un cimetière. L’envie de revenir à la curiosité et à la contemplation préside à la naissance du musée tel que nous le verrons à la Pinacothèque.
Musée, Pinacothèque, deux termes différents pour deux ambiances ?Pinacothèque, le terme vient du grec et signifie boîte à images; repris par Vitruve, il a été utilisé par Louis Ier de Bavière pour désigner une salle contenant des tableaux. Il n’y en avait pas à Paris sous cette appellation. Aujourd’hui, je souhaite que ce mot soit un label de qualité, précisément pour se démarquer des a priori éprouvés au nom de musée. Depuis maintenant trois ans, la Pinacothèque a pris sa place dans le cœur du public. J’espère que les nouvelles salles qui s’ouvrent dans ce musée en mouvement auront le même succès.Comment faire un tel accrochage ? Ce sera un peu la caverne d’Ali-Baba ?On tâtonnera forcément au début, ce ne sera pas parfait du premier coup. Cela donnera encore du grain à moudre à mes détracteurs, on va encore pouvoir rigoler un peu de leurs coups de sang. Mais cette imperfection me convient très bien. Elle sera positive et permettra d’avancer. La plaie des musées aujourd’hui est qu’un accrochage permanent reste le même au moins pendant trente ans, alors qu’il devrait être modifié au moins une fois par an pour donner vie à toutes les interprétations qu’offrent les œuvres. Mais les tableaux auront une durée d’exposition bien supérieure à celle d’une exposition temporaire. Ce qui m’importe, c’est de présenter des œuvres dans leurs confrontations à d’autres œuvres, selon le principe de transversalité que j’ai toujours revendiqué. La Pinacothèque va aider les visiteurs à vivre et à évoluer souvent et rapidement.
D’où viennent les tableaux exposés ?D’abord, de deux musées qui ont rassemblé deux collections étonnantes : les Romanov et les Esterházy, ces deux dynasties ont créé quelque chose d’extrêmement similaire: des collections avec des artistes flamands, hollandais, italiens, espagnols, anglais, français… C’est une histoire du goût, de la puissance de l’argent et de l’art. Nous accueillons soixante toiles de Saint-Pétersbourg et cinquante œuvres provenant de Budapest : Raphaël, Rembrandt, Rubens, Tintoret, Véronèse… Ils seront tous là. Il faut bien comprendre que les œuvres ont toujours circulé. La Tour parcourait le Nord et le Sud pour introduire le clairobscur. Antonello de Messine, un Italien, découvre la peinture au pétrole et en diffuse largement le procédé, au XVe siècle. Aujourd’hui, le monde est un village mais en 1450 le village voisin de celui où l’on réside est un autre monde. Pourtant Léonard de Vinci qui était du côté de l’ennemi de laFrance, quand il débarque quelques décennies plus tard chez François Ier, y est reçu en prince et le plus naturellement possible. L’Europe artistique existe depuis 500 ans. Pourquoi avons-nous la Joconde ? Est ce normal ? Tout est dans tout. Et les artistes sont souvent les premiers à voyager pour trouver de nouvelles formes ou divulguer leur propre regard. Quand Gauguin part pour les Marquises, il s’intéresse tout à coup à l’art statuaire. Pourquoi Picasso introduit-il l’Art Nègre ? Pourquoi Modigliani passe-t-il tout son temps au Louvre à contempler l’art égyptien ? Les artistes de tous les temps regardent audelà de leur époque. Rembrandt connaissait parfaitement le travail de Caravage. Il n’inventa pas le clairobscur, il l’appliquait, il l’adaptait. Le clairobscur existait déjà à Rome. L’histoire de l’art montre bien le bouillonnement d’idées, de savoir faire partagés, de techniques qui dépassent les frontières, qu’elles fussent géographiques ou esthétiques. Ce dépassement doit se retrouver dans les accrochages, ce que j’appelle transversalité: créer des ponts et des passerelles entre les artistes, entre les époques et les cultures.
