Traces du sacré

Nous avons tous, une fois ou l’autre, été perplexes en contemplant une œuvre d’art: que se passe-t-il entre l’œuvre et nous, qu’est-ce qui nous émeut ou nous choque, et pourquoi ?Partons d’un exemple, une peinture abstraite, un modèle du genre : Composition avec deux lignes (1931) de Piet Mondrian. Que faut-il comprendre de ce losange blanc coupé de deux lignes noires perpendiculaires: pourquoi cette abstraction ? un signe mystérieux, un système, une organisation de l’espace ?Peut-être, ou peut-être pas du tout. Mondrian lui-même nous en donne la clef: « Pour approcher le spirituel en art on fera usage aussi peu que possible de la réalité parce que la réalité est opposée au spirituel.» Il faut en revanche être attentif à la manière dont la peinturea été appliquée, les deux (non) couleurs ne se touchant pas. Toutes les étapes du travail (n’entrons pas ici dans le détail) montrent une recherche longue et douloureuse pour obtenir «le plus de force et de clarté possible» (c’est toujours Mondrian qui parle). La surface blanche est mate et seules les deux lignes noires ont été vernies «pour leur donner vie».Nous y sommes: la spiritualité de cette œuvre est tout entière dans la réflexion qui lui a donné naissance. Ces «traces du sacré», nous allons les retrouver sous toutes les formes, en parcourant l’admirable catalogue de l’exposition éponyme organisée au Centre Pompidou à Paris, du 7 mai au 11 août 2008, et programmée à Munich, Haus der Kunst, du 19 septembre 2008 au 11 janvier 2009.Dès...

Nous avons tous, une fois ou l’autre, été perplexes en contemplant une œuvre d’art: que se passe-t-il entre l’œuvre et nous, qu’est-ce qui nous émeut ou nous choque, et pourquoi ?
Partons d’un exemple, une peinture abstraite, un modèle du genre : Composition avec deux lignes (1931) de Piet Mondrian. Que faut-il comprendre de ce losange blanc coupé de deux lignes noires perpendiculaires: pourquoi cette abstraction ? un signe mystérieux, un système, une organisation de l’espace ?Peut-être, ou peut-être pas du tout. Mondrian lui-même nous en donne la clef: « Pour approcher le spirituel en art on fera usage aussi peu que possible de la réalité parce que la réalité est opposée au spirituel.» Il faut en revanche être attentif à la manière dont la peinturea été appliquée, les deux (non) couleurs ne se touchant pas. Toutes les étapes du travail (n’entrons pas ici dans le détail) montrent une recherche longue et douloureuse pour obtenir «le plus de force et de clarté possible» (c’est toujours Mondrian qui parle). La surface blanche est mate et seules les deux lignes noires ont été vernies «pour leur donner vie».Nous y sommes: la spiritualité de cette œuvre est tout entière dans la réflexion qui lui a donné naissance. Ces «traces du sacré», nous allons les retrouver sous toutes les formes, en parcourant l’admirable catalogue de l’exposition éponyme organisée au Centre Pompidou à Paris, du 7 mai au 11 août 2008, et programmée à Munich, Haus der Kunst, du 19 septembre 2008 au 11 janvier 2009.Dès l’instant où l’art s’est défait du sacré, où les artistes n’ont plus été au service des églises, la démarche artistique a dû se reconstruire tout en préservant la quête des secrets métaphysiques. Le sacré est devenu spiritualité et l’art moderne s’est édifié peu à peu sur cette importante modification.La terrible estampe de Goya «Nada. Ello dirà» (vers 1810-1823) est annonciatrice de cette mutation: un cadavre tient dans sa main décharnée le message qu’il nous adresse de l’audelà: «Nada», il n’y a rien. Mais alors quoi ? L’homme ? Oui, certes, mais très vite on constate qu’il porte en lui le mal, en même temps victime et bourreau. Et la foi des artistes dans l’art, capable de briser la fatalité du triomphe du mal absolu sur l’humanité, se perd au fil des catastrophes des XIXe et XXe siècles. Le constat se vérifiera encore auprès de certains artistes comme Francis Bacon (une viande qui crie…), Grotowski ou Bruce Naumann dans la seconde moitié du XXe siècle.Dans l’intervalle, on assiste, dans la foulée de Nietzsche («L’art relève la tête quand les religions perdent du terrain»), à la tentative de créer l’homme nouveau, débarrassé de l’ordre ancien. Tentative qui va marquer une grande partie des mouvements d’avant-garde. Mais cette démarche utopique aboutit inexorablement aux dérives moins honorables que furent le communisme d’état, le nazisme et le fascisme, après avoir passé par la Première Guerre mondiale, dans laquelle certains (Otto Dix, Franz Marc, Max Beckmann, Vassily Kandinsky) voyaient un passage horrible mais salutaire vers une nouvelle création.

Après le deuxième conflit mondial, alors que la planète et la culture sont en ruines, un exercice spirituel s’impose tel que Beuys le définit: «retrouver une connaissance qui permettrait, pour l’art, de guérir la société de ses pathologies morbides». Les artistes cherchent les solutions dans l’espace, auprès d’autres civilisations, dans les paradis artificiels, partout. Le monde occidental, désacralisé, trouve la connaissance auprès d’artistes issus de sociétés qui ont gardé un lien culturel intense avec le religieux. Ainsi, Anish Kapoor ou James Turrell reposent la question de la sensation, le fameux «tremblement de l’être» pour rechercher les qualités phénoménologiques nécessaires à produire cet effet, et Bill Viola essaye de provoquer un recueillement proche de la piété.Aux antipodes de ces démarches et face à la surdité d’une société générée par la masse d’informations diffusées et la confusion quel’industrie culturelle maintient à dessein entre art et divertissement, des artistes tels Damien Hirst et Maurizio Cattelan cherchent à provoquer en nous, par la violence de l’ironie ou de l’horreur, une crise qui nous permette de sentir, de nous indigner, bref d’être vivants et de dissoudre le brouillard introduit entre nous et le monde.Damien Hirst ne dit-il pas: «Je crois que l’art contemporain est un mythe. C’est comme la mode, il n’y eut jamais qu’une seule idée en art: la question de l’existence et de la mort ?»Où se trouve finalement le sacré ? Dans ce monde où l’excès de religion tue le religieux ? Où le réel flotte dans le vide ? Et que nous apporte l’art ? Nous aide-t-il à mieux comprendre ce qui se passe ? Peu de réponses à ces questions. Alors il faut, comme le fait ce livre, partir à la recherche des moindres traces du sacré.

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