Quand l’écrivain devient peintre

Peindre ou écrire: il faut choisir. Vraiment ? Pas si sûr ! Certes, l’histoire nous montre que l’incursion des artistes plasticiens dans le domaine de la littérature a été rare et peu couronnée de succès. En revanche, la tentation picturale a hanté les écrivains, particulièrement depuis l’éclosion du Romantisme, et fut à l’origine d’œuvres souvent remarquables.Il fut un temps où le seul médium utilisé pour transmettre un message, laisser une trace, était le dessin. On songe ici bien sûr aux images qui décorent les cavernes préhistoriques. Les hiéroglyphes égyptiens, constitués d’idéogrammes qui prennent la forme d’animaux et d’objets, ont, quant à eux, mêlé pendant trois millénaires le dessin à des signes pour constituer une forme d’écriture.Chez les Grecs, il n’est pas question de transgresser les frontières: l’écrivain doit se soumettre aux règles contraignantes de la composition de son texte, exorde, narration, confirmation, digression, péroraison. L’opération consistant à transposer le cosmos en logos enferme l’auteur d’un récit dans un système complet et coercitif qui ne prévoit aucune échappée hors du verbe. Laissons, disaient les philosophes grecs, l’art aux artistes, occupons-nous du discours. Rien ne bougea vraiment jusqu’à la période romantique. Mais les contraintes des règles classiques dans la littérature avaient commencé à s’étioler au point de pratiquement disparaître. En quelque sorte, le terrain était prêt. Victor Hugo, parmi les premiers, déclara la «guerre à la rhétorique» dans son poème Réponse à un acte d’accusation (Les Contemplations, 1856). Il était surtout question, comme Madame de Staël le déclara, d’abandonner les médiations littéraires...

Peindre ou écrire: il faut choisir. Vraiment ? Pas si sûr ! Certes, l’histoire nous montre que l’incursion des artistes plasticiens dans le domaine de la littérature a été rare et peu couronnée de succès. En revanche, la tentation picturale a hanté les écrivains, particulièrement depuis l’éclosion du Romantisme, et fut à l’origine d’œuvres souvent remarquables.
Il fut un temps où le seul médium utilisé pour transmettre un message, laisser une trace, était le dessin. On songe ici bien sûr aux images qui décorent les cavernes préhistoriques. Les hiéroglyphes égyptiens, constitués d’idéogrammes qui prennent la forme d’animaux et d’objets, ont, quant à eux, mêlé pendant trois millénaires le dessin à des signes pour constituer une forme d’écriture.Chez les Grecs, il n’est pas question de transgresser les frontières: l’écrivain doit se soumettre aux règles contraignantes de la composition de son texte, exorde, narration, confirmation, digression, péroraison. L’opération consistant à transposer le cosmos en logos enferme l’auteur d’un récit dans un système complet et coercitif qui ne prévoit aucune échappée hors du verbe. Laissons, disaient les philosophes grecs, l’art aux artistes, occupons-nous du discours.

Rien ne bougea vraiment jusqu’à la période romantique. Mais les contraintes des règles classiques dans la littérature avaient commencé à s’étioler au point de pratiquement disparaître. En quelque sorte, le terrain était prêt. Victor Hugo, parmi les premiers, déclara la «guerre à la rhétorique» dans son poème Réponse à un acte d’accusation (Les Contemplations, 1856). Il était surtout question, comme Madame de Staël le déclara, d’abandonner les médiations littéraires parfois trop rigides entre le monde et le scripteur pour mieux favoriser l’émotion directe et son transfert sur le papier.De là à abandonner la parole comme position centrale dans la description du monde et laisser la porte ouverte à de multiples moyens artistiques, il n’y avait qu’un pas qu’ont franchi de nombreux écrivains dont, évidemment, Victor Hugo est l’un des exemples les plus frappants, au point que ses œuvres picturales ont atteint, dans notre monde contemporain, une réputation qui, à de nombreux égards, supplante celle de l’auteur.