Outre les deux collections anciennes, vous exposerez des œuvres aujourd’hui cachées au public. Collection permanente, semipermanente ? Comment envisagez vous cet autre aspect du musée ?Bien des chefs-d’œuvre dorment dans des coffresforts de banque. Il faut les montrer ! J’ai joint un certain nombre de collectionneurs pour solliciter leurs prêts. D’autres se sont spontanément présentés pour ce projet. Des toiles magnifiques seront enfin révélées au public.N’est ce pas dangereux pour le propriétaire, lui qui plaçait son bien en sécurité ?Nous assurons pleinement la sécurité des œuvres dans les salles d’exposition. Pour le moment, elle nous permet de faire venir des œuvres que le public ne pourrait pas admirer. Les tableaux viendront de partout: Italie, France, Allemagne, Japon, Suisse… Ce n’est pas nouveau: au Moma, des tableaux exposés appartiennent à des Français. En outre, nous proposons aux propriétaires un atelier de restauration qui pourra rafraîchir les tableaux voire les restaurer et un laboratoire d’analyse scientifique qui pourra apporter un éclairage nouveau à certaines œuvres. Pourquoi seul lepatrimoine national pourrait-il bénéficier des avancées de la science ?Avez-vous établi une durée minimale de prêt ?Nous travaillons au cas par cas pour n’avoir pas à déséquilibrer l’ensemble proposé aux visiteurs. Il est clair que la durée et la richesse, la variété des œuvres exposées sont des éléments qui ne doivent pas se contredire. Nous aurons ainsi une exposition quasi permanente significative de ce que nous sommes et puis, toujours, les expositions de la Pinacothèque qui font son succès.Est-ce le choix des sujets que vous exposez qui éveille la curiosité ?Sans doute mais en fait je ne sais pas et même pour moi, c’est un vrai mystère. Nous ne savons jamais réellement les raisons d’un succès sans quoi tous les directeurs de musées seraient heureux et épanouis… Je constate que d’exposition en exposition, nos chiffres de fréquentation augmentent. Notre programmation se fonde sur deux catégories: la civilisation et l’esthétique. Dans la première, nous avons exposé les Soldats de l’Éternité, en ce moment l’Or des Incas, origines et mystères; prochainement les Mayas pour l’année du Mexique en France. Dans la seconde, nous avons monté des expositions comme: Rouault, Pollock et le chamanisme, Man Ray, Valadon et Utrillo, Edvard Munch l’anti-cri ou encore Chaïm Soutine, une de mes grandes fiertés.
À titre personnel ?Chaïm Soutine a fait partie de l’École de Paris entre les deux Guerres. Il était un jusqu’auboutiste, rachetant parfois ses propres toiles pour les modifier, les parfaire; brûlant autant d’œuvres qu’il en a gardées. Grand ami de Modigliani (de dix ans son aîné) qui a peint un magnifique portrait de lui, Soutine. Ils avaient le même marchand qu’Antcher, mon grand-père, le Polonais Léopold Zborowski, marchand et poète, un personnage étonnant. En exposant Soutine à la Pinacothèque, il me semblait revisiter une œuvre qui n’avait pas été exposée à Paris depuis trente-quatre ans. C’est toute une histoire à la fois artistique et personnelle que je montrais. Le public se l’est appropriée. Ce fut une exposition exceptionnelle et qui reste dans toutes les mémoires.En attendant une exposition Isaac Antcher ?Qui sait ? Je l’espère vraiment, mais le lien familial rend les choses compliquées pour un historien qui doit toujours rester neutre et objectif.Et puis il y eut l’exposition Valadon-Utrillo qui remporta un vif succès et qui surtout permit de mieux connaître Suzanne Valadon. Qu’est-ce que le public en a tiré ?Jamais à Paris on avait exposé ainsi un couple mère-fils. On est plongé dans cette histoire, dans leur histoire, qui est le tournant entre deux siècles, effectué par deux génies. Où l’on voit que Suzanne Valadon se renouvelle sans cesse. On oublie souvent qu’elle fut la première femme à être admise à la Société nationale des Beaux-arts en… 1894 ! C’était une femme libre et talentueuse, géniale même (les deux vont de pair) amie de tous ceux qui comptaient alors dans la vie artistique parisienne. Pas mondaine pour deux sous, autodidacte, elle attirait à elle… je veux dire, qu’elle devait dégager quelque chose d’extraordinaire… Elle avait été le modèle, entre autres de Degas, qui l’encouragea à peindre ellemême. Quand Maurice, son fils, naquit, elle avait dix-huit ans. Était-il le fils de Toulouse-Lautrec ? On le dit. Toujours est-il qu’il prit le nom de son père naturel, d’un père naturel possible, Utrillo. De Maurice Utrillo, on connaît surtout les vues de Paris et les très nombreuses toiles de Montmartre. La mère et le fils, sous couvert d’une forme de compétition, n’auront pas cessé de dialoguer à travers la peinture. Points de rupture ou points de liaisons, les questions sont nombreuses et il me semblait important de placer le spectateur devant ces toiles qui se parlent sans se rejoindre. Oui, ce fut une exposition importante.À voir les expositions de la Pinacothèque, à vous entendre, on se demande si une exposition est selon vous, didactique, pédagogique. Qu’est-ce qui vous motive ?
