Une demeure somptueuse, une demeure vivante, traversée par des voix chaleureuses. Des objets à profusion, petits et grands, précieux et courants, presque quotidiens. Des vitrines ouvertes, invitant non seulement à la contemplation mais au toucher.
H. Law:C’est la curiosité et l’amour pour certaines matières qui ont présidé à mes premiers achats. J’avoue que je serais capable de collectionner n’importe quoi à condition que l’objet soit beau et étonnant, qu’il m’intrigue, que ma curiosité intellectuelle soit piquée. L’envie d’en savoir plus et, si possible, de comprendre ce que j’ai dans ma main et dont mon épouse et moi aimons le contact physique, cette envie qui a toujours été pour nous un puissant aiguillon.Robert Kopp:Comment êtes-vous tombé dans l’art précolombien qui forme le noyau de votre collection ?Un peu par hasard. Ma profession m’oblige à beaucoup voyager. Déjà avant mon mariage, j’avais visité un grand nombre de pays. À l’exception du Mexique, que mon épouse ne connaissait pas non plus. Alors, en guise de voyage de noces, je lui ai proposé de découvrir ensemble une terre vierge pour nous deux. Et nous sommes doublement tombés amoureux: d’un pays et d’une civilisation. Or, comme vous le savez, du Mexique il est strictement interdit de sortir une quelconque antiquité. C’était déjà le cas, il y a vingt cinq ans. À notre retour, nous nous sommes promenés non loin de notre domicile dans une petite foire et nous avons trouvé, pour une somme dérisoire, un petit objet «mezcala». Un souvenir de notre voyage de noces !Et vous saviez de quoi il s’agissait ?Pas le moins du monde ! J’ignorais alors tout de la civilisation «mezcala». Mais, je n’étais pas le seul. J’ai aussitôt interrogé les meilleurs spécialistes, dont Jacques Soustelle. Sans obtenir la moindre réponse. J’ai parcouru les grands musées. Sans résultat. Jusqu’au jour où, au Metropolitan Museum de New York, je suis tombé sur un petit fascicule datant de 1967 et signé par un certain Carlo Gay.
Qui est-ce ?À l’origine, il s’agit d’un ingénieur du pétrole, d’un géologue qui, travaillant pour Schlumberger, est parti explorer l’État de Guerrero dans les années 1950. Et c’est dans cette région, la Sierra Madre del Sur, d’accès difficile en raison des nombreuses vallées très escarpées, que Carlo Gay a découvert une série de statuettes, hautes de dix à vingt centimètres, seuls vestiges d’une civilisation qui est probablement antérieure à toutes les autres civilisations précolombiennes.C’est sans doute parce que cette civilisation n’a pas laissé de monuments que les archéologues ne se sont pas intéressés à elle.C’est fort probable. Tout ce que nous possédons aujourd’hui, ce sont environs vingt mille statuettes qu’il est très difficile de dateret que Carlo Gay et Frances Pratt, dans le seul grand livre consacré au Mezcala1, classent par styles, du plus rudimentaire au plus expressif, couvrant le deuxième millénaire avant J.-C. et peut-être une partie du premier.Continuez-vous aujourd’hui à collectionner des statuettes mezcala ?Non. Je me suis arrêté, il y a une dizaine d’années déjà. J’ai eu la chance, à une époque où peu de personnes s’y intéressaient, les surréalistes exceptés, de trouver des échantillons de presque tous les styles, y compris de petits temples symbolisant probablement le passage dans l’autre monde. Les statues étaient d’ailleurs enterrées avec les morts, d’où certaines traces dans la pierre conséquence de la dégénérescence du corps humain, un des éléments permettant de distinguer un objet vrai d’un faux.
C’est donc cette collection mezcala qui est à l’origine de votre intérêt pour les autres civilisations précolombiennes et de votre passage de la pierre à la terre cuite ?Exactement. Mais je suis d’abord resté cantonné au Mexique. Puis j’ai poussé vers le Pérou et ses urnes Chancay, puis vers l’Amazonie brésilienne et ses pots et urnes Marajo.Et à chaque fois, c’est un intérêt esthétique et un intérêt intellectuel qui vous a pousséà élargir votre horizon, d’où ces nombreux livres et catalogues qu’on voit dans toutes les pièces de votre maison ?Il ne suffit pas d’admirer la beauté d’un objet. J’aime savoir ce qu’il signifie, ce à quoi il a servi, comme, par exemple, ces jougs de joueurs de balle. Que signifient les sculptures dont ils sont ornés ? Comment imaginer que des joueurs aient pu porter des poids aussi énormes ? Cela semble impossible, s’agit-il de moules ?On a le droit d’échafauder toutes les hypothèses.Quel est le rapport que vous entretenez avec vos objets ? Comment les placez-vous les uns par rapport aux autres ?Rien n’est jamais figé. Tout doit pouvoir bouger. Je ne veux pas vivre dans un musée.
Est-ce pour cette raison que vous faites voisiner les objets anciens avec des sculptures contemporaines ?Je me suis toujours intéressé à l’art contemporain. J’ai toujours acheté des tableaux et des sculptures à des artistes de ma génération et beaucoup d’entre eux sont devenus des amis que je vois volontiers dans leur atelier. À travers les siècles, voire les millénaires, il y a un dialogue qui s’installe entre la tradition et la nouveauté. Que serait Yves Dana, Manolo Valdès, Pierre Alechinsky, Yuri Kuper, sans l’art primitif, sans l’art de la Renaissance, sans les grands classiques ? Mais ce n’est pas le sujet que nous avons décidé de retenir aujourd’hui.Il existe des collectionneurs jaloux qui aiment cacher leur trésor. Vous ne semblez pas appartenir à cette catégorie. Vous aimez partager.En effet, je ne suis que le dépositaire momentané de ces trésors. Ce patrimoine, il faut d’abord le protéger. Puis, il faut le faire connaître. D’où mon souci de documentation. Je souhaite connaître le contexte dans lequel chaque objet a été créé, son origine, sa fonction et son parcours. C’est pourquoi je prête volontiers à des musées qui font des catalogues établis par d’excellents spécialistes. C’est une façon plus efficace de protéger le patrimoine de l’humanité que de militer pour Unidroit (qu’heureusement aucun état n’a pratiquement ratifié car cela signifierait la fin des prêts et des publications).Un dernier mot; quelle est votre pièce préférée ?Cela change. Disons que j’en ai plusieurs. Parmi celles que j’affectionne particulièrement, il y a cette divinité maya assise ou cette urne Veracruz que j’affectionne tout particulièrement.