PIET MONDRIAN LES FIGURATIONS DU MAÎTRE DE L’ABSTRACTION

Ferme à Duivendrecht, vers 1916 Huile sur toile, 85,5 x 108,5 cm © Kunstmuseum Den Haag, The Hague, the Netherlands
Ferme à Duivendrecht, vers 1916 Huile sur toile, 85,5 x 108,5 cm © Kunstmuseum Den Haag, The Hague, the Netherlands
Piet Mondrian (1872-1944) est unanimement considéré – et à juste titre – comme l’un des plus grands peintres du XXe siècle, le créateur d’un nouveau langage pictural fondé sur l’abstraction pure. Ses tableaux en damiers, ses figures géométriques, se sont imposés à nous comme sa principale marque de fabrique. Ils n’ont pas seulement été reproduits à l’infini, ils ont également été popularisés par d’innombrables produits dérivés, des foulards aux services de tables, en passant par les inoubliables robes des sixties. Au point de nous faire oublier que Mondrian a commencé comme un grand peintre figuratif, dans la tradition des maîtres hollandais, et que son chemin vers l’abstraction fut tout sauf linéaire. C’est ce que vient nous rappeler fort opportunément l’exposition Mondrian figuratif au Musée Marmottan Monet, à Paris. Y sont exposés quelque soixante-dix tableaux, ainsi que de nombreux fusains, dessins et gouaches, provenant de la collection Salomon Slijper, dont la moitié voyage pour la première fois et beaucoup pour la dernière fois, la fragilité de certaines œuvres interdisant tout déplacement ultérieur. Cet ensemble extrêmement cohérent, constitué pour l’essentiel entre 1916 et 1920, est d’autant mieux à sa place rue Louis Boilly que le Musée Marmottan Monet est par excellence le musée des collectionneurs. Le premier d’entre eux étant Michel Monet, le fils du père de l’impressionnisme, dont la personnalité et le parcours ne sont pas sans analogie avec ceux de Slijper. Sans descendants directs, ils ont chacun donné leur collection à un musée qui est ainsi devenu la principale adresse...

Piet Mondrian (1872-1944) est unanimement considéré – et à juste titre – comme l’un des plus grands peintres du XXe siècle, le créateur d’un nouveau langage pictural fondé sur l’abstraction pure. Ses tableaux en damiers, ses figures géométriques, se sont imposés à nous comme sa principale marque de fabrique. Ils n’ont pas seulement été reproduits à l’infini, ils ont également été popularisés par d’innombrables produits dérivés, des foulards aux services de tables, en passant par les inoubliables robes des sixties. Au point de nous faire oublier que Mondrian a commencé comme un grand peintre figuratif, dans la tradition des maîtres hollandais, et que son chemin vers l’abstraction fut tout sauf linéaire.

C’est ce que vient nous rappeler fort opportunément l’exposition Mondrian figuratif au Musée Marmottan Monet, à Paris. Y sont exposés quelque soixante-dix tableaux, ainsi que de nombreux fusains, dessins et gouaches, provenant de la collection Salomon Slijper, dont la moitié voyage pour la première fois et beaucoup pour la dernière fois, la fragilité de certaines œuvres interdisant tout déplacement ultérieur. Cet ensemble extrêmement cohérent, constitué pour l’essentiel entre 1916 et 1920, est d’autant mieux à sa place rue Louis Boilly que le Musée Marmottan Monet est par excellence le musée des collectionneurs. Le premier d’entre eux étant Michel Monet, le fils du père de l’impressionnisme, dont la personnalité et le parcours ne sont pas sans analogie avec ceux de Slijper. Sans descendants directs, ils ont chacun donné leur collection à un musée qui est ainsi devenu la principale adresse de leur peintre préféré. Slijper, le premier collectionneur de Mondrian réunissait en quelques années plus de deux cents œuvres, qu’il léguât à sa mort au Gemeentmuseum de La Haye aujourd’hui devenu le Kunstmuseum de La Haye. Un fonds d’une importance telle qu’il constitue aujourd’hui le premier fonds mondial de Mondrian.

Salomon Bernard Slijper (1884-1971) était le fils d’un riche diamantaire amstellodamois, qui prospérait lui-même dans le marché immobilier. Il avait fait la connaissance de Mondrian en 1916, alors que le peintre était revenu au pays après son premier séjour parisien, de 1912 à 1914. L’éclatement de la Première Guerre l’empêchait de repartir, privé de moyens, il s’était installé à Laren, petit village pittoresque prisé par les artistes, à une trentaine de kilomètres d’Amsterdam. Katinka Hannaart, une amie chanteuse et comédienne, y tenait une pension accueillant peintres et écrivains. En échange de son hospitalité, Mondrian lui offrait quelques tableaux qui bientôt ornaient les murs de la salle à manger. C’est là que les découvrit Slijper, qui avait ses habitudes de villégiature dans les mêmes lieux.

Or, les deux hommes ne partageaient pas seulement l’amour de l’art, mais aussi celui de la bonne chair, de la danse et du billard. Ils se liaient aussitôt d’amitié et Slijper, disposant d’une confortable fortune, devenait le principal soutien du peintre, qu’il faisait vivre jusqu’à son retour à Paris, en juin 1919.

Au moment de sa rencontre avec Slijper, Mondrian est en pleine révolution, passant de la figuration à l’abstraction, deux versants de sa création qui cohabitent pendant plusieurs années. Ce ne sont pourtant pas les tableaux les plus récents qui intéressent son nouvel ami, mais ceux de ses toutes premières années. Aussi, après avoir acquis auprès de Katinka Hannaart la toute récente Composition IV et avoir ainsi gagné la confiance de l’artiste Slijper se tourne directement vers le peintre pour lui acheter toutes œuvres restées dans l’atelier parisien au moment de son départ en 1914. Parmi elles, le célèbre Lièvre mort que Mondrian avait peint à dix-neuf ans ou La Ferme Geinrust dans la brume ou les incontournables moulins à vent.

Mondrian se situait résolument dans la grande tradition de la peinture hollandaise depuis le XVIIe siècle, renouvelée par ce qu’on appelle parfois l’École de Laren, ces peintres de la fin du XIXe qui fuyaient l’urbanisation et reprenaient les sujets traditionnels de la ferme, du moulin, de l’arbre isolé, de la fleur, du portrait. Il excellait dans tous ces genres, notamment grâce à son art du dessin et à sa maîtrise du clair-obscur, et il les cultivait jusqu’à la fin des années mille neuf cent-dix, alors qu’il s’essayait déjà à l’abstraction. Il en retravaillait les couleurs dans un sens que l’on qualifierait volontiers d’expressionniste, ainsi dans Moulin dans le crépuscule et dans l’imposant Moulin de 1911, contemporains déjà des premiers damiers. Cette dernière toile n’était pas parmi celles que préférait Slijper qui l’avait pourtant incluse dans la rétrospective organisée à Amsterdam pour les cinquante ans de Mondrian.

Expressionnistes aussi les paysages et les fleurs revisitées à la manière de van Gogh, comme la Ferme à Duivendrecht ou le Tournesol mourant I. Le chemin vers l’abstraction passe pour Mondrian à la fois par une nouvelle utilisation des couleurs et des formes, Dune I, Rose dans un verre ou le Clocher en Zélande témoignent de cette évolution progressive. Elle aboutira à Composition avec grand plan rouge, jaune, noir, gris et bleu de 1921, une des trois toiles néoplasticistes que possédait Slijper et dont l’exemplaire exposé voyage pour la première fois en France. Une fois encore, il ne s’agit pas d’une des œuvres les plus appréciées du collectionneur qui restait fixé sur les toiles figuratives. En 1930, Slijper avait demandé à Mondrian de mettre ses recherches autour de l’abstraction entre parenthèses et de lui peindre une œuvre à l’ancienne. Mondrian déclina la proposition, parce qu’une telle œuvre lui aurait pris « beaucoup trop de temps ». Ce qui montre quel soin le peintre a mis à ses toiles figuratives.

Robert Kopp

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