PHILIPPE GRONON – ENREGISTRER LA RÉALITÉ TELLE QU’ELLE EST

Porte Abri Anti-nucléaire Ministère des finances Bercy France, 2010 Photographie analogique couleur, épreuve numérique pigmentaire Édition n°1 5 1
Porte Abri Anti-nucléaire Ministère des finances Bercy France, 2010 Photographie analogique couleur, épreuve numérique pigmentaire Édition n°1 5 1
Depuis plus de trente ans, l’artiste français Philippe Gronon produit des images photographiques au sens le plus simple – et historique – du médium lui-même, comme une technique enregistrant la réalité telle qu’elle est. À voir jusqu’au 15 juillet à l’Espace Muraille à Genève. Il est des choses que l’on regarde mais qu’on ne voit pas. Vraisemblablement parce que leur importance fonctionnelle prime sur leur esthétique, sur leur valeur plastique, et qu’en ce sens elles semblent relativement invisibles ou du moins insignifiantes pour l’œil. Souvent issues du monde industriel, ces choses sont « éminemment intéressant[e]s » pour l’artiste français Philippe Gronon « car c’est éminemment peu intéressant », explique-t-il. « La beauté de chaque tableau d’ascenseur, de chaque tableau de cotation, de chaque fichier de catalogue, de chaque écritoire, de chaque tableau noir, de chaque moteur de fusée, tous semblables, tous différents, est écrasante. Elle exprime, sous la qualité pure de chaque objet, la beauté unique, […] », pour reprendre les termes de la critique Catherine Perret. Avec la rigidité apparente du cadrage photographique, Philippe Gronon suit depuis toujours un protocole auquel il ne déroge en aucun cas pour produire ses images : la prise de vue se fait exclusivement de manière frontale, le rendu est incroyablement précis, et l’échelle de reproduction exactement de 1/1 – ainsi que les évolutions techniques le permettent depuis 1997. Circonscrites à l’objet représenté, et à lui seul, ses photographies détourées – pendant longtemps tirées exclusivement en noir et blanc – font corps avec lui. Jamais encombrées d’encadrement, elles sont ensuite montées...

Depuis plus de trente ans, l’artiste français Philippe Gronon produit des images photographiques au sens le plus simple – et historique – du médium lui-même, comme une technique enregistrant la réalité telle qu’elle est. À voir jusqu’au 15 juillet à l’Espace Muraille à Genève.

Il est des choses que l’on regarde mais qu’on ne voit pas. Vraisemblablement parce que leur importance fonctionnelle prime sur leur esthétique, sur leur valeur plastique, et qu’en ce sens elles semblent relativement invisibles ou du moins insignifiantes pour l’œil. Souvent issues du monde industriel, ces choses sont « éminemment intéressant[e]s » pour l’artiste français Philippe Gronon « car c’est éminemment peu intéressant », explique-t-il.

« La beauté de chaque tableau d’ascenseur, de chaque tableau de cotation, de chaque fichier de catalogue, de chaque écritoire, de chaque tableau noir, de chaque moteur de fusée, tous semblables, tous différents, est écrasante. Elle exprime, sous la qualité pure de chaque objet, la beauté unique, […] », pour reprendre les termes de la critique Catherine Perret. Avec la rigidité apparente du cadrage photographique, Philippe Gronon suit depuis toujours un protocole auquel il ne déroge en aucun cas pour produire ses images : la prise de vue se fait exclusivement de manière frontale, le rendu est incroyablement précis, et l’échelle de reproduction exactement de 1/1 – ainsi que les évolutions techniques le permettent depuis 1997. Circonscrites à l’objet représenté, et à lui seul, ses photographies détourées – pendant longtemps tirées exclusivement en noir et blanc – font corps avec lui. Jamais encombrées d’encadrement, elles sont ensuite montées sur aluminium avant d’être accrochées au mur.