Je me laisse guider par l’émotion que je veux transmettre pour la partager. Et aussi par l’autre regard, celui qui n’a pas d’a priori ni de faux jugements. Lorsque j’ai exposé «Edvard Munch l’Anti-Cri», je cherchais le contrepied qui révèle un artiste. De Munch, le grand public ne connaît que le Cri. C’est un peu réducteur, non ? Plusieurs journalistes ont écrit que je n’avais pas obtenu la toile ! Cela leur permettait ainsi de dire que la Pinacothèque ne pouvait donc pas être un musée de premier rang. La mauvaise foi qui va ainsi jusqu’à nier mes propres intentions est formidable et ne laisse pas de m’amuser. De tels arguments sont d’autant plus drôles que ce fameux «Cri», je n’en voulais pas, justement ! Et que j’ai moi-même déterminé ce titre «l’Anti-Cri» pour montrer à quel point nous ne voulions pas cette œuvre et pour qu’on rencontre un artiste et non plus une toile seulement. L’exposition a clairement montré que Munch était le chaînon manquant entre des artistes tels que Picasso, Braque, Dubuffet et Pollock dans l’histoire du modernisme. Était-ce didactique ? Je ne saurais me prononcer. Ce dont je suis sûr: l’émotion était là.Vous n’exposez pas de photographies. C’est un choix ?Nous avons monté une exposition de Man Ray. Je ne crois pas que la photo soit un art ni qu’un photographe soit systématiquement un artiste. Les millions d’individus qui appuient tous les jours sur un bouton sont-ils des photographes ? Sont-ils pour autant des artistes ? Je m’interroge. Il y a en effet une violente confusion entre le support et la qualité de l’individu qui utilise le support en question. Le paradoxe du photographe est celui du surréalisme. Attention ! En France, parler de surréalisme est impossible. Le débat est clos et il est la «propriété» d’une autre caste, une espèce de club détenteur d’une pensée pseudointellectuelle d’une rigidité qui frise la stupidité. Au risque de me faire attaquer, j’ai osé rouvrir la discussion. Et ça n’a pas manqué, je me suis fait attaquer en règle par cette gentille petite caste. Car le surréalisme a tué ce qu’il y avait de plus beau en France. J’ai essayé de montrer combien ce fut dramatique; le surréalisme fut la fin d’un cycle où le beau avait la prédominance. Quand Breton considère que l’œuvre d’art ne relève plus de l’émotion mais d’un concept intellectuel, on entre dans un autre monde. Cette forme de totalitarisme intellectuel a fait bien des dégâts. Il continue d’en faire. Man Ray en fut un des théoriciens. Artiste raté, qui en avait une telle conscience qu’il s’est retourné vers la photographie et fut l’un des fondateurs du surréalisme, en photographiant un de ses tout premiers tableaux, fort laid, et en détruisant le tableau. Il fut sans aucun doute l’un des photographes les plus brillants du XXe siècle. Mais par cet artifice, il ne restait plus que l’image d’un tableau, le souvenir du tableau, l’idée du tableau… Le surréalisme naissait sur l’idée de la reproduction, du souvenir, de l’image de l’image qui n’est pas une image, etc. Bref, le CONCEPT. Tout ce que l’art ne doit pas être, ouvrant la porte au faux, aux multiples, à la possibilité pour la création de devenir le contraire de ce qu’elle avait toujours été. Bref, la cata !! N’oublions jamais