THE WHITE LOTUS MIROIR ENSOLEILLÉ DE NOS CONTRADICTIONS – Le cinéma d’Artpassions

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La série satirique, créée en 2021 par l’Américain Mike White, est un phénomène mondial. À l’occasion de sa troisième saison, penchons-nous sur les raisons de son succès. Cette fois-ci, c’est en Thaïlande que s’installe le jeu de massacre. Tel est, au demeurant, le contrat promis par cette fiction plus vraie que nature: ciseler des représentants idéaux de ce que nous sommes  d’insupportables Homo Occidentalus , et voir leurs illusions se fracasser d’épisode en épisode. Car la chambre d’hôtel n’est pas aussi jolie qu’en photo. La famille pas aussi unie qu’espéré. Les «je t’aime» moins sincères que prévu. Et les vacances, jamais aussi réussies qu’en rêve. Le fantasme butte sur un petit caillou nommé «réel». Le résultat de cette accroc est tantôt hilarant, tantôt cruel. Et toujours crispant. À tel point que The White Lotus s’impose en emblème de ce malaise devenu mot d’époque: le cringe. Soit cette zone grise entre le narcissisme, la honte et le ridicule. Devant la télé nous n’avons plus peur des zombies ni des dinosaures  mais des situations sociales gênantes. Il faut dire que le casting de cette troisième saison s’y prête. À commencer par un trio de copines blondes, belles et successful venues se retrouver au soleil (et arroser les névroses de leur amitié). Sans oublier la famille Ratliff, aussi brillante de l’extérieur, que dysfonctionnelle à l’intérieur. Apprenant d’emblée qu’il est ruiné, et le cachant aux siens, le patriarche plonge dans cette semaine de vacances comme dans un gouffre, ne subsistant qu’à la faveur des...

La série satirique, créée en 2021 par l’Américain Mike White, est un phénomène mondial. À l’occasion de sa troisième saison, penchons-nous sur les raisons de son succès.

Cette fois-ci, c’est en Thaïlande que s’installe le jeu de massacre. Tel est, au demeurant, le contrat promis par cette fiction plus vraie que nature: ciseler des représentants idéaux de ce que nous sommes  d’insupportables Homo Occidentalus , et voir leurs illusions se fracasser d’épisode en épisode. Car la chambre d’hôtel n’est pas aussi jolie qu’en photo. La famille pas aussi unie qu’espéré. Les «je t’aime» moins sincères que prévu. Et les vacances, jamais aussi réussies qu’en rêve. Le fantasme butte sur un petit caillou nommé «réel». Le résultat de cette accroc est tantôt hilarant, tantôt cruel. Et toujours crispant. À tel point que The White Lotus s’impose en emblème de ce malaise devenu mot d’époque: le cringe. Soit cette zone grise entre le narcissisme, la honte et le ridicule. Devant la télé nous n’avons plus peur des zombies ni des dinosaures  mais des situations sociales gênantes.

Il faut dire que le casting de cette troisième saison s’y prête. À commencer par un trio de copines blondes, belles et successful venues se retrouver au soleil (et arroser les névroses de leur amitié). Sans oublier la famille Ratliff, aussi brillante de l’extérieur, que dysfonctionnelle à l’intérieur. Apprenant d’emblée qu’il est ruiné, et le cachant aux siens, le patriarche plonge dans cette semaine de vacances comme dans un gouffre, ne subsistant qu’à la faveur des anxiolytiques volés à sa femme, qui se reporte sur le chardonnay. Mais la palme du grotesque revient à Piper, leur fille. Élevée dans le luxe d’un Sud des États-Unis marqué par la surabondance et l’obsession du statut , l’étudiante rêve d’intégrer un temple bouddhiste à condition que la clim fonctionne et qu’on y cuisine autre chose que des carottes bouillies.

«Cette saison part des idées bouddhistes, en réfléchissant à l’identité comme cause de souffrance», précise Mike White. Les trois copines du duo évoqué, de fait, s’avèrent piégées dans d’encombrantes coquilles: la première a consacré sa vie au travail, la seconde à sa vie de famille, la troisième à son image. Aucune n’est heureuse. Chacune critique et jalouse les deux autres. Il y a du Molière, du La Fontaine dans la finesse de ces rôles, convertis en télescopes de cette esbrouffe qu’est la mise en scène de soi intoxiquée au carré par le trompe l’œil des réseaux sociaux. Mais nous pourrions aussi invoquer Sophocle s’agissant de Rick, personnage au passé trouble venu venger la mort de son père. Allégorie de cette oscillation entre drame social et drame métaphysique, qui est l’autre nom de la condition humaine que l’on pourra temporairement oblitérer par une oscillation plus légère : spritz ou mojito. Comme dans Downton Abbey, comme dans les deux premières saisons, qui prenaient place dans d’autres resorts du groupe imaginaire The White Lotus (à Hawaï et en Sicile), les protagonistes du show se répartissent sur les deux rives de la frontière sociale Lewis Carroll écrirait: des deux côtés du miroir. Nous scrutons avec la même angoisse les vices des clients et ceux du personnel. En bon satiriste, White a l’intelligence de ne pas marxiser son scénario, injectant autant de bassesse chez les dominés que chez les dominants. Son idée de faire jouer le sous directeur de l’hôtel par Christian Friedel le commandant d’Auschwitz dans La Zone d’Intérêt est aussi géniale qu’effroyable. Il y a du Guy Debord chez White. Mais aussi, c’est tout le paradoxe, un absolu de la société du spectacle. Pour le plus grand plaisir du spectateur. Rarement aura-t-on rencontré une série aimant autant ses personnages. De Jennifer Coolidge, éternelle Tanya (devenue un mythe générationnel) à l’empathie communicative de Chelsea (Aimee Lou Wood), en passant par Saxon Ratliff, campé avec brio par Patrick Schwarzenegger (le fils d’Arnold), nous avons le sentiment de connaître chacune des figures projetées dans ce bocal aussi faux que vrai. Ce n’est plus un écran. C’est un miroir.

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