PAULA REGO CONTES CRUELS

Regicide, 1965 Collection privée © Paula Rego. All rights reserved 2024 / Bridgeman Images.
Regicide, 1965 Collection privée © Paula Rego. All rights reserved 2024 / Bridgeman Images.
L’exposition du Kunstmuseum de Bâle rend hommage à la peintre britannique d’origine portugaise, née en 1935 et décédée il y a deux ans. Cette vaste rétrospective décrit son univers figuratif singulier et dérangeant. Elle avait fait des « jeux de pouvoir et des hiérarchies » son thème de prédilection. Eva Reiffert, la curatrice bâloise de l’ex-position s’interroge même : l’artiste aurait-elle admis comme le philosophe Nietzsche que « la volonté de pouvoir » est la première éner-gie vitale de l’être humain ? Dans des contextes aussi divers que des conflits contemporains et des relations familiales, l’artiste n’a eu de cesse de dé-peindre ces luttes humaines.On peut imaginer que ses origines de vie ont in-fluencé dans ce sens son observation aiguisée et ce regard critique sur le monde. À sa naissance en 1935 dans une famille de la bourgeoisie indus-trielle et cultivée, le Portugal est déjà depuis neuf ans sous le joug d’un régime de dictature militaire mené par le général Salazar qui ne prendra fin qu’en 1974. Paula Rego deviendra pourtant an-glaise – étudiante à la Slade School of Fine Art à Londres, elle obtient en 1959 la nationalité bri-tannique lorsqu’elle se marie avec Victor Willing, un peintre britannique. De cette double apparte-nance au nord et au sud de l’Europe, à un régime autoritaire et à une monarchie constitutionnelle où les hiérarchies de tout type, qu’elles soient so-ciales ou patriarcales, jouent un rôle majeur, Rego a tiré le substrat de sa peinture. Peinture d’histoire, scènes religieuses, portraits, scènes d’intérieur, l’ar-tiste...

L’exposition du Kunstmuseum de Bâle rend hommage à la peintre britannique d’origine portugaise, née en 1935 et décédée il y a deux ans. Cette vaste rétrospective décrit son univers figuratif singulier et dérangeant.

Elle avait fait des « jeux de pouvoir et des hiérarchies » son thème de prédilection. Eva Reiffert, la curatrice bâloise de l’ex-position s’interroge même : l’artiste aurait-elle admis comme le philosophe Nietzsche que « la volonté de pouvoir » est la première éner-gie vitale de l’être humain ? Dans des contextes aussi divers que des conflits contemporains et des relations familiales, l’artiste n’a eu de cesse de dé-peindre ces luttes humaines.
On peut imaginer que ses origines de vie ont in-fluencé dans ce sens son observation aiguisée et ce regard critique sur le monde. À sa naissance en 1935 dans une famille de la bourgeoisie indus-trielle et cultivée, le Portugal est déjà depuis neuf ans sous le joug d’un régime de dictature militaire mené par le général Salazar qui ne prendra fin qu’en 1974. Paula Rego deviendra pourtant an-glaise – étudiante à la Slade School of Fine Art à Londres, elle obtient en 1959 la nationalité bri-tannique lorsqu’elle se marie avec Victor Willing, un peintre britannique. De cette double apparte-nance au nord et au sud de l’Europe, à un régime autoritaire et à une monarchie constitutionnelle où les hiérarchies de tout type, qu’elles soient so-ciales ou patriarcales, jouent un rôle majeur, Rego a tiré le substrat de sa peinture. Peinture d’histoire, scènes religieuses, portraits, scènes d’intérieur, l’ar-tiste ne s’interdit aucun domaine et navigue avec aplomb dans divers espaces-temps. Le monde contemporain et ses grands défis de société (par exemple la bataille en faveur de la libéralisation de l’avortement dans son pays natal pour laquelle elle s’engage avec une série de pastels et gravures de 1998-99) lui offre des terrains de choix, la litté-rature et le théâtre aussi sans oublier le registre de la culture populaire encore, celui des films animés de Walt Disney par exemple, des contes dans un joyeux pêle-mêle de références.
Sa manière presque candide de raconter la vio-lence du monde s’exprime dans une première ta-pisserie (La bataille d’Alcaer Quibir, 1966), événe-ment historique majeur de l’histoire du Portugal du XVIe siècle ou dans un collage de 1965 (Régicide). Le grotesque et le cauchemardesque s’entremêlent dans ces représentations chaotiques ou dans celles d’interrogatoires ou de scènes de torture – le silence qui émane de ces scènes vio-lentes est assourdissant.
Scruter le monde et sa destinée n’empêche pas l’ar-tiste d’effectuer sa propre introspection. À partir des années soixante, c’est donc sa propre image qu’elle ausculte sur la toile, se faisant tendre lit-téralement le miroir dans Self Portrait with Lila. Un autoportrait réalisé en 1993 (The Artist in Her Studio) semble lui aussi s’intégrer à première vue dans la lignée des autoportraits d’artistes, et pourtant c’est une réflexion plus profonde sur la place et l’importance des artistes femmes qu’il dé-voile. La figure de l’artiste s’y expose de manière très masculinisée, les jambes ouvertes et fumant la pipe au milieu de son atelier. C’est son modèle Lila qu’elle a fait poser et non elle-même. En cette dame de compagnie qui vit avec sa famille, elle trouve une sorte d’alter ego, prêt à endosser toutes sortes de rôles, à se déguiser pour les besoins de la mise en scène des dessins et peintures pendant près de trente ans. La femme de lettres française George Sand sert ici de modèle tutélaire à cette figure de l’artiste. « Peindre des tableaux, c’est comme être un homme, vraiment, c’est le côté de vous qui est masculin. Même la façon d’être de-bout ou de se confronter avec l’œuvre, comme un homme ». Pour Rego, la lutte avec soi-même, entre la part féminine et la part masculine du soi, est une question omniprésente.
La guerre entre les sexes s’immisce aussi fréquem-ment en toile de fond dans les peintures de Rego qui s’amuse à brouiller les frontières entre humain et animal – ainsi de la figure du chien qui repré-sente le partenaire masculin, également caché sous les traits d’un singe ou crocodile. Bien que l’ar-tiste évoque à de nombreuses reprises le thème des violences faites aux femmes et leur soumission, ses personnages féminins sont loin d’être réduits à des figures innocentes et passives. Ses héroïnes échappées des films de Disney (Blanche Neige ou Fantasia) sont des femmes fortes, dures et ambi-guës, loin d’une image stéréotypée. « Je veux tout changer, chambouler l’ordre établir remplacer les héroïnes et les idiots », a-t-elle pu déclarer dans une formule qui a souvent été citée. Ainsi la figure de la fée bleue dans le tableau de 1995 (The Blue Fairy Whispers to Pinocchio – La fée bleue chucho-tant à Pinocchio), généralement associée à la raison et aux valeurs morales est ici représentée sous un autre jour face à une autre figure de l’imaginaire populaire, Pinocchio, ici incarné par un jeune gar-çon nu et vu de dos, la bonne fée assise sur un fauteuil face à lui étonnamment menaçante et dominante.

Les jeux de pouvoir se retrouvent dans la sphère in-time, jusque dans la famille – ainsi qu’elle s’expose dans The Family. On y voit un homme en costume assis sur le bord d’un lit molesté par deux jeunes filles tandis qu’une troisième regarde la scène avec un plaisir non dissimulé. Quelle part autobiogra-phique recouvre cette représentation qui tire peut-être son origine de l’expérience que fait Rego de la maladie avec la sclérose en plaques de son mari qui domine vingt ans durant la vie de la famille? On peut aussi lire dans cette peinture des rémi-niscences de la pièce de théâtre de Jean Genet, Les Bonnes (1947) qui raconte la domination d’un duo de soeurs domestiques sur leurs maîtres.
Formellement, Paula Rego a une dette envers le mouvement surréaliste ce qui explique la juxtapo-sition d’actions et de scènes dans ses tableaux dont les motifs et références restent flous et les interpré-tations multiples. La lecture des tableaux de Rego s’apparente alors à une plongée dans des méandres de l’inconscient de l’artiste, entre ses propres an-goisses et peurs, ses désirs et ses souvenirs, notamment d’enfance – l’artiste n’a jamais caché le fait qu’elle souffrait de dépression et que la psy-chanalyse suivie pendant des années et son inté-rêt pour les théories de Jung ont nourri son ba-gage créatif. Sa série autour de la figure Peter Pan ou son tableau de la Métamorphose d’après l’œuvre de Franz Kafka sont autant de pierres semées sur le chemin de sa propre analyse psychanalytique, à la recherche de ses traumatismes et troubles psy-chiques. À la manière d’un Balthus, elle donne naissance à des figures humaines aux corps rigides et aux mouvements presque désarticulés comme des marionnettes. À d’autres reprises, sa mise en scène presque voyeuriste de figures aux corps cris-pés, noueux, angoissés, rappelle la crudité des portraits d’un Lucian Freud, voire d’un Francis Bacon.
Aujourd’hui acclamée comme l’une des grandes artistes du XXIe siècle, Paula Rego continue à intriguer le spectateur par cette œuvre à clés in-classable où se mêlent onirisme et références à la marche du monde contemporain.

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