On connaissait la magnifique collection d’art moderne et contemporain réunie dans son Palazzo Venier dei Leoni, sur le CanalGrande à Venise, mais beaucoup moins l’ensemble d’objets précolombiens, amérindiens, africains et océaniens rassemblés par Peggy Guggenheim, en connivence avec ses amis artistes et marchands d’art.Peggy Guggenheim était célèbre pour son tempérament hors du commun. Qui l’a vue vivre dans son palais vénitien, au milieu des Max Ernst, Tanguy, Picasso, ne peut oublier son allure et l’originalité de son caractère. C’est sans doute ce qui avait séduit Max Ernst avec qui elle vécut à New York, de 1941 à 1943. Max Ernst lui avait révélé l’art «ethno» et ils remplirent de leurs trouvailles leur appartement new-yorkais.Le musée vénitien de Peggy Guggenheim avait ceci d’unique à cette époque que tout s’y côtoyait joyeusement de façon un peu anarchique (dans le plus pur esprit surréaliste des rencontres fortuites). Son ami Marcel Duchamp n’affirmait-il pas que «c’est le regardeur qui fait le tableau» ? Peggy Guggenheim, comme tout véritable collectionneur, a le plus souvent choisi les pièces de sa collection sur un coup de coeur. Mais une collection ne se définit-elle pas comme un chapelet de coups de coeur ? Une exposition est aujourd’hui consacrée à ces merveilles, à la Galleria Gottardo à Lugano, puis jusqu’à fin mars 2009, à la Fondation Peggy Guggenheim de Venise (un excellent catalogue italien-anglais l’accompagne). Ces sculptures se trouvaient depuis longtemps dans la maison que Peggy Guggenheim avait décidé d’ouvrir au public, mais dans un environnement plus intimiste, celui de sa vie quotidienne.Ci-dessous, quelques-uns des coups de coeur de Peggy Guggenheim.
1 Ce masque Ya’ko-ko su’ti-ro enveloppanten tapa polychromé, un «vêtement pourpleurer», sans bouche pour crier, des IndiensKobéwa du Rio Uaupés, un affluent del’Amazone, sur la frontière Brésil-Colombie.(Détail, 144 x 50 x 38 cm)
2 Figure Nayarit, ouest du Mexique,300 avant – 400 après J.-C., terre cuitepolychrome. J’aime son menton fendud’une bouche dentue d’arracheur decœur, que contrebalance son chapeaupointu, ses oreilles en marguerite, sestaches de rousseur de dioxyde de manganèse et le labret du nez en forme derequin-marteau. (45 x 25 x 9 cm)
3 Ce cimier de danse pour les rites agraires,«Ciwararkun», en bois noirci, des Bamanadu Mali, dans le style de Ségou, représentant «une mère et son enfant». En réalité, du point de vue zoologique, il s’agitd’un oryx, aux cornes droites, portant surson dos un petit hippotrague aux cornesrecourbées. (86 x 10 x 30 cm)
4 Cette coupe Dogon (Mali) destinée à recevoir la nourritureconsacrée lors de l’investiture du Hogon, le plus haut dignitairedans la hiérarchie sacerdotale. Un cheval cariatide soutient la coupedont le couvercle supporte un cavalier barbu (la barbe est l’insignedes grands initiés). (117 x 34 x 41 cm)
5 Ce masque «Tatanua» personnifiant un défunt, de l’aire Madak de NouvelleIrlande, un archipel mélanésien. Bois polychromé, fibres végétales et matériaux divers. Pour ses paupières qui sont aussi des têtes d’oiseau stylisées et pour ses yeux,une géniale invention puisqu’il s’agit des deux opercules «retournés» d’un autre gastéropode du genre Turbo, dont les couleurs naturelles font «voir» mimétiquementdes yeux. La face externe de l’opercule, ici à l’intérieur, est plate et dessine aussi unespirale de croissance, «le regard intérieur… en vrille». (50 x 20 x 37 cm)6 Ce bouchon de flûte en bois noirci et enluminé de kaolin des Chambri, surle cours moyen du fleuve Sepik, en Papua Niugini, pour son appendice nasal quiplonge dans sa poitrine juste sous la cage thoracique et ses yeux de gastéropodescié, un Conus, qui révèle cette spirale de la vue qu’enviait tellement AlbertoGiacometti. (49 x 7 x 6 cm)
7 Ce masque D’mba des Baga de Guinée, en boisnoirci et huilé, porté sur les épaules en toute occasionimportante. Je l’aime pour sa poitrine lourde et surchargée de clous de tapissier européens en laiton. Poursa tête que tous les éléments, en violents contrepoint,rendent si harmoniquement sonore. (70 x 43 x 60 cm)8 Ce «Wuramon», la barque sans fond des âmes, desAsmat coupeurs de tête de Papua (ex Irian Jaya), enbois polychromé et plumes de casoar. Quatre défunts,ici représentés avec une tête d’oiseau, vont être invoqués lors d’un rituel complexe afin que s’accomplissele cycle de l’éternel retour. (16 x 226 x 20 cm)