À Bâle, le Musée Tinguely propose une vaste exposition Max Ernst, rassemblant près de 150 œuvres de toute provenance. C’est l’occasion d’entrer dans le jardin de la nymphe Ancolie, qui est aussi, un peu, celui de ce peintre majeur du XXe siècle.
Moins connu que l’emblématique et dictatorial André Breton, moins reconnaissable peut-être dans ses œuvres que René Magritte ou Salvador Dalí, Max Ernst, qui fut le fondateur du groupe dada de Cologne avant de rejoindre en 1922 la capitale française et le groupe surréaliste, est pourtant l’un des artistes les plus importants de ce mouvement.Profondément marqué dans sa jeunesse de peintre par la peinture métaphysique de Giorgio de Chirico, influence qui transparaît nettement dans certaines œuvres (Œdipus rex, 1922), Max Ernst apparaît dès sa période dada comme particulièrement attentif à l’émergence des puissances du rêve dans le travail de l’artiste.Hanté comme beaucoup de surréalistes par des thèmes récurrents, Ernst voit revenir dans son œuvre des motifs végétaux ou sylvestres. Les oiseaux semblent aussi jouer un grand rôle, et l’artiste va en quelque sorte les incarner dans l’animal emblématique Loplop, «le Supérieur des oiseaux», qu’il présente comme son alter ego, un autre lui-même qui lui permet en quelque sorte de s’inclure dans ses propres toiles.Plus qu’aucun autre artiste de son époque, Ernst a contribué à décloisonner les pratiques artistiques. Des collages à la sculpture, qu’il commence à pratiquer dans les années 30, l’œuvre de Max Ernst, d’une surprenante variété, est une recherche constante.
D’abord pratiqué dans une optique dadaïste, visant à déconstruire et démythifier la pratique de l’art, le collage devient par la suite une technique d’expression artistique à part entière. Ernst mettra au point le roman-collage; le premier d’entres eux, La femme 100 têtes (1929) est préfacé par Breton qui le décrit comme «le livre d’image idéal de cette époque.»Mise au point vers 1925, la technique du frottage, consistant à poser un papier sur une texture quelconque et y laisser courir le crayon pour voir apparaître les images de l’inconscient, s’apparente à celle de l’écriture automatique utilisée par Breton ou Éluard. D’autrestechniques, comme le grattage des pigments de la toile, les décalcomanies, les empreintes visent encore et toujours à laisser surgir des images que l’artiste interprète ou agrémente parfois pour expliciter «la succession hallucinante d’images contradictoires se superposant les unes aux autres.»À Dalí et sa méthode paranoïaque-critique, à Magritte et son surréalisme conceptuel, Ernst oppose son expérimentation incessante de techniques, qui toutes visent à favoriser cette «intensification subite de [ses] facultés visionnaires» qui est le but et le propos du surréalisme.
L’une des attractions phares de cette exposition sera sans nul doute la restauration en direct, au jour le jour, de l’œuvre qui lui donne son titre, Pétales et jardin de la nymphe Ancolie. Cette monumentale œuvre de commande (4,15 × 5,31 m) fut peinte en 1934 pour décorer les murs du Corso Bar à Zurich. Elle y resta jusque vers 1955, date à laquelle le bar fut redécoré et l’œuvre cachée aux regards. Par la suite, déposée sur dix-huit panneaux de contreplaqué, la nymphe Ancolie devait rejoindre le Kunsthaus Zurich, qui put en 1965 la faire entrer dans ses propres collections.Le procédé de dépose alors utilisé, dit strappo (de l’italien strappare, arracher), particulièrement inadapté à l’œuvre (qu’Ernst avait réalisée non comme une fresque – avec des couleurs délayées à l’eau sur du plâtre humide, mais avec de la peinture à l’huile sur un mur préparé comme une toile) entraîna un grand nombre de détériorations. À l’époque, ces manques plus ou moins importants furent intégralement repeints. Ce sont ces repeints abusifs et trompeurs que la restauration d’aujourd’hui entend éliminer, pour retrouver à la fois la luminosité et les couleurs originelles de l’œuvre ainsi que sa texture particulière.