Florilège de quelques pavillons nationaux visités à la Biennale d’architecture poursuivi par la découverte d’une exposition unique en son genre, qui restitue l’histoire et le mode de vie d’une famille patricienne de Venise.
La Biennale d’architecture revient sur les rives de la plus belle lagune du monde, celle de Venise, à l’ombre des coupoles de la basilique Saint Marc et de la Salute. Avec elle, sa cohorte d’expositions collatérales, dans les musées, dans les palais et même dans les églises de la Sérénissime. Cette dix-neuvième édition, qui dure jusqu’à fin novembre, compte soixante-six participations nationales, dont, quatre nouveaux pays entrants – l’Azerbaïdjan, le Qatar, le Togo et Oman. Le thème choisi, au titre abscons (Intelligens,Natural,Artificial,Collective). essaie de se concentrer sur le grand défi de notre époque : le changement climatique. Vaste sujet. On sait qu’il est déjà trop tard et qu’en réalité, architectes, ingénieurs, promoteurs et tous les autres, ont déjà failli, faute de volonté politique internationale, à juguler la montée des températures, des eaux et, partant, la dégradation irrémédiable des conditions de vie de l’humanité tout entière. De fait, il n’est pas tant question, dans les différentes propositions de la Biennale, d’empê- cher le réchauffement que de s’y adapter, en limitant ses effets.

© Photo : Marco Zorzanello. Courtesy La Biennale di Venezia
Architecture as Trees, Trees as Architecture
© Photo : Marco Zorzanello. Courtesy La Biennale di Venezia

© Photo : Marco Zorzanello. Courtesy La Biennale di Venezia
LE BAHREÏN REMPORTE LE LION D’OR
Comme de coutume, le parcours commence à l’Arsenal, considérée comme la première usine d’Europe, née au XIIIe siècle quand des milliers d’employés à la solde de la République vénitienne y construisaient et restauraient à la chaîne chaque année des centaines de navire. Époque où il n’y avait pas encore à se préoccuper des rejets et de la pollution de l’industrie. Sur le site de cet ancien pollueur émérite (tous les déchets nécessaires au calfatage des bateaux étaient jetés à la mer), se trouve le pavillon qui a remporté le Prix le pus prestigieux de la Biennale: le Lion d’or de la meilleure participation nationale. Il a été remis à un pays qui est, lui, certainement l’un des responsables de la pollution de notre temps, le Bahreïn, état peu démocratique mais rempli de pétrodollars. Cela fait déjà plusieurs années que les états du Golfe ont fait de l’écologie l’étendard de leur politique culturelle, investissant des milliards pour assurer leur propre futur dans leurs déserts toujours plus torrides mais aussi s’acquérir une bonne conscience et une image plus policées auprès des pays occidentaux. Notons tout de même que le commissariat de l’exposition du Bahreïn en a été confié à l’Italien mieux, au Vénitien Andrea Faraguna.
Présenté comme inspiré de l’architecture traditionnelle des pays du Golfe, le projet est à michemin entre une installation artistique et une création concrète d’ingénierie avant-gardiste. Il propose une stratégie de refroidissement passif (c’est-à-dire ne consommant pas d’énergie) qui intègre un puits géothermique et une cheminée solaire connectés entre eux, ce qui permet de puiser la fraicheur naturelle du sous-sol. Tout cela définit un espace assez réduit, contenu entre un plancher modulaire et un plafond suspendu avec, en son milieu, une colonne centrale accueillant la cheminée. Les visiteurs pénètrent dans ce volume habitable dont le pourtour est alimenté de gros sacs de chantier, qui le fait ressembler à une installation d’art contemporain à l’aspect brut. Dans l’espace d’exposition de l’Arsenal, il n’a naturellement pas été possible de creuser un puits géothermique. Le système a donc été adapté grâce à une ventilation mécanique qui, aspirant l’air depuis l’extérieur par une fenêtre, permet de générer un microclimat calibré.
C’est certainement cet équilibre entre l’aspect extérieur bien étudié, qui est celui d’une installation d’art contemporain minimaliste, et l’apport concret aux problèmes de réchauffement de la planète et de développement durable qui a séduit le jury de la Biennale. Celui-ci était d’ailleurs présidé par Hans Ulrich Obrist, l’un des plus célèbres commissaires d’exposition d’art contemporain et non par un architecte, reflétant bien les liaisons dangereuses qu’entretient la Biennale d’architecture avec le monde de l’art. Exposer l’architecture sans ennuyer un public non spécialiste, sans tomber dans la présentation de produits, de techniques ou de maquettes de bâtiments comme dans
un salon professionnel, conduit inévitablement à chercher l’originalité et la qualité esthétique de la présentation en un mot, à aller voir du côté de l’«art», dans toutes les acceptions bien larges que ce mot recouvre aujourd’hui.


© Photo : Marco Zorzanello
Courtesy La Biennale di Venezia

© Photo : Luca Capuano
Courtesy La Biennale di Venezia
DE LA SUISSE AU VATICAN, EN PASSANT PAR L’ITALIE
La Suisse possède son propre pavillon, conçu par Bruno Giacometti, dans les fameux Jardins de la Biennale, le long du bassin de Saint Marc, depuis 1954. Mais les organisateurs ont choisi d’imaginer que le bâtiment n’ait pas été construit par le frère d’Alberto et Diego Giacometti, mais par une de leurs contemporaines, Lisbeth Sachs (1914- 2002), une des premières femmes architectes diplômées de Suisse. Une sorte de fiction qui juxtapose la structure existante de Giacometti à des installations évoquant le travail de Sachs pour le pavillon d’art éphémère qu’elle avait conçu à l’Exposition suisse du travail féminin de 1958 à Zurich. L’idée est intéressante, le résultat, assez dé- nudé (de grandes structures en bois qui évoquent librement, en s’en inspirant seulement, l’architecture de Sachs), est quelque peu décevant.
Mais il y a des déceptions majeures: le pavillon italien, toujours très attendu vu ses dimensions et les moyens dont il dispose, a attiré de nombreuses critiques dès son ouverture. Le thème retenu est la mer et les côtes italiennes. Qui trop embrasse mal
étreint: la commissaire a choisi six cents œuvres de tout type, évoquant le sujet sous toutes ses coutures qu’il soit historique, architectural, environnemental etc., sans véritable propos ni but. Ces œuvres sont exposées dans un parcours rythmé de trop nombreuses et inutiles vidéos, dénotant un manque de sélection qui rend le résultat cacophonique et dispersif. Less is more et les petits pavillons sans ambition s’en sortent parfois mieux sans trop en faire. C’est le cas du Vatican. Celui-ci, qui participe aux Biennales depuis peu de temps, nous a pourtant habitué à voir les choses en grand et de manière originale ces dernières années. S’il ne dispose pas d’un pavillon propre dans les Jardins, il possède un réseau de propriétés églises, couvents et d’influences dans tout Venise, ce qui lui permet d’investir des lieux étonnants. En 2018, c’était l’île de San Giorgio Maggiore parsemée de chapelles contemporaines conçues par de grands architectes. L’année dernière, pendant la Biennale d’art , c’était dans la prison pour femmes de la Giudecca, établie dans un ancien monastère. Cette année, le Saint-Siège, permet aux visiteurs de découvrir un lieu méconnu de la Sérénissime : le complexe et l’église de Santa Maria Ausiliatrice, tout près de l’Arsenal et des Jardins, site du premier hôpital de Venise. L’idée est simple : le visiteur découvre le chantier de restauration du site en déambulant parmi les échafaudages tandis que l’histoire des lieux et de ses différents usages est racontée et que des associations locales de tout type sont invitées à soumettre leur projets pour l’usage futur du lieu, qui deviendra un centre culturel pour le quartier de Castello. C’est aussi l’occasion de voir de près les décors baroques de l’église et la manière dont travaillent les restaurateurs.
Comme nous sommes maintenant sortis des espaces habituels de la Biennale, permettons-nous un petit excursus, cette fois non dans une église, mais dans l’un des palais historiques de Venise, récemment reconverti en fondation. La Biennale est toujours l’occasion pour les musées vénitiens d’organiser d’ambitieuses expositions. C’est le cas dans le sestiere de San Polo, dans un palais qui appartint autrefois à la famille Grimani.

LA FONDATION ALBERO D’ORO RESSUSCITE L’HISTOIRE ET LES COLLECTIONS D’UNE GRANDE FAMILLE VÉNITIENNE
L’exposition n’a pas de liens avec l’architecture mais elle mérite d’être signalée, tant elle est le fruit d’un travail inédit et conséquent: la Fondation dell’Albero d’Oro, sise au Palais Vendramin Grimani, noble demeure donnant sur le Grand Canal, a engagé des chercheurs qui, pendant plusieurs années, ont retracé toute l’histoire et retrouvé les archives et les collections d’art des familles Grimani et Marcello, grandes lignées patriciennes qui ont habité le palais jusqu’en 1969. Il en résulte une exposition d’art et d’histoire à la fois. On y admire pêle-mêle l’épée en or du doge Pietro Grimani, qui régna de 1741 à 1752, des documents enluminés du XVe siècle, de délicats portraits de la célèbre pastelliste Rosalba Cariera ou des costumes d’époque pour les enfants, souvent retrouvés dans des caisses oubliées depuis des lustres. La Fondation a fait revenir bien des objets qui avaient, à un moment ou un autre, été exposés ou conservés dans ce palais, ressuscitant ainsi l’ambiance d’une demeure aristocratique. Devant nos yeux renaît le mode de vie d’une grande famille vénitienne, de l’art de recevoir et de se montrer jusqu’à la sphère privée: on voit les portraits mais aussi les photographies de famille, pour lesquelles on posait comme pour un tableau, on découvre des dizaine d’invitations au théâtre et les menus des grands dîners rigoureusement écrits en français, on remarque les instruments de musique, les partitions et les programmes du théâtre, puisque la musique était le grand divertissement de Venise. Tout y est, sans oublier, dans le Portego (la plus grande salle du palais), les services de porcelaine fine et d’argenterie dressés sur une table, prêts à accueillir les convives, comme si les Grimani étaient encore là et allaient à tout moment franchir le seuil de leur demeure, de retour d’une soirée d’opéra à la Fenice.

Portego (grande salle) du palais
Vendramin-Grimani, Fondazione
dell’Albero d’Oro
© Ugo Carmeni 2025

doge Pietro Grimani au palais
Vendramin-Grimani,
Fondazione dell’Albero d’Oro
© Ugo Carmeni 2025

au Palais Vendramin-Grimani,
Fondazione dell’Albero d’Oro
© Ugo Carmeni 2025

Vendramin-Grimani,
Fondazione dell’Albero d’Oro
© Ugo Carmeni 2025