Montagnes magiques

Giovanni Segantini Paysage alpin avec femme à la fontaine, vers 1893 © Kunst Museum, Winterthour
Giovanni Segantini Paysage alpin avec femme à la fontaine, vers 1893 © Kunst Museum, Winterthour
Célébrés par un groupe d’artistes suisses à l’aube du XXe siècle, les montagnes des Grisons font une entrée fracassante dans la peinture moderne. Si les impressionnistes se sont emparés des lumières changeantes de la Méditerranée ou des brumes de la Tamise, c’est un groupe de peintres suisses qui a célébré les splendeurs  insoupçonnées de la montagne à l’aube du XXe siècle. Un groupe d’amis, de surcroît, qui, loin de former une école, tant leurs techniques étaient différentes, s’est formé autour d’un maître venu d’Italie, de la région des lacs, trop tôt disparu, Giovanni Segantini (1858-1899). Faisaient partie de ce groupe Giovanni Giacometti (1868-1933), le père d’Alberto, originaire de Stampa, puis son condisciple à Munich et à Paris du temps de leurs études, Cuno Amiet (1868-1961), et enfin Ferdinand Hodler (1853-1918), leur aîné. La proximité qui existait entre eux ne se traduit pas seulement par leur travail en parallèle devant les mêmes sites, mais aussi par toute une série de portraits réciproques. Giacometti et Amiet se sont peints réciproquement dans leurs petits appartements parisiens, à l’époque où ils fréquentaient tous les deux l’Académie Julian, Amiet a représenté Hodler devant ses œuvres, avant d’immortaliser Segantini et Hodler sur leur lit de mort. Quant à Giovanni Giacometti, il ne se lassera pas de représenter les membres de sa famille, en particulier Alberto, qu’il voit grandir. Liens d’amitié, liens familiaux même, et dont témoignent aussi l’échange de nombreuses lettres et qu’atteste le fait qu’Amiet a été le parrain du fils aîné de Giovanni Giacometti,...

Célébrés par un groupe d’artistes suisses à l’aube du XXe siècle, les montagnes des Grisons
font une entrée fracassante dans la peinture moderne.

Si les impressionnistes se sont emparés des lumières changeantes de la Méditerranée ou des brumes de la Tamise, c’est un groupe de peintres suisses qui a célébré les splendeurs  insoupçonnées de la montagne à l’aube du XXe siècle. Un groupe d’amis, de surcroît, qui, loin de former une école, tant leurs techniques étaient différentes, s’est formé autour d’un maître venu d’Italie, de la région des lacs, trop tôt disparu, Giovanni Segantini (1858-1899). Faisaient partie de ce groupe Giovanni Giacometti (1868-1933), le père d’Alberto, originaire de Stampa, puis son condisciple à Munich et à Paris du temps de leurs études, Cuno Amiet (1868-1961), et enfin Ferdinand Hodler (1853-1918), leur aîné.

La proximité qui existait entre eux ne se traduit pas seulement par leur travail en parallèle devant les mêmes sites, mais aussi par toute une série de portraits réciproques. Giacometti et Amiet se sont peints réciproquement dans leurs petits appartements parisiens, à l’époque où ils fréquentaient tous les deux l’Académie Julian, Amiet a représenté Hodler devant ses œuvres, avant d’immortaliser Segantini et Hodler sur leur lit de mort. Quant à Giovanni Giacometti, il ne se lassera pas de représenter les membres de sa famille, en particulier Alberto, qu’il voit grandir. Liens d’amitié, liens familiaux même, et dont témoignent aussi l’échange de nombreuses lettres et qu’atteste le fait qu’Amiet a été le parrain du fils aîné de Giovanni Giacometti, Alberto, dont il fait aussi le portrait (ill. 1), alors que Hodler était le parrain du cadet, Bruno, disparu en 2012. Et l’on ne compte pas les photographies réunissant les uns et les autres, les montrant au travail ou en train de festoyer. Celles d’Andrea Garbald (1877-1958), le photographe-chroniqueur du Val Bregaglia, découvertes par hasard dans un grenier en 1985, sont parmi les plus parlantes. C’est donc à raison qu’une section tout entière dans cette exposition soit consacrée à ces liens personnels et à ces échanges.