que le surréalisme s’est appuyé sur les lectures de Lautréamont et de la sublimation du mal, de l’apothéose de la dissonance. C’est tout simplement monstrueux ! À pécher contre la Beauté, on perd une part de notre humanité. Pas étonnant que puisse naître le culte de Jeff Koons à qui l’on offre Versailles. Maldoror serait satisfait ! Louis XIV, moins sans doute. C’est ce que je crois, en tout cas. Mais c’est déjà si bien de pouvoir donner son opinion, ce que ne peuvent pas faire les millions de spectateurs qui assistent souvent consternés à ce spectacle affligeant de la culture mondaine avec cette angoissante question en tête «suis-je trop bête ou trop vieux pour comprendre ces horreurs ?».
N’est-ce pas subjectif ?Non, il n’est pas subjectif de dire que le surréalisme était fasciné par le culte du mal, c’est une réalité historique. Ce qu’on appellerait aujourd’hui la fascination pour le côté obscur de la Force. C’est mon côté «Jedi» jusqu’auboutiste, je suis de ceux qui pensent que l’artiste doit traquer la beauté, la révéler, au prix parfois d’un immense combat intérieur et d’une maîtrise parfaite de sa technique. Regardez Rembrandt ! Il est le plus grand…Vous placez toujours Rembrandt au dessus…C’est le plus grand peintre de tous les temps, incontestablement. Michel-Ange avait la puissance ; Caravage la lumière ; Véronèse l’étoffe; Titien la forme… Additionnez toutes ces qualités, vous avez un Rembrandt. Il faut le montrer en comparaison avec d’autres, il prend toute sa force. La collection permanente du musée placera des œuvres en confrontation pour qu’elles se nourrissent les unes les autres sans se détruire. L’équilibre n’est pas facile à trouver. Il faut accepter le doute sur un tableau car le doute apporte une part de vérité et en tout cas la liberté de regarder. N’est-ce pas l’essentiel ?
Parcours
1964 | Naissance (24 juin à Saint-Omer,Pas-de-Calais).1988-1993 | Chargé de cours d’histoire de l’Art à l’Université de Paris I, Panthéon-Sorbonne.1989 | Fonde et préside l’AssociationCarrefour Vavin pour promouvoir lesartistes de l’École de Paris | Collaboreà la Revue Histoire de l’Art (inha)(jusqu’en 1993).1991 | Exposition «Flaure» artistecontemporaine au Musée duLuxembourg.1992 | Rétrospective Amédéo Modigliani.Exposition inaugurale du Musée TOBU(Tokyo).1993 | Rétrospective Renoir pour legroupe de presse Mainichi à Tokyo aumusée Tobu et au musée Municipald’Osaka.1993-1994 | Modigliani et ses amis en tournée au Japon.1994 | Le marchand Zborowski, autour de: Modigliani, Soutine, Utrillo, Valadon, Kisling, Derain, à la Fondation de l’Hermitage (Lausanne) | Tournée de l’exposition sur Zborowski au Palazzo Vecchio (Italie).1995 | Les Femmes impressionnistes àTokyo (Isetan Museum).1996 | Exposition itinérante EugèneBoudin (pour la première fois auJapon).1997 | Rétrospective Georges Rouaultau Musée d’Art Moderne de Lugano |Exposition itinérante Modigliani et sonépoque au Japon.1998 | Centenaire d’Eugène Boudin auMusée National de Colombie, Bogota| Exposition itinérante Kiki, Reine deMontparnasse au Japon | RétrospectiveGeorges Rouault au Musée Yasuda(Japon).1999 | Les chefs-d’œuvre de la Collectiondu Docteur Rau: Japon – USA – Europe| Suzanne Pagé | Rétrospective Modiglianiau Musée d’Art Moderne de Lugano.2000 | Centenaire Sisley, expositionitinérante au Japon, dont le muséeIsétan de Tokyo. Commissaire généralde l’exposition. Commissaire généralde l’exposition | Monet, il maestro de laLuce à Rome, Musée du Risorgimento,pour le Jubilé | Exposition Picasso auMusée National de Bogota | De FraAngélico à Bonnard (les chefs-d’oeuvrede la collection Rau): Présentationde l’exposition à Paris, au Muséedu Luxembourg pour marquer larenaissance du Musée du Luxembourg àParis et la prise de fonction de directeurdu musée.2001 | Exposition Redon, expositionitinérante au Japon | Musée duLuxembourg: Rodin en 1900,L’exposition de l’Alma. Reconstitutionde l’exposition des plâtres de Rodinpour l’exposition universelle de 1900au pavillon de l’Alma | Musée duLuxembourg: Première rétrospectiveconsacrée à Raphaël, organisée enassociation avec le ministère de laculture italienne et le Vatican.2002-2003 | Exposition Rétrospective:Modigliani, l’ange au visage grave:Exposition événement au Musée duLuxembourg, manifestation la plusimportante jamais réalisée sur l’artiste:110 huiles réunies.2003 | Rétrospective Modigliani:Seconde étape au Palazzo Reale(Milan). Exposition pour la premièrefois des dessins et peintures de JeanneHébuterne | L’aventure de Pont-Avenet Gauguin: Musée du Luxembourg.Première exposition sur les débuts deGauguin à Pont-Aven | Inauguration de la Pinacothèque de Paris: Picasso Intime, la collection de Jacqueline.2007 | Exposition inaugurale de laPinacothèque de Paris, place de laMadeleine: Roy Lichtenstein: Evolution| L’âge d’or de la peinture Vénitienne deTitien à Guardi | Modigliani et JeanneHébuterne, le couple maudit.2008 | Chaïm Soutine | Atelier Man Ray| Les soldats de l’Eternité – L’armée deX’ian | Modigliani et le Primitivisme |Amedeo Modigliani et Jeanne Hébuterneà Goyan Aram Art Gallery (Corée) |Georges Rouault, les chefs-d’œuvre de la collection Idemitsu | Pollock et le chamanisme.2009 | Valadon Utrillo, Au tournant dusiècle à Montmartre. De l’impressionnismeà l’École de Paris | L’Age d’or hollandais –De Rembrandt à Vermeer.2010 | L’Or des Incas, origines d’unmystère.2011 | Les Mayas | Ouverture d’uneextension de la Pinacothèque, 3000 m2dédiés à des collections privées en dépôtpour une exposition quasi permanente.
En quelques mots
Qu’est-ce qui vous émeut……dans un objet ?Son utilité jointe à la façon de l’appréhender, de l’apprivoiser, de s’en servir
.…dans une peinture ?L’émotion. Elle vient parfois d’une histoire, car je crois que les tableaux racontent davantage qu’ils ne montrent
.…dans une sculpture ?Le rapport qu’elle entretient avec l’espace, la communion de l’œuvre avec l’espace
.…dans une photographie ?La composition. La faculté de la composition à émouvoir au-delà du sujet
.…dans un livre ?Le style
.…dans une musique ?L’harmonie
.…dans l’architecture ?L’équilibre.Si vous deviez choisir une œuvre
……dans la peinture ?Impossible de choisir, mais en réfléchissant, je dirais Rembrandt. Tout Rembrandt
.…dans la sculpture ?Donatello, Saint Marc à l’Orsanmichele de Florence
.…dans la musique ?Wagner, Schubert, Mozart et Bach, dans l’ordre
……dans l’architecture ?La cathédrale Notre-Dame de Paris
.…dans la littérature ?Stendhal, Le Rouge et le Noir sans exclure le reste.