POUR LES GRANDS MUSÉES, UNE CHARTE

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Pourquoi visite-t-on un musée ? Parce que l’on s’attend à en sortir ébloui, marqué de manière profonde, métamorphosé pour toujours. Je n’aime pas ces musées qui cherchent à attirer le chaland par toutes sortes de subterfuges visant à le séduire, c’est-à-dire à le détourner de l’expérience vitale, au profit d’un plaisir rapide et fugace, dans le propos de gonfler le nombre d’entrées et de se convaincre qu’ainsi on aura fait venir au musée des personnes qui n’y seraient jamais allées. Belle hypocrisie : elles en ressortiront avec une idée fausse pour toujours, comme lorsque l’on fait lire de la mauvaise littérature en se disant qu’ainsi, au moins, on crée des lecteurs. L’expérience muséale n’a de sens que si elle nous atteint en ce qu’il y a en nous de plus intime, le lieu que saint Augustin appelait interior intimo meo, passage obligé pour accéder à la spiritualité. Car s’il ne s’agit que de divertissement, à quoi bon? Le musée fera du chiffre, le visiteur aura de quoi épater sa tablée lors de dîners en ville, et le pacte implicite entre musée et spectateur sera violé. Comment le respecter ? La réponse est multiple. Par l’exposition d’œuvres de qualité, d’abord. Par la beauté et la sobriété du lieu qui les accueille. Par l’élégance de leur accrochage, la maîtrise de l’éclairage, le contrôle du flux de visiteurs… Et, enfin, par une communication transparente, ingrédient indispensable à la bonne exécution de tout contrat. Les petites plaquettes accolées au mur près des œuvres portent...

Pourquoi visite-t-on un musée ? Parce que l’on s’attend à en sortir ébloui, marqué de manière profonde, métamorphosé pour toujours. Je n’aime pas ces musées qui cherchent à attirer le chaland par toutes sortes de subterfuges visant à le séduire, c’est-à-dire à le détourner de l’expérience vitale, au profit d’un plaisir rapide et fugace, dans le propos de gonfler le nombre d’entrées et de se convaincre qu’ainsi on aura fait venir au musée des personnes qui n’y seraient jamais allées. Belle hypocrisie : elles en ressortiront avec une idée fausse pour toujours, comme lorsque l’on fait lire de la mauvaise littérature en se disant qu’ainsi, au moins, on crée des lecteurs. L’expérience muséale n’a de sens que si elle nous atteint en ce qu’il y a en nous de plus intime, le lieu que saint Augustin appelait interior intimo meo, passage obligé pour accéder à la spiritualité. Car s’il ne s’agit que de divertissement, à quoi bon? Le musée fera du chiffre, le visiteur aura de quoi épater sa tablée lors de dîners en ville, et le pacte implicite entre musée et spectateur sera violé.

Comment le respecter ? La réponse est multiple. Par l’exposition d’œuvres de qualité, d’abord. Par la beauté et la sobriété du lieu qui les accueille. Par l’élégance de leur accrochage, la maîtrise de l’éclairage, le contrôle du flux de visiteurs… Et, enfin, par une communication transparente, ingrédient indispensable à la bonne exécution de tout contrat. Les petites plaquettes accolées au mur près des œuvres portent souvent des données succinctes : nom de l’artiste et de l’œuvre, quelques dates… C’est indispensable. Il arrive que des indications supplémentaires soient fournies, qui éclairent le visiteur sur l’identité du donateur ou du prêteur. Mais qu’en est-il, lorsque l’œuvre présentée est le résultat d’une rapine ? Ne faudrait-il pas, au moins, informer le spectateur que l’œuvre est revendiquée par le pays d’où elle a été arrachée ?

Au musée du Louvre se trouvent deux des plus beaux chefs-d’œuvre de l’antiquité grecque, la Victoire de Samothrace et la Vénus de Milo. Ici, aucune revendication. La Grèce est ravie que ces deux œuvres, exposées dans l’un des plus prestigieux musées du monde et magnifiquement mises en valeur, participent à son rayonnement. Au British Museum, la situation est tout autre concernant les marbres et les métopes (hauts-reliefs) du Parthénon. Depuis un siècle, la Grèce revendique leur retour, pour mille raisons. Ces pièces (cent soixante-dix) plaques de marbre sculptées) ont été arrachées du Parthénon avec la sauvagerie du voleur pressé d’accomplir son forfait, blessant à jamais le plus beau bâtiment jamais construit de main d’homme, et constituant le plus grand acte de brigandage de l’histoire de l’art. Ici, l’œuvre est le Parthénon lui-même, les marbres arrachés n’en sont que des fragments. Les maintenir en otages est doublement criminel. La Grande-Bretagne, forte d’une indiscutable expérience de rapines coloniales, prétend que ces pièces ont été volées en toute légalité. Exposées au British Museum, elles sont l’objet d’un mensonge par omission, qui trompe le spectateur sur la nature de l’œuvre qu’il est venu admirer. Si une partie importante des œuvres exposées dans les grands musées du monde ont été volées, très peu sont revendiquées. Leur destinée est de retourner à leur pays d’origine, c’est dans l’air du temps. Par honnêteté à l’égard de leurs visiteurs, les grands musées du monde devraient, à minima, s’accorder sur une Charte par laquelle ils s’engagent à informer le visiteur lorsqu’une pièce est revendiquée (même si, c’est évident, le musée conteste la revendication). Le contrat entre musée et spectateur serait alors parfaitement clair, et permettrait à celui-ci d’admirer les œuvres dans toute la richesse de leur histoire.

NOTA BENE


Dernier livre paru :
Le danseur oriental (Grasset)

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