Loin d’être frivole, le bijou est un art à part entière, comme le démontre avec éclat le premier tome du catalogue de la Collection patrimoniale de Van Cleef & Arpels publié par l’Atelier EXB. Conjuguant séduction visuelle et érudition, ce « livre-écrin » est un enchantement…
Connaître, collectionner, protéger et pérenniser les œuvres de la Maison », tel est le vœu le plus cher de Nicolas Bos, le Président de Van Cleef & Arpels. Depuis plus d’un siècle, cette prestigieuse Maison de haute joaillerie, qui s’installa dès 1906 dans ce haut lieu emblématique du luxe et de la créativité qu’est la place Vendôme, n’a jamais cessé d’expérimenter et de développer des savoir-faire d’une rare sophistication. De l’invention du « Serti Mystérieux » au collier Zip, en passant par la Minaudière, les pièces qui sortent des ateliers de Van Cleef & Arpels partagent toutes une virtuosité technique au service d’une élégance suprême.
Initiée dès le début des années soixante-dix par Jacques Arpels, la Collection patrimoniale de la Maison a donc toujours eu pour vocation d’être un stimulus pour la création, ainsi qu’une source d’inspiration majeure pour les dessinateurs. Aussi lorsque Van Cleef & Arpels est entré dans le groupe Richemont à l’aube de l’an 2000, il parut évident à ses nouveaux dirigeants qu’il fallait poursuivre ce projet ambitieux. Comptant à ce jour plus de deux mille cinq cents pièces de joaillerie et de haute joaillerie acquises dans les salles des ventes aux enchères, ou auprès de marchands et de particuliers (bijoux, mais aussi montres, pendules et nombreux accessoires…), la « Collection » retrace ainsi plus d’un siècle d’intense créativité, tout en témoignant avec éclat de l’évolution des techniques, des modes et des goûts.
UNE POLITIQUE PATRIMONIALE DIGNE D’UN MUSÉE
« La Collection Van Cleef & Arpels, qui était au début des années deux mille l’œuvre d’un seul homme, est au-jourd’hui la résultante d’un regard collectif. (…) Des bijoux sériels aux grandes compositions de haute joail-lerie, chaque pièce est sélectionnée avec la même attention dans le but de créer un ensemble représentatif, si-non exhaustif. La politique d’acquisition est la plus rigoureuse possible : seules les créations considérées comme étant originales ou bien dont le dessin a été modifié par la Maison sont acceptées. Les Archives sont par consé-quent essentielles au processus de rachat : elles constituent la référence d’acceptation ou de refus », explique ain-si Émilie Bérard, la responsable de la Collection patrimoniale. En entrant dans ce « musée privé » qu’est la Collection Van Cleef & Arpels, chaque pièce (bijou, montre ou objet) est ensuite rigoureusement ré-parée, nettoyée, contrôlée, photographiée, référenciée, étudiée, contribuant ainsi de façon majeure à faire rayonner la Maison à travers des publications et des expositions qui voyagent à travers le monde.
En se plongeant dans le somptueux premier tome du catalogue de la Collection publié par l’Atelier EXB, l’on est alors ébloui par la qualité des images et l’érudition de cet aréopage de spécialistes qui ont croisé leurs regards pour définir ce qui fait la quintessence même du « style Van Cleef & Arpels » : soit ce mé-lange d’innovations techniques et de grâce féminine, nimbée de légèreté.
AUDACE ET VIRTUOSITÉ
S’il est une pièce qui résume à merveille le renouveau esthétique et le soin accordé à la fonctionnalité prôné par les ateliers de Van Cleef & Arpels, c’est bien cette astucieuse Minaudière créée en 1933. En résonance avec les théories fonctionnalistes émises par Walter Gropius, le chef de file du Bauhaus, ou bien encore par Eileen Gray, cette créatrice de génie dont on mesure enfin l’identité singulière, ce « cabinet miniature » re-groupe dans des compartiments soigneusement agencés tous les accessoires dont la femme moderne ne sau-rait se passer : un poudrier, un crayon, un carnet de notes, une boîte à pilules, un étui de rouge à lèvres en or jaune guilloché, un briquet, un peigne en écaille et, comble du raffinement, une montre dissimulée dans l’épaisseur du coffret. Prétexte à d’infinies variations, cette « boîte à vanités » du XXe siècle devait connaître un immense succès auprès des clientes de la Maison, séduites par son ingénieux mécanisme et ses luxueuses techniques joaillières, dont ce virtuose « Serti Mystérieux » faisant disparaître les montures en métal pour magnifier la lumière à travers les pierres, véritable signature de Van Cleef & Arpels.
Autre emblème de modernité, le « Bijou à transformation multiples » illustre bien l’ADN de la Maison, sou-cieuse de renouveler les codes stylistiques de la haute joaillerie et d’accompagner les mutations sociologiques de son époque. Breveté en 1938, le Passe-Partout autorise ainsi une multitude de portés au gré des circons-tances et des heures du jour. Particulièrement précieux, l’exemplaire de la Collection marie ainsi la souplesse d’une chaîne Tubogaz en or jaune frangée d’un motif pavé de brillants, avec un dispositif de pince (permettant la fixation du bijou) composé de deux corolles de fleurs stylisées. Point de hasard si Van Cleef & Arpels choisit ce joyau pour représenter l’excellence des ateliers de la Maison à l’Exposition universelle de New York de 1939. Autre prouesse technique, le Collier Zip transpose dans un précieux ornement joaillier un élément em-prunté à l’industrie textile : la fermeture à glissière inventée aux États-Unis au milieu du XIXe siècle. Le résultat sera éblouissant ! Icône des années cinquante, le Collier Zip connaîtra lui aussi de multiples va-riations, jouant sur les motifs des mailles et l’alliance chromatique des pierres, tel cet emploi d’or jaune serti de diamants et de rubis.
NATURALISME ET FÉMINITÉ
L’on ne saurait cependant définir le « style Van Cleef & Arpels » sans évoquer cette inclination revendi-quée pour une nature sublimée. Qu’elles soient sensuelles ou épurées, historicisantes ou avant-gardistes, les créations se parent ainsi de fleurs et d’oiseaux dont la grâce le dispute à la légèreté. Il suffit, pour s’en convaincre, d’admirer ce clip Hirondelle ou cette somptueuse broche Oiseau de paradis de 1927 dont le plumage et l’envol semblent saisis sur le vif.
Chez Van Cleef & Arpels, la faune et la flore sont aussi prétextes à de multiples expérimentations for-melles, comme en témoignent ces ravissantes minaudières des années cinquante tapissées d’un décor de marguerites et de papillons gravés en or jaune se détachant sur un fond en laque noire, ou ces clips ani-maliers empruntant aux comic strips leur facétie et leur humour. Semblent leur répondre ces figures aé-riennes de danseuses ou de petites fées aux ailes délicatement ajourées qui traduisent, elles aussi, ce goût de la Maison pour un monde onirique nimbé de merveilleux…