Le choix pour un écrivain de passer au dessin et à la peinture doit se comprendre comme une expansion du lyrisme entre la deuxième partie du XVIIIe et le début du XIXe siècle. Un cas significatif, mais peut-être moins connu, est celui de Goethe. Le poète allemand a toujours manifesté un goût prononcé pour les arts plastiques, mais il avoue recourir au langage par accoutumance et par défaut de technique graphique. Cependant, l’obsessiondu dessin le taraude. Il dessine des tableaux «scientifiques» sur la théorie des couleurs, mais aussi des paysages inventés ou d’après nature dont la facture est plus qu’honnête.Si l’on déroule le film de l’histoire, nombreux sont les écrivains (avant tout les poètes) qui, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, explorent le domaine des beaux-arts. L’une des voies empruntées est celle de la composition d’une œuvre picturale qui utilise comme matériau le caractère typographique, le mot, la phrase ou le vers, en les arrangeant sur la feuille de papier, en spatialisant les énoncés: le verbe cède la place au dessin. Mallarmé a abondamment utilisé le processus, puis Apollinaire, notamment dans cette très belle œuvre qu’est La Colombe poignardée et le jet d’eau.Avançons dans le temps: le mouvement Dada va accélérer l’affirmation historique des écrivains artistes. Comme jamais, il abolit toutes les frontières entre les arts, et suscite chez les auteurs non plus simplement des recherches typographiques, mais des réalisations plastiques d’incidence majeure, notamment les photomontages et les assemblages divers. On est face à une atteinte majeure à «l’ordre des choses».

Le surréalisme rend le problème un peu plus compliqué. On pourrait, d’une certaine manière, estimer qu’il s’agit d’un retour en arrière. Les tentatives des écrivains pour explorer le domaine pictural sont moins nombreuses. Le surréalisme ne veut pas détruire, comme Dada, mais veut construire, et cette construction va passer par les mots. Ce qui n’exclut pourtant pas quelques incursions remarquées des poètes et des écrivains dans l’expression picturale: Eluard, Breton, Garcia Lorca.En même temps, les traditions calligraphiques de la Chine et du Japon exercent une influence croissante sur les écrivains désireux de voir le geste participer à l’expression linguistique. Ainsi Claudel dans ses Cent phrases pour éventails (1927) a agencé un dispositif visuel pour ses textes, qui les dote de leur matérialité et rend visible le mouvement de leur rédaction. «Où commence l’écriture ? Où commence la peinture ?» s’interroge Roland Barthes dans la légende d’une encre sur papier japonaise (L’Empire des signes, 1970).L’auteur du livre dont il est question ici (Écrivains Artistes – La tentation plastique) explore avec assiduité le XXe siècle. Il nous fait découvrir les dessins et peintures de Henry Miller, d’Eugène Ionesco, s’interroge sur Cocteau et Schwitters, ou encore sur Antonin Artaud. On s’arrête plus longuement sur Henri Michaux qui, dès 1937, décida de donner la priorité au geste, considérant que ce dernier était plus direct et moins rationnel que l’écriture. Cela dit, chez Michaux, le dessin s’animait en général d’un mouvement proprement scriptural. On trouve dans ses œuvres une sorte d’alphabet inconnu, de purs gestes calligraphiques, voire de véritables idéogrammes.

On pourrait encore élargir le vaste catalogue des écrivains artistes, parler de Valéry et de Prévert, de Vian et de Jarry. L’énumération serait fastidieuse: mieux vaut se reporter au livre et découvrir avec surprise et émerveillement les productions graphiques de ceux que l’on ne connaissait que comme littérateurs, et se plonger avec délices dans la fusion des genres.Qu’en est-il de l’époque contemporaine ? La volonté de transgresser les limites de l’écrit anime-t-elle toujours les écrivains ? On aurait pu penser que le déclin de la rédaction manuscrite, qui les prive du contact avec le papier et la plume affaiblirait leur envie d’exploration transversale. Or, l’imaginaire de l’écran d’ordinateur trouve son compte dans la photographie et dans le recours aux ressources du cinéma, de la vidéo, de l’informatique et de l’Internet.Donc, estime l’auteur, notre époque n’en a pas fini avec les échanges de moyens entre peintres et écrivains. Sans doute, poursuitil, la littérature actuelle n’a-t-elle plus pour interlocuteur privilégié la peinture, dont l’importance s’est réduite au profit d’autres expressions plastiques, mais elle n’a certainement pas interrompu son dialogue avec les arts, lesquels sont loin d’en faire abstraction. La tentation plastique persiste…


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