Coffre-fort n°10, 2004 Photographie Argentique contre collée sur aluminium Edition n°25, 111 x 96 x 5 cm
Coffre-fort n°10, 2004 Photographie Argentique contre collée sur aluminium Edition n°25, 111 x 96 x 5 cm

Grâce à la chambre photographique – ce qui permet d’obtenir des images d’une grande qualité et d’un grand format –, Philippe Gronon parvient à restituer l’objet aussi fidèlement qu’il l’a perçu au départ. Il crée de cette manière des œuvres d’une extrême minutie qui semblent contenir le poids des sujets qu’elles reproduisent tant le principe de réalité est inscrit dans sa démarche. L’œuvre finale donne l’illusion de la présence de l’objet plutôt que sa représentation et instaure une position étonnante par rapport à sa réalité. Ce qui fait que l’on ne sait plus s’il s’agit d’une photographie, d’une peinture hyperréaliste, ou de l’objet lui-même. Ce dernier est figé au plus près de sa forme et de sa texture et en même temps emmené au-delà de sa fonction. Car il y a toujours un basculement possible dans l’abstraction une fois que l’objet est parfaitement sorti de son contexte. Ceci prouvant que les choses, une fois isolées et valorisées en tant que telles gagnent en profondeur par rapport à ce qu’elles paraissent être de prime abord. On se situe en même temps au plus près de l’original et on s’en éloigne aussi considérablement. Il faut dire que le travail développé constamment sous forme de série contribue à renforcer cette distance : « c’est cet espace-là qui est troublant et intéressant pour moi », poursuit l’artiste.

Verso n°40, Amour propulsateur, par Victor Brauner, collection du musée d’art moderne de SaintÉtienne, 2009 Photographies analogiques couleur, épreuves numér
Verso n°40, Amour propulsateur, par Victor Brauner, collection du musée d’art moderne de SaintÉtienne, 2009 Photographies analogiques couleur, épreuves numér

Parce qu’il est avant tout photographe, Gronon sélectionne des sujets qui renvoient souvent aux opérations constitutives de la photographie (Châssis photographiques, Écritoires, Antennes satellites, Châssis radiographiques, Cuvettes de développement), que sont l’observation (Observatoires), la représentation (Pierres lithographiques – autrement dit l’un des ancêtres de la photographie –) ou le stockage (Catalogue de manuscrits). Sans être documentaire, son projet artistique est en cela semi-tautologique. Reconnaissons toutefois également en lui le plasticien avec les séries Tableaux de cotation, Tableaux noirs, Tas de fumier, Grattoirs, ou Versos. Ces dernières parlent de l’intersection souvent discutée entre le tableau et la peinture, et évoquent les origines de la photographie au XIXe siècle, quand la concurrence s’installait entre production de l’image manuelle et mécanique. Quand la première craignait d’être définitivement supplantée par la seconde. La qualité de son travail est de réunir parfaitement ces deux techniques, et ces deux histoires, plutôt que de creuser un fossé qui les séparerait. La série Versos en est un exemple probant où il parvient à rendre ordinaire ce que l’on tient habituellement pour extraordinaire : l’envers des chefs-d’œuvre. Il retourne des tableaux, donne à voir le côté trivial généralement adossé au mur montrant ainsi le réel le plus dénudé, révélant les toiles avant tout comme des marchandises. L’on découvre ainsi que chaque dos de tableau a sa physionomie propre. Avec une inscription du temps qui est celle des usages matériels de l’objet : nom du propriétaire, date d’une vente, fissure, jaunissement de la toile, commentaire, rentoilement, protection, trace de cadre disparu. Le tout en couleurs – comme il le pratique depuis 2003 – et pourtant sans donner à voir aucune image de la peinture qui ferait sa valeur sur le marché ou dans l’histoire – pour sa narration, sa fiction, sa virtuosité ou sa profondeur.

Porte Abri Anti-nucléaire Ministère des finances Bercy France, 2010 Photographie analogique couleur, épreuve numérique pigmentaire Édition n°1 5 1
Porte Abri Anti-nucléaire Ministère des finances Bercy France, 2010 Photographie analogique couleur, épreuve numérique pigmentaire Édition n°1 5 1

Rigueur des vues frontales, aucune recherche d’effet de déformation physique ni aucune transgression dans l’utilisation des couleurs. Jamais. Rien d’autre que le résultat du souci mimétique de l’objet photographié. Loin des effets de surenchère des photographies d’amateurs ou de professionnels qui submergent actuellement notre monde, Philippe Gronon évite la subjectivité qui exprime généralement le point de vue du photographe pour tendre à une objectivité formelle de la représentation dans un respect quasi clinique de la réalité. « Entre voir et regarder, il y a la même différence qu’entre penser et réfléchir », assénait l’historien français Charles Dollfus. C’est peut-être là que réside l’essentiel des enregistrements stricts de Philippe Gronon. Il privilégie ainsi une réflexion sur l’histoire du médium et la relation paradoxale de l’image et de sa reproduction.

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