Giovanni Segantini Paysage alpin avec femme à la fontaine, vers 1893 © Kunst Museum, Winterthour

L’ouverture de ce parcours lumineux se fait tout naturellement avec celui que tous saluent comme un maître, Giovanni Segantini qui, à l’approche de la trentaine, s’est installé à Savognin en 1886. Il avait reçu une solide formation à l’Académie des beaux-arts de Brera à Milan où il s’était lié d’amitié avec l’un des principaux représentants de l’impressionnisme
italien, Francesco Filippini. Utilisant la technique divisionniste, elle-même inspirée du pointillisme de Seurat, qui consiste à juxtaposer de petites touches de couleur pure, laissant ainsi à l’oeil du spectateur le soin d’opérer les amalgames et les mélanges que d’autres font sur leur palette, Segantini a réalisé dans ses Grisons d’adoption une série de paysages auxquels la lumière translucide de l’Engadine confère un éclat incomparable (ill. 2). Travaillant sur le motif, il lui est arrivé d’installer son chevalet dans des altitudes tellement inhospitalières qu’un jour, terrassé par une péritonite, il est mort à la tâche, prématurément, à quarante-et-un ans.

Giovanni Giacometti, de dix ans son cadet et un peu son élève, l’avait souvent accompagné
dans ses pérégrinations et il avait rapporté des impressions inspirées par les même sites (ill. 3). Mais peu à peu, Giacometti père s’est s’éloigné du divisionnisme de ses débuts et s’est tourné, sans doute encouragé par Amiet et Hodler, qui l’ont souvent rejoint sur place, vers une peinture moins naturaliste, plus synthétique, soutenue par des couleurs plus audacieuses. Pour Hodler, ses séjours en Engadine lui donneront l’occasion d’expérimenter une nouvelle technique de composition, le parallélisme. Elle lui permet de rythmer ses tableaux en y introduisant un jeu de symétries qui structure une nature par trop soumise aux aléas. Un ordre y est en quelque sorte introduit par la main de l’artiste qui recrée une création imparfaite. Cette technique fera d’ailleurs des émules. Ainsi, le photographe Albert Steiner (1877-1965) la fera sienne dans ses clichés pris en Engadine à la même époque.

Giovanni Giacometti Lac de Sils, 1906 © Collection privée, Bregaglia

Le Val Bregaglia est le lieu par excellence de la famille Giacometti. Tout le monde y est artiste, de père en fils. Giovanni n’a jamais quitté Stampa, sauf pour ses années d’études à
Munich et à Paris à la fin des années dix-huit cent quatre-vingts, au cours desquelles il se lie avec Cuno Amiet, lui-même originaire de Soleure. Comme sa peinture ne peut faire vivre une famille qui s’agrandit rapidement, il réalise aussi des affiches publicitaires pour sa région. Nous sommes au début du tourisme qui commence à se développer dans toutes les régions suisses. Ramuz n’a pas manqué de s’en plaindre à ses amis valaisans. Giacometti père cultive tous les genres : la peinture à l’huile, le dessin, l’estampe, la lithographie, l’aquarelle. C’est cette dernière qui lui permet de saisir le plus spontanément possible, par touches rapides, la variété des paysages de l’Engadine et notamment de la région du lac de Sils-Maria. La famille a l’habitude d’y passer l’été. Cuno Amiet la rejoint souvent.

Alberto grandit tout naturellement dans l’ombre de son père. Il finira d’ailleurs par rependre l’atelier de celui-ci pour y travailler entre deux séjours parisiens. L’influence de son parrain Amiet n’est pas moins sensible dans ses premiers paysages, qui représentent les sommets entourant Stampa : Piz Margna, Piz Corvatch, Piz Duan. C’est de ces étroites vallées, obscurcies par de noirs sapins, que se sont élancées les figures filiformes de ses sculptures, marcheurs perdus à travers des places vides. Installé à Paris dès 1922, Alberto n’a jamais rompu avec ses origines. Même après son passage par le surréalisme, il est revenu aux montagnes de son pays qu’avait si bien illustrées son père. Des montagnes qui sous les pinceau de ce groupe d’artistes déploient toute leur magie, mais dans un sens tout opposé à celui de Thomas Mann dans son célèbre roman. Loin d’être un lieu d’enfermement, les montagnes réunies ici sont symboles de liberté.

Robert Kopp

“La Montagne fertile – les Giacometti, Segantini, Hodler, Amiet et leur héritage “. Palais Lumière , Évian, jusqu’au 30 mai 2